Editer son livre au Maroc : le parcours du combattant

27 mars 2007 - 00h01 - Culture - Ecrit par : L.A

Quelles difficultés rencontrent les auteurs marocains pour se faire éditer ? Pourquoi nombre d’entre eux se voient obligés d’éditer eux-mêmes leurs livres ? Y a-t-il manque d’éditeurs ? Ou est-il question de moyens ?

Plusieurs auteurs au Maroc éditent à compte d’auteur ! Sur les 1200 livres édités par an, 250 sont publiés à compte d’auteur. Ce qui représente 20% du taux des livres édités annuellement au Maroc.
Pourquoi, alors, de plus en plus d’auteurs éditent eux-mêmes leurs livres ? « Se faire éditer chez nous, c’est un véritable casse-tête », se plaint l’écrivain Jalal El Hakmaoui, qui pointe du doigt « le manque de professionnalisme chez nombre d’éditeurs ». « Les éditeurs, en tout cas la majorité d’entre eux, n’ont pas de projets éditoriaux autonomes ; ils ne cherchent pas de jeunes talents, ils n’ont pas d’organigrammes professionnels », dit-il, sur le ton du reproche. Il enfonce le clou en ajoutant que « les maisons d’édition chez nous fonctionnent généralement comme des structures familiales ; elles ne font pas d’efforts pour se professionnaliser ». Qu’en pensent les éditeurs ? « Il y a au Maroc des maisons d’édition où il n’y a qu’une seule personne qui s’occupe de toute la chaîne de fabrication du livre : recevoir le manuscrit, le lire, le mettre en page, le corriger, l’imprimer et le commercialiser », admet l’éditeur Abdelkader Retnani. Pour le patron de la maison Eddif, le problème dépasse, parfois, les éditeurs eux-mêmes. « Je sélectionne une quarantaine de manuscrits par an, mais je ne peux sortir qu’une vingtaine », dit-il, en arguant des difficultés à la fois financières et commerciales. « Le livre a du mal à trouver preneur chez nous », déplore-t-il. Pour les « clients » qui prennent la peine d’aller chez le libraire, ils ne peuvent le faire qu’une seule fois par mois. « Vu la rareté des lecteurs, le libraire ne peut pas prendre plus qu’un livre mensuellement », explique-t-il.

L’éditeur ne peut s’aventurer à mettre sur les rayons des librairies, - qui sont d’ailleurs très rares-, plus d’un livre par mois, sans risquer de se voir infliger une boutade. Résultat : une grosse déception chez les auteurs qui sont « souvent pressés de se voir éditer ».

Autre raison invoquée, la qualité des écrits proposés qui fait défaut. « Souvent, un auteur ne juge de la qualité de son écrit que par lui-même », regrettent généralement les éditeurs. Selon ces derniers, le recours à l’auto-édition n’est pas toujours dû à des raisons financières.

« N’est-ce pas là le moyen de contourner « le diktat » des comités de lecture ? », s’interroge l’un d’entre eux, l’air suspicieux. Ce n’est pas toujours le cas. « Même les auteurs confirmés se voient, parfois, dans l’obligation d’éditer leurs livres à leur propre compte », certifie Jalal El Hakmaoui. « Le problème est à situer d’abord en amont », pense l’auteur-journaliste Najib Refaïf, précisant qu’il y a « des maillons, sinon complètement absents, du moins faibles dans le fonctionnement du dispositif éditorial au Maroc ». S’agissant des « maillons faibles », M. Refaïf en veut pour exemple la rareté des éditeurs et des libraires au Maroc. En ce qui concerne les éditeurs, le choix est très limité. « Il y a une demi-douzaine d’éditeurs généralistes », regrette M. Refaïf. « A qui s’adresser alors pour se faire éditer ? », se demande-t-il, perplexe.

Qu’en est-il également des éditions du ministère de la Culture qui, pour encourager les auteurs débutants, s’engage depuis quelques années à publier « leurs premiers livres » ? « Le ministère de tutelle ne peut pas s’improviser éditeur, sa tâche doit se limiter à subventionner les éditeurs au lieu de devenir leur concurrent », tranche J. Hekmaoui. « C’est bien que le département de tutelle encourage les jeunes auteurs, mais sa tâche doit consister à sélectionner leurs écrits et confier leur publication par la suite à un éditeur », affirme M. Retnani, ajoutant que le ministère de la Culture ne saurait se substituer aux éditeurs.

Pour l’édition francophone, on relève d’autres griefs. « Les subventions de l’ambassade de France créent un tapage socio-politique pour des éditeurs qui n’ont pas de projets éditoriaux autonomes », martèle J. Hekmaoui, qui ajoute que « la sélection des écrits obéit parfois à des considérations extra-littéraires ».
Récapitulons : difficultés financières et commerciales chez les éditeurs, qualité du produit proposé à l’édition, critères de sélection des écrits qui ne prennent toujours pas en considération la valeur de l’écrit lui-même…

Cela somme toute suffit-il à expliquer le « calvaire » des auteurs de chez nous ? Quel est alors le « maillon absent » dans cette chaîne de difficultés ? « La pédagogie de la lecture au Maroc est absente », martèle M. Refaïf. « Il ne faut pas s’étonner que le best-seller se chiffre chez nous à 5000 exemplaires », dit-t-il, en précisant que la réhabilitation de l’édition chez nous doit nécessairement passer par la réhabilitation de la lecture elle-même. « Nous sommes dans une société dont la moitié est analphabète, l’autre moitié ne s’intéresse pas au livre car il n’y a pas de véritable politique culturelle dans notre pays », affirme Jalal Hekmaoui.
« En tout état de cause, ajoute-t-il, c’est l’écrivain qui trinque ».

Autrement dit, l’écrivain qui a l’espoir de diffuser un livre doit débourser de sa propre poche. Mais là encore, ce n’est pas toujours évident. Au-delà du coût de l’auto-édition (35 à 40 000 DH pour éditer seulement un millier d’exemplaires), le chemin est long à parcourir pour que le livre édité à compte d’auteur débarque finalement sur les rayons du libraire.
L’auteur concerné se voit obligé de faire le « boulot » à la place de l’éditeur, du coursier, du livreur… Une entreprise qui n’est pas sans poser de risques, d’autant plus que le lectorat n’est pas toujours au rendez-vous dans un pays qui a développé de fâcheuses habitudes de non-lecture.

Aujourd’hui le Maroc - M’Hamed Hamrouch

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