Les Marocains plus croyants, mais moins crispés en religion

28 juillet 2008 - 09h27 - Maroc - Ecrit par : L.A

99 % des jeunes Marocains croient en l’existence de Dieu et d’une vie après la mort. Mais ils vivent leur religion paisiblement, à leur manière, loin de toute propagande.

La dernière étude de la Fondation allemande Bertelsmann de recherche sociale (Bertelsmann Stiftung), s’est déversée comme un seau d’eau glacée sur tous ceux qui, jusque-là, affirmaient que la foi et la pratique religieuse étaient en recul chez les jeunes. Cette enquête, menée dans 21 pays auprès de 21.000 personnes de 18 à 29 ans, révèle ainsi que 85% des jeunes adultes à travers le monde se disent croyants et 44% profondément croyants, contre 13% seulement qui se déclarent athées.

Pour la Fondation créée en 1977, à l’initiative de l’éditeur Reinhard Mohn, la conclusion est évidente : « La supposition selon laquelle la croyance religieuse décline de génération en génération est clairement démentie par notre enquête universelle, et ce même dans les nations industrialisés », soutient Martin Rieger, l’un des meneurs de ladite étude. Le stéréotype d’une jeunesse universelle dont une mondialisation sauvage et galopante a uniformisé le mode de vie, la pensée et les croyances, serait-il définitivement mort et enterré ? Les jeunes du troisième millénaire vénéreraient-ils une autre divinité que le dieu-argent ?

Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que dans le lot, les jeunes Marocains font figure de champions. 99% parmi eux croient ainsi en Dieu et en une vie après la mort. Soit loin devant les jeunes issus de pays dont la population est pourtant considérée comme fortement croyante, tels le Brésil et le Nigeria (90%) ou encore Israël (80%). Et, à l’instar des Turcs ou des Indiens, les trois quarts des jeunes Marocains confient faire leur prière au moins une fois par jour. Doit-on déduire pour autant de cette étude émanant d’une organisation occidentale que la société marocaine vit un regain du sentiment religieux et, partant de là, s’inquiéter des risques de dérive et d’extrémisme chez la jeunesse marocaine sur fond d’islamophobie ambiante et de matraquage médiatique autour d’un prétendu choc des civilisations ?

D’autant plus que les quelques sondages maroco-marocains distillés de temps à autre par des bureaux d’études privés à la demande d’ONG ou de chercheurs universitaires (à défaut d’études officielles à ce sujet), viennent confirmer les résultats de l’étude réalisée par la Fondation Bertelsmann, tout en apportant un éclairage peu rassurant sur les positions de ces mêmes jeunes autour de certains phénomènes sociaux. Positions que d’aucuns, militants des droits de l’Homme en tête, considèrent comme une immixtion de la communauté dans la vie privée et une atteinte aux libertés individuelles. Ainsi, dans L’Islam au quotidien (Editions Prologues), un sondage réalisé fin 2007 par les politologues Mohammed El Ayadi et Mohammed Tozy et l’anthropologue Hassan Rachik auprès d’un échantillon de 1156 Marocains et Marocaines, on apprend que 49,8% des 18-24 ans se définissent d’abord par leur identité musulmane et que 66% d’entre eux pensent que l’islam apporte une solution à tout.

Par ailleurs, 83% des sondés approuvent le voile et 57% n’apprécient pas la mixité sur les plages. Tandis que 44% se disent favorables à la polygamie et 61% opposés à la cohabitation entre croyants et non-croyants. Mieux : 21% des jeunes approuvent les mouvements djihadistes.

Alors, plus crispés dans leur pratique et leurs convictions religieuses, les jeunes Marocains ?

« Clairement ! Il n’y a qu’à sortir dans la rue et les lieux publics pour s’en rendre compte. On y croise de plus en plus de jeunes filles voilées, de garçons barbus ou de jeunes en tenue afghane. Je me souviens qu’à mon époque, nous les filles sortions en mini-jupe, les garçons avaient les cheveux longs et des vêtements près du corps, sans qu’aucun de nous ne se fasse harceler, traiter de prostituée ou d’homosexuel.

Il arrivait même à certains d’entre nous de ne pas faire leur prière, de boire et de ne pas suivre le jeûne du mois de Ramadan, sans que cela dérange véritablement leur entourage. Il faut dire aussi que les jeunes d’alors étaient politisés pour la plupart, souvent dans les mouvements d’extrême-gauche, et se voulaient, au lendemain de l’indépendance, porteurs d’un projet de Maroc nouveau, bercé d’idéaux de modernité et d’égalité », se remémore Atika, 50 ans, ingénieur agronome.

