Un visa pour « l’Eldorado » et un autre pour « le Paradis » !

22 avril 2007 - 00h00 - Maroc - Ecrit par : L.A

De nos jours, obtenir un visa Schengen est une mission impossible pour les Maghrébins et l’Europe n’est guère l’Eldorado des immigrés de jadis. Pourtant, ils font encore fantasmer tant de jeunes maghrébins qui souhaitent échapper à la misère et fuir les horizons bouchés. Ils sont même devenus un mythe pour une jeunesse qui ne rêve que d’une vie et d’un avenir meilleurs loin de chez elle, d’une existence ailleurs, loin du désespoir vécu au quotidien.

Le visa est une formalité nécessaire pour passer légalement de l’autre côté du Mare nostrum mais son obtention est devenue utopique pour de nombreux jeunes maghrébins. Alors, il faut envisager d’autres solutions pour concrétiser ce rêve de l’Eldorado. Parmi les solutions disponibles, il y en a une qui est la plus prisée et ce malgré les risques qu’elle présente : celle de s’offrir une traversée clandestine à bord d’une embarcation de fortune. Les offres des trafiquants des souffrances humaines ne manquent pas ; n’est-ce pas que le malheur des uns fait le bonheur des autres, dit l’adage ? Il faut juste quelques économies pour payer les passeurs et un peu de courage car c’est une question de vie ou de mort. Quand les horizons sont tous bouchés et que l’espoir ne se trouve que de l’autre côté de la Méditerranée, pourquoi ne pas risquer sa vie et tenter sa chance. Un adage marocain dit : « vaut mieux ta mort que ta vie », ce qui signifie en langage populaire « mieux vaut mourir dans la dignité que souffrir dans la misère » !

Les jeunes Maghrébins espèrent comme jamais atteindre cet Eldorado de plus en plus inaccessible, au fur et à mesure que l’Europe verrouille ses frontières. Ceux qui ne font pas partie des privilégiés du système tentent de fuir par tous les moyens les injustices, la pauvreté, le mépris, l’humiliation. Bref, le mal de vivre ! Le phénomène de ces embarcations de fortune où l’on s’entasse comme du bétail pour une périlleuse traversée de la Méditerranée, est en constante augmentation. Les non-diplômés et les illettrés ne sont pas les seuls concernés par ces fuites désespérées. De hauts diplômés sont désormais interressés par ces tentatives d’immigration à haut risque.

D’autres jeunes sont séduits par d’autres solutions qui fleurissent dans les médinas. Celles des théoriciens islamistes qui prétendent disposer d’un remède efficace contre les injustices et le mal vivre : le retour à la religion rigoriste des premiers temps de l’Islam. Ce genre de discours divin venu de l’espace à travers des médias moyen-orientaux envahit l’intimité des Maghrébins, mais aussi les écoles, les universités et bien sûr les mosquées. Mais comment le mettre en pratique pour se sortir effectivement de la misère ou plus exactement comment rétablir la justice ?

Les théologiens traditionalistes, dits modérés, vous répondent ceci : « appliquer rigoureusement la Charia (la loi islamique) et les préceptes austères de l’Islam et tout ira mieux pour vous et votre pays ». Quant aux intégristes, dits extrémistes, eux, ils vous proposent la solution finale dans une lotion magique à base de « versets sataniques » accompagnée d’une potion bourrée d’explosifs pour en finir vite avec la misère et une fois pour toutes avec les injustices : Al-Istichhad, se martyriser. « Un visa kamikaze pour le Paradis » !

