Une étudiante voilée a été victime de propos racistes de la part d’une intervenante du jury lors d’une soutenance de fin d’année à l’Université Paris-Dauphine.
Etre français, c’est d’abord se sentir français au fond de soi, mais aussi, surtout, être perçu en tant que tel par les autres. Sur cette question si sensible, le regard que je porte sur moi-même nécessite d’être conforté par le regard que la société porte sur moi.
Je suis Français et je vis en France depuis quarante ans. Mais il arrive fréquemment que des collègues ou des amis, de retour du Maroc, me disent qu’ils ont beaucoup apprécié leur séjour touristique « chez moi ». Cette expression est a priori avantageuse, car elle prend une signifi-cation de « partage » de mon « chez moi », qui devient par notre proximité quelque peu aussi « chez eux ».
Il n’empêche que je ressens à chaque fois un malaise : comme si mon « chez moi » marocain amoindrissait mon « chez moi » français. C’est que, hélas, tout un pan de la société française considère comme incompatibles l’appartenance simultanée à ces deux beaux peuples. Ce qui n’est pas le cas, ce qui n’est plus le cas pour d’autres peuples européens.
En vérité, on aurait tout à gagner à poser sereinement ces questions afin d’éclairer les uns et les autres sur cette lancinante question de l’appartenance ou des appartenances nationales. Car j’entends souvent des gens répéter allègrement que les populations d’origine maghrébine et africaine ne sont en aucun cas « intégrables » quand bien même on leur donnerait toutes leurs chances. Toutes leurs chances ?
Il y a surtout en l’air cette idée que l’Islam et la République sont radicalement opposés. Et il est vrai qu’il y a bien pour l’heure un certain antagonisme. Mais, au lieu de mobiliser les per-sonnes concernées pour dépasser cet affrontement dans un cadre républicain, on en conclut que, tout comme la Turquie musulmane (bien que laïque), ces populations ne pourraient ja-mais acquérir une place entière dans les sociétés européennes et chrétiennes.
Oh ! Pour éviter d’étaler trop crument cette conception de la citoyenneté, on met bien en exergue quelques réussites individuelles. Ce faisant, « l’échec » des autres apparait alors dans toute sa nudité comme un refus conscient et volontaire de s’intégrer.
La question pertinente « C’est quoi être Français ? » devient alors douteuse dès lors qu’elle nous est servie sur un terreau malsain. Au lieu de pousser à plus d’enracinement, elle ne fait remue tant d’amalgames censés illustrer ces prétendus échecs d’intégration : communautaris-me, islamisme, burqa, terrorisme, et tant d’autres « menaces » potentielles qui mettraient en péril « l’identité nationale » de notre belle France.
Et il est d’autant plus désolant que ce débat sera clos dès lors que les élections auront eu lieu, pour ne surgir à nouveau que par la grâce de nos chers politiciens. Mais alors, quid des effets dévastateurs de ce remue-ménage nauséabond sur ces populations, d’origine étrangère récen-te, désignées ainsi à la vindicte populaire ? Que veut-on au juste ? Que nos enfants s’enracinent encore plus dans ce « creuset français » qui en a absorbé bien d’autres par le pas-sé, et en des circonstances parfois plus dramatiques qu’aujourd’hui ? Ou alors, cherche-t-on volontairement à les installer dans un communautarisme exacerbé ? Et que gagne-t-on alors à les voir vivre dans des « colonies » intérieures, avec des frontières, voire des murs intérieurs ?
• Mustapha Kharmoudi - Ecrivain
• Dernier ouvrage paru : « Ô Besançon, une jeunesse 70 », éd. l’Harmattan
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