Cinq individus, âgés entre 22 et 46 ans, soupçonnés d’appartenir à l’organisation terroriste Daesh et de préparer des attentats contre des installations vitales et des institutions sécuritaires, ont été arrêtés par les forces de sécurité marocaines.
Ils étaient quelques centaines à partir combattre en Afghanistan, souvent avec la bénédiction des services américains et marocains. Retour sur l’histoire des “Afghans marocains”, qui est loin d’avoir révélé tous ses secrets.
“Je me suis rendu en Syrie. De là, j’ai pu avoir un visa d’entrée en Iran, d’où je me suis rendu en Afghanistan. Après, je me suis retrouvé par erreur dans le camp d’entraînement El Farouk situé dans l’est du pays et géré par Al Qaïda”. C’est par ces mots que Mohamed Ben Moujane a tenté de se défendre, il y a une semaine, devant le juge
Abdelaziz Benchekroun de la Cour d’appel de Rabat. Avec bien peu de succès, puisque la Cour l’a condamné à dix ans de prison ferme pour “appartenance à une bande criminelle dans le but de préparer et de commettre des actes terroristes” et “non-dénonciation de crimes portant atteinte à la sûreté de l’Etat”. L’islamiste, âgé aujourd’hui de 25 ans, avait rejoint, après une formation militaire, la garde rapprochée d’Oussama Ben Laden en 1997, avant d’être arrêté en 2001 par la sécurité pakistanaise et remis aux troupes américaines.
Le jeune homme fait partie de la deuxième vague des “Afghans marocains”, ceux qui sont partis en Afghanistan après le départ des forces soviétiques. C’est ce qui explique, en partie, que la justice ait eu la main aussi lourde. “On a sûrement considéré que les Marocains partis en Afghanistan à l’époque où les talibans étaient au pouvoir étaient plus coupables, parce qu’ils avaient rejoint le régime le plus islamiste qui ait jamais existé. Sans compter que la fréquentation de Ben Laden n’est considérée comme un crime qu’à partir des années 90, quand ce dernier s’était retourné contre ses protecteurs américains”, explique une source proche de la défense.
La guerre sainte contre l’URSS
Deux poids, deux mesures. C’est effectivement l’impression que laisse le procès des autres ex-prisonniers de Guantanamo, remis par les Etats-Unis au Maroc, et qui s’est terminé par leur acquittement par le même tribunal le 19 janvier dernier. Abdellah Tabarak et ses quatre compagnons font effectivement partie de ces Marocains partis en Afghanistan… avec la bénédiction des autorités marocaines. “À l’époque, on ne cachait pas ses projets de départ pour l’Afghanistan. C’était même un honneur de le clamer haut et fort. Nous étions même accueillis en héros”, rappelle l’un des rescapés de Guantanamo récemment acquittés.
Ils seraient, selon les services de sécurité, près de 600 Marocains à avoir fait un passage, pour une période plus ou moins longue, par les camps d’entraînement des fameux “Moujahidines arabes” d’Afghanistan, pilotés à l’époque par Oussama Ben Laden. La majorité avait pris part, dans les années 1980, à la “guerre sainte” contre les forces soviétiques déployées en Afghanistan.
L’histoire de ces Afghans marocains est loin d’avoir révélé tous ses secrets. La lettre adressée, il y a quelques semaines, au ministre de la Justice par le prisonnier salafiste Ali Allam, remet à l’ordre du jour la face cachée du jihad marocain en Afghanistan. Dans sa missive, le salafiste, condamné à 10 ans de prison au lendemain des attentats du 16 mai, ne demande pas moins que “le jugement et la condamnation” de personnalités politiques comme Driss Basri ou Abdelkébir Mdaghri Alaoui parce qu’ils seraient directement responsables du départ de centaines de Marocains en Afghanistan. “Quand on m’a convaincu de partir au jihad dans ce pays, je n’avais pas plus de 17 ans, écrit Allam. Et quand j’ai pris la route pour Riyad avant de me rendre à Kaboul, ce ne fut pas sur une patera ou avec de faux papiers. J’ai pris l’avion de l’aéroport Mohammed V et j’ai traversé les frontières avec un passeport bien en règle”.
La lettre de Allam confirme finalement ce que l’on soupçonnait déjà : le départ pour l’Afghanistan se faisait avec la bénédiction et le soutien des autorités marocaines. Mais quelle était la portée de ce soutien et qui a véritablement géré le départ de ces centaines de jihadistes marocains ?