En vérité, ces types de discours ne datent pas d’aujourd’hui mais ils ont trouvé une aura forte dans la mondialisation. De moins en moins restreints à leur contexte traditionnel moyen-oriental, ces prêches de la haine de la vie se propagent à une vitesse fulgurante qui tient évidemment à la nature extraordinaire de notre ère de communication et de diffusion. Sur des supports audiovisuels, des chaînes de télévision satellitaires, des sites Web, les discours des Oulémas (docteurs en religion islamique ou « savants ! » littéralement), ces pseudo-savants qui n’ont jamais rien inventé ou découvert de leurs efforts prophétiques à part la haine de l’autre, l’archaïsme et le sous-développement, se sont multipliés ces dernières années. Ils ne cessent de réclamer le Djihad contre les impies et les mécréants, responsables à leurs yeux de leurs malheurs ; des discours bien sûr nourris des images d’horreur : guerre d’Irak, de Palestine, du Liban, d’Afghanistan et de Tchétchénie. Tout en diabolisant l’Occident et sa civilisation, ces obscurantistes veulent ramener leurs peuples à l’âge pur des débuts de l’Islam, voire à l’âge de la pierre. De la foi à l’idéologie et de l’idéologie au meurtre et à la destruction ; voilà, en un clic de souris, en une touche tactile ou en un zapping de télécommande, comment l’endoctrinement intégriste capte les esprits fragiles.

La propagation dans les pays du Maghreb de cette idéologie intégriste célébrant le meurtre et professant la destruction de la civilisation n’est aussi que le résultat d’une politique volontaire d’arabo-islamisation des sociétés nord-africaines en général et de l’éducation en particulier depuis les indépendances.

A vrai dire, il s’agit des indépendances culturelles de l’Occident des lumières et surtout des dépendances de l’Orient des ténèbres. Politique conduite avec succès et excès par des idéologues arabistes et salafistes liés aux doctrines idéologiques orientales : panarabisme du Proche-Orient et wahhabisme de la Péninsule arabique. Dans les années 1980-90, les régimes en place ont encouragé avec le financement de l’Arabie saoudite la prolifération de la doctrine wahhabite, dans le but de contaminer les courants progressistes, de diviser la société, afin de couper court à l’opposition pour mieux régner et gouverner.

La diffusion de cette culture panarabo-islamiste à grande échelle à travers l’école et les médias locaux, c’est aussi pour cultiver l’ignorance pour mieux dominer et c’est manipuler le peuple par une pensée pervers afin de l’empêcher de s’émanciper, de réclamer ses droits, la démocratie et surtout le laisser livrer son sort à la fatalité. Il est difficile d’admettre que les pionniers de cette politique ont agi avec sincérité et sans arrière pensée ? Pourquoi n’ont-ils pas envoyé et n’envoient toujours pas d’ailleurs leurs enfants à l’école publique au lieu de la mission occidentale ? Pourquoi n’appliquent-ils pas les mêmes m¦urs arabo-islamiques enseignés au peuple ? Pourtant rationnellement, ce qui est bon pour le peuple l’est aussi pour leurs familles et leurs progénitures, et vice-versa.

Il est certain qu’ils ignoraient que leur politique allait faire tant de dégâts et produire des fanatiques. Pourquoi anticiper puisque bien évidemment les enfants des privilégiés du système sont épargnés ? Les enfants du peuple, eux, ont bien assimilé tous ces discours arabo-islamiques et veulent les appliquer à la lettre. Ce que l’école n’a pu transmettre, est aussitôt repris en main dans d’autres lieux ; et celui que l’école n’a pas su éveiller devient une proie facile aux obscurantistes : des confréries intégristes qui agissent dans l’impunité totale, des lieux de culte transformés en centres de recyclage des consciences innocentes et de l’apprentissage à la haine de la vie.

Voilà le résultat de leur politique arabo-islamiste : ils ont semé l’opium des peuples, ils récoltent des bombes humaines. Au Maghreb, les pouvoirs se font piéger par leurs propres contradictions. Ils s’approprient l’exclusivité du champ religieux pour légitimer leurs autorités et leurs politiques et se trouvent confrontés à l’intégrisme qu’ils ont semé et qui leur renvoie les mêmes discours et se pose comme alternative à leurs régimes. D’autant que les prédicateurs du Djihad et les intégristes trouvent dans la misère qui sévit au Maghreb un terreau idéal pour le recrutement des djihadistes. Il faut s’attendre à ce que bon nombre de jeunes perdus, sans repères, sans espoir d’avenir, soient séduits par les discours des orateurs complètement hallucinés utilisant la religion pour recruter des innocents et pour servir leurs desseins.

Que font alors les politiciens maghrébins pour leur chère patrie respective pour rectifier cette politique ? Ils s’abritent derrière une fausse identité pour gouverner : ils falsifient l’histoire de leurs pays, ils nient la culture et l’identité authentiques de leurs peuples, ils arabisent l’enseignement tout en francisant l’administration et l’économie, ils font répandre la culture orientale, et ils refusent la démocratie et la laïcité. Tout ce qu’ils font c’est se disputer la rente ou plutôt ce qu’il reste et les privilèges bien évidemment. Après tout, que reste-t-il pour le peuple de ses ressources, de son patrimoine, de son héritage, des ses langues et de ses références historiques ? Bien sûr, que la misère et des doctrines et des modèles venus d’ailleurs. Pourquoi alors s’étonner des jeunes qui ont perdu tout espoir de vie dans leurs pays ? Ils ne peuvent que rêver d’un au-delà meilleur : un Eldorado visible à l’horizon et accessible par une petite croisière ou un Paradis décrit de manière mythologique dans la littérature orientale digne des mille et une nuits.

Le fossé se creuse de plus en plus entre les pouvoirs respectifs et leurs peuples, entre le sommet et la base. Les Maghrébins se sentent offensés dans leur dignité et leur fierté par l’emprise de leurs dirigeants et humiliés par le comportement de leurs élites. Le plus grave, c’est qu’une bourgeoisie très égoïste et complètement déconnectée de la réalité, exploite odieusement le peuple, affiche avec exagération et sans aucune pudeur ses richesses et ses vices. Et quand les élites qui doivent montrer l’exemple se comportent aussi honteusement, les peuples se sentent de plus en plus humiliés. Des quartiers dépourvus d’un minimum de conditions de vie décente, oubliés par les pouvoirs publics, bref laissés-pour-compte poussent comme des champignons à la périphérie des villes. Et quand l’Etat déserte ces lieux, ce sont les autres qui les investissent, en fournissant bien sûr les moyens de subsistance mais aussi l’endoctrinement.

Les tristes événements de Casablanca et d’Alger ne sont en effet qu’un prélude d’une grande problématique. L’exclusion et la misère sont des catalyseurs, certes, mais les causes réelles sont plus profondes et liées entre autres aux frustrations politiques et à l’absence de perspectives démocratiques. Si le désespoir est si profond au Maghreb, c’est que les alternatives et les possibilités de changement sont aussi vaines. Tout le monde sait que la vie politique est quasi inexistante et les élections ne sont qu’un leurre et les institutions dites démocratiques ne sont qu’une façade. Les pouvoirs en place verrouillent leurs pays tout en neutralisant toute aspiration démocratique. Des régimes qui paraissent bloqués, incapables de s’adapter aux bouleversements du monde.

Ces événements vont-ils inciter les pouvoirs en place à s’interroger sur les raisons qui poussent les gens à se donner la mort et à semer la terreur autour d’eux ? Sont-ils prêts pour le changement ? Vont-ils enfin éradiquer les injustices, les inégalités, la corruption ? Vont-ils développer les compétences nécessaires pour bâtir les économies de leurs pays sans compter sur les seules recettes dégagées des rentes ? Sont-ils capables de produire des élites citoyennes et responsables qui auront le courage de parler vrai, de convaincre leurs peuples que la laïcité, la démocratie et le développement humain sont les vraies remèdes à la misère, aux injustices et à la mauvaise gouvernance.

Mohamed Sihaddou
Ingénieur en Télédétection Toulouse-France

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