Le rêve d’un harrag prend l’eau

28 septembre 2006 - 06h28 - Maroc - Ecrit par :

Aziz H., tout juste 26 ans, est un jeune Gadiri, cuisinier de métier. Depuis l’obtention de son diplôme en 2002, il peine à trouver un travail stable, malgré un secteur touristique florissant. Certes, il a fait un passage de neuf mois dans un établissement hôtelier de la station balnéaire, mais ni les conditions de travail, ni le salaire - à peine le Smig - ne lui permettent de vivre décemment.

Après des mois de chômage, il s’est pris à rêver d’une vie meilleure en Europe, notamment en Espagne. Pour y arriver, il s’est tout d’abord rendu à Tarfaya l’an dernier, pour se faire un peu d’argent dans le ramassage d’algues et dans l’espoir de trouver un plan pour partir. Mais là, le coût du voyage n’était pas à sa portée. « Le ticket de passage coûte entre 6.000 et 10.000 DH, selon le type d’embarcation, patera ou zodiac. Je n’avais pas cette somme », raconte Aziz. Il ne baisse pas pour autant les bras et rentre à Agadir. Là, sa seule obsession sera de mener à bien son projet. Son histoire ressemble bien sur à celles de nombreux « harraga » (clandestins).

« Au départ d’Agadir, indique-t-il, le voyage pour se rendre clandestinement aux îles Canaries dans des embarcations de fortune en passant par Sidi Ifni est moins cher ». Il faut compter 3.500 à 4.000 dirhams. Sa mère, de guerre lasse puise dans ses bas de laine, emprunte à ses proches puis lui donne l’argent. Conscient du sacrifice maternel, il est déterminé à mettre toutes les chances de son côté.
Il avait entendu dire qu’une douzaine de barques étaient programmées au départ, cet été. Le rendez-vous était donné sur une plage d’Anza au nord du port de commerce de la ville. Pour lui, il était essentiel d’intégrer un bon groupe. Fiable surtout. Pour s’introduire dans le milieu des harraga, il suffit d’aller « traîner » du côté d’Anza, dans la périphérie d’Agadir. Tous les jeunes qui vivent dans cette zone industrielle ne parlent et ne vivent que pour l’Europe. Le continent où ils rêvent de faire fortune. C’est le seul moyen de revenir au bled plein aux as… « comme les autres ».

Les tuyaux et les contacts se refilent facilement. Certains n’hésitent pas à tenter seuls l’aventure : ils organisent eux-mêmes le voyage dans une embarcation achetée à leurs frais. Ils ne veulent pas dépendre d’un passeur. Cela prend bien sûr plusieurs semaines pour mettre les choses au point. Une période au cours de laquelle les membres du groupe se rassemblent quotidiennement tous les soirs dans un lieu fixe pour se mettre en condition. Ces rencontres sont importantes, car les candidats refoulés y racontent avec force détails leur expérience. Il s’agit pour les autres de ne pas faire « les mêmes erreurs ». Une chose est certaine : quand on a échoué une fois, on recommence inlassablement, jusqu’au bout. Et au bout c’est parfois, voire souvent, la mort. Mais tant pis, le mirage de l’Eldorado européen est encore plus fort.

Aziz, lui, est sûr de son coup. Il croit en sa bonne étoile : il a enfin trouvé une barque solide et des compagnons de confiance. Reste à déterminer le jour du départ. Un rendez-vous qui dépend des conditions météorologiques. Aussi, il faut se tenir prêt. C’est ainsi qu’un soir, après minuit, on l’appelle et on lui demande d’être sur la plage une heure plus tard. Le jour J est arrivé. Muni d’un petit sac à dos, il se fait emmener en voiture utilitaire jusqu’à Anza. Quelle ne fut sa surprise de