Les réseaux du “Safari Club”
Les services marocains - et particulièrement la DGED - collaboraient à l’époque de Dlimi, et ce depuis septembre 1976, avec d’autres services de renseignement occidentaux, la CIA en tête. Mais tout porte à croire que c’est au sein du “Safari Club”, qui rassemblait, entre autres, les services français, iraniens, saoudiens et égyptiens, que l’idée de monter une filière marocaine pour le “jihad” en Afghanistan avait été évoquée pour la première fois. “Si l’idée confortait spécialement les Américains, hostiles à la présence soviétique en Afghanistan, Riyad comme le Caire avaient tout intérêt à collaborer pour repousser le péril rouge qui menaçait les capitales arabes”, rappelle un ancien agent des services de renseignement. Pour ces derniers, contribuer à la défaite de l’URSS communiste était du pain bénit, tant les mouvements marxistes-léninistes avaient le vent en poupe auprès de la jeunesse locale. Selon les documents que la presse américaine a réussi à se procurer, sous couvert de jihad, les services secrets américains, en collaboration avec ceux de nombreux pays arabes, ont recruté entre 1982 et 1992 plus de 35 000 islamistes purs et durs dans 40 pays différents. Résultat : c’est en 1982 que les premiers volontaires marocains sont briefés pour aller combattre en Afghanistan, envahi quelques années plus tôt par les troupes soviétiques. Le Pakistan et les Etats-Unis servaient de base arrière, d’où partaient les moujahidines marocains.
Avec le soutien financier des Américains et des Saoudiens, et la bénédiction du gouvernement marocain, des centaines de jeunes jihadistes marocains vont se retrouver dans les montagnes de Tora Bora pour combattre l’armée soviétique. “Ainsi, les États-Unis ont non seulement appuyé les moujahidines en général, mais ils ont de plus cautionné, en 1986, un plan pakistanais concocté spécialement pour recruter des combattants dans le monde entier, afin de démontrer que le monde musulman au complet approuvait la guerre contre l’Union soviétique”, précise le chercheur Mohamed Darif.
Le passage par les Etats-Unis était souhaitable, mais pas indispensable. Les futurs combattants islamistes pouvaient aussi bien faire leur entraînement dans les montagnes du Nevada que dans les contreforts pakistanais. Abdelamajid Gouzi, le directeur du journal régional Al Ichraq, a bien suivi cette vague de recrutement qui faisait de Fès un point de transit obligé, en raison des nombreuses médersas religieuses qui formaient nos talibans locaux. “Des garçons comme Hassan Loualfi, mort en Afghanistan, avaient été approchés en raison de leur attachement à une vision rétrograde de la religion. Repéré par des agents recruteurs qui faisaient le tour des écoles coraniques de Fès, il avait été vite convaincu de la nécessité de participer au jihad contre les impies communistes. Loualfi avait été ensuite pris en charge par les Américains. Ces derniers lui ont fait suivre un entraînement militaire intensif dans un camp de la CIA aux Etats-Unis, avant de l’envoyer à Kaboul”, révèle Mohammed Darif.
Le rôle de l’Etat marocain
La première vague envoyée en pleine guerre comprenait quelques dizaines de jihadistes, alors que la grande majorité des départs s’est faite juste après la défaite des Russes. Après la fin de la guerre, les Marocains ont surtout travaillé dans l’humanitaire. “Jusqu’en 1989, la stratégie américaine consistait essentiellement à encourager le jihad contre les Russes. L’administration américaine a exercé à l’époque de grandes pressions sur tous les régimes arabes, dont le Maroc, pour qu’ils facilitent le départ de leurs jeunes en Afghanistan. Les Marocains sont partis un peu tard, ce qui fait que la plupart n’ont pas vraiment participé à la guerre contre les Russes”, rappelle Mohamed Darif. C’est d’ailleurs le cas de Ahmed Rafiki, dit Abou Houdaïfa, qui s’était rendu en Afghanistan en 1989 pour participer à la guerre entre les factions rivales après le départ de l’occupant soviétique. Soupçonné d’avoir été l’infirmier en chef de Ben Laden, l’homme prétend avoir rencontré le chef d’Al Qaïda, une seule et unique fois, à l’occasion d’un discours prononcé devant les moujahidines arabes. “La plupart des autres pays arabes fournissaient des milliers de combattants à la lutte du peuple afghan contre les Soviétiques, mais il ne devait y avoir qu’une centaine de Marocains en Afghanistan. Comme nous étions partis après la fin de la guerre contre les Russes, nous servions surtout dans les hôpitaux, parce qu’il y avait beaucoup de blessés”, avait confié Ahmed Rafiki, quelques jours avant son arrestation, au lendemain des attentats du 16 mai.
Dans la foulée, des personnalités politiques marocaines bien en vue avaient le feu vert des autorités pour mener ce travail “humanitaire” encouragé par les Américains. Un certain Driss Basri suivait de près le recrutement dans les facs de Rabat et l’Association marocaine de soutien au jihad du peuple afghan n’avait rien d’illégal. Bien au contraire, elle était présidée par une figure marquante : le docteur Abdelkrim El Khatib en personne, qui allait fonder quelques années plus tard le PJD !
De moujahidines à terroristes ?
Dans cette histoire secrète des Afghans marocains, la propagande constituait un volet important de la stratégie officielle. Ceux qu’on appelle aujourd’hui, communément, les prêcheurs de la haine, avaient à l’époque pignon sur rue et officiaient dans des mosquées très fréquentées. Les Fizazi et autres Rafiki touchaient un salaire conséquent pour “appeler les jeunes Marocains à adhérer au jihad contre les Russes”. S’appuyant sur le lumpenprolétariat islamiste, la CIA, par services marocains interposés, n’a eu aucun mal à répandre la propagande jihadiste jusque dans les facultés et les mosquées les plus reculées du royaume. Cassettes vidéo, enregistrements audio, prêches enflammés… le ministère des Habous et des affaires islamiques avait d’ailleurs les pleins pouvoirs pour accompagner une machine américaine bien huilée. C’était à l’époque où le département était chapeauté par Abdelkébir Mdaghri Alaoui.
La machine de recrutement et d’endoctrinement fonctionnait à plein régime, jusqu’à ce que l’un des personnages les plus importants parmi les “Afghans arabes”, un certain Oussama Ben Laden, décide de changer son fusil d’épaule et de se rebeller contre ses protecteurs américains. Les “valeureux moujahidines marocains” vont, depuis, être affublés du statut peu honorable de “terroristes” et devenir ainsi la bête noire des services de renseignement. Les Marocains en tête.
Al Qaïda : Appellation d’origine contrôlée
On entend régulièrement parler d’Al Qaïda. Cette appellation spécifique, dont l’évocation donne des cheveux blancs à toutes les polices du monde, a pourtant une histoire d’une exaspérante banalité. Il s’agit tout simplement d’une adaptation de circonstance du fameux répertoire intitulé « la base », mis à jour par les lieutenants de Ben Laden, dans lequel on trouve les noms de quelque 20 000 à 30 000 combattants islamiques, dont la plupart avaient été recrutés par la CIA pour combattre l’armée soviétique en Afghanistan. La déroute des talibans avait permis aux services américains de mettre la main sur le fameux fichier, qui leur a permis notamment d’arrêter bon nombre de Marocains en Afghanistan, avant d’en transférer quelques uns à Guantanamo. Les services marocains avaient eu l’autorisation de répertorier les “Afghans marocains” sur la base des détails récupérés dans les registres d’Al Qaïda, saisis au lendemain de la débâcle de l’organisation d’Oussama Ben Laden en Afghanistan, début 2002.
Jihad : La manne financière
“Les Américains ont dépensé environ un milliard de dollars en armes et en matériel. Et pour chaque dollar que la CIA a investi en Afghanistan pour déloger les Soviétiques, l’Arabie Saoudite en a dépensé autant”, écrit le journaliste pakistanais Ahmed Rachid dans son ouvrage-enquête “L’Ombre des Talibans”. Dans cette manne financière, une grosse partie servait à prendre en charge le voyage et le quotidien des moujahidines arabes, qu’ils soient marocains, algériens ou même sénégalais. Au Maroc, les dollars saoudiens transitaient par des associations qui avaient pignon sur rue. L’association Adaâwa Ila Al Qoran Wa Sunna, installée à Marrakech, se faisait un honneur de financer les candidats au jihad en Afghanistan, en profitant au passage pour faire l’apologie du wahhabisme. Dirigée d’une main de fer par Mohamed Maghraoui, un théologien qui a fait ses premières armes en Arabie Saoudite, l’association aurait reçu de l’Etat saoudien, depuis sa création au milieu des années 80, des aides substantielles estimées à plus de 10 millions de dirhams. Une autre association assurait les mêmes “services”, mais à une échelle moins importante. Elle était notamment gérée par un ex-infirmier, Ahmed Rafiki, alias Abou Houdaïfa, et par son fils Mohamed Abdelwahab Rafiki, le fameux Abou Hafs.
TelQuel - Abdellatif El Azizi
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