Certains analystes refusent à leur tour de cantonner l’islamisation de la jeunesse marocaine à des origines purement sociales. Ainsi, dans une interview accordée à Canadian Jewish News le 29 juin 2006, le journaliste français Jean-Pierre Tuquoi soutient en substance que les islamistes ont été utilisés par Hassan II pour contrer la gauche marocaine, qui noyautait alors les universités : « Pour couper l’herbe sous les pieds à ses adversaires de gauche (…) Hassan II a fait le jeu des islamistes. Ça a tellement bien marché (…) qu’aujourd’hui, les universités marocaines sont contrôlées par les islamistes », affirme M. Tuquoi, spécialiste du monde arabe.

Pour d’autres observateurs, les regains de foi, si l’on peut dire, des jeunes Marocains, sont généralement éphémères car intimement liés à certains épisodes de l’Histoire et autres événements extérieurs mettant en scène la “oumma”, la communauté musulmane et partant, arabe en général. Le sentiment d’appartenance à cette dernière referait sensiblement surface à chaque fois que ces mêmes jeunes la sentent “agressés”. Il en a été de la sorte durant les différents conflits israélo-arabes (1948, 1967, 1973, etc) et leur atmosphère panarabiste impulsé par le charismatique Nasser, la révolution islamique de Khomeïny (1979) ou, plus récemment, la guerre du Golfe (1990) et les attentats du 11 septembre 2001, prétexte à l’intrusion américaine en Afghanistan et, indirectement, en Irak.

Le voile islamique, une mode passagère ?

De là à faire l’amalgame entre Américains, Israéliens, Juifs et sionistes, chrétienté prosélyte et Occident, athéisme et laïcité, il n’y a qu’un pas que certains prédicateurs radicaux n’hésitent pas à franchir, pour mieux embrigader des jeunes Arabes et Musulmans, Marocains compris, vulnérables socio-économiquement ou psychologiquement, simplement en quête de repères identitaires, d’une seconde famille ou d’un refuge où vider leur mal-être. Et ils sont quelques-uns à avoir cédé de la sorte aux sirènes de l’islamisme radical, allant jusqu’à commettre des attentats-suicides (Casablanca, mai 2003, mars et avril 2007, Madrid, mars 2004) ou à s’en aller en guerre contre les “impies” et autres “mécréants”.

Mais ils ne sont pas aussi nombreux que veulent leur faire croire certains médias internationaux en mal de scoop. Car quoi qu’on en dise, si l’on excepte la catégorie précitée, le Marocain continue à pratiquer, si l’on peut dire, un “islam light”, continuité de l’islam sunnite de rite malékite légué par leurs parents et aïeux. A mille lieues de la vision crispée et extrémiste de la religion musulmane, application stricte et anachronique de la Chariaâ, telle que défendue par certains courants comme le wahabisme ou la salafiya jihadya.

Faute d’un projet de société viable, la nébuleuse Al Qaïda et les mouvements similaires ont incontestablement échoué dans leur dessein d’infiltration de la société et de la jeunesse marocaine. Car celle-ci n’est pas aussi malléable et manipulable qu’elle peut en avoir l’air. Échaudée, elle ne se fie plus aujourd’hui aux discours simplistes et dichotomiques autour du bien et du mal, du “bon et du mauvais musulman”. C’est dire si l’islamisme de 2008 est forcé de se remettre en question s’il veut continuer à exister dans une société marocaine plus que jamais lucide. Preuve parmi d’autres en est l’échec du PJD aux élections législatives de septembre 2007, boudées par ailleurs par 70% des Marocains.

« Vous savez, cette histoire de voile, de burqa et compagnie, ce n’est qu’une vague passagère. Certaines filles que je connais ont retiré leur hidjab après l’avoir porté pendant toute leur adolescence et des garçons que je connais se sont rasé la barbe après un an. Nous autres jeunes Marocains ne voulant pas de cette pratique religieuse radicale, profondément misogyne et intolérante, mais aussi impossible à vivre au quotidien, ramenée par les chaînes satellitaires et les sites internet du Moyen et Proche-Orient. Car nous sommes arabes et musulmans certes, mais Marocains aussi et avant tout. Nous ne voulons pas d’un Islam politique non plus, juste un Islam qui nous parle, qui soit adapté à notre histoire et à notre réalité multiculturelle », rétorque Bouchra, 28 ans, cadre dans une banque.

En attendant, foulard coloré et jean serré, âabaya Gucci et rouge à lèvres Dior, grande sœur voilée et cousine dévergondée, prière le vendredi et nouba le samedi, musique rock endiablée pour le grand frère et minauderies mélodieuses de la sulfureuse Haïfa pour la petite sœur, joint à la main mais pas de porc dans le frigo, concubinage de jeunesse et mariage traditionnel d’âge mûr, des milliers de Marocains continuent à “bricoler” chacun leur religion propre... Celle qui les arrange.

Source : Maroc Hebdo - Mouna Izddine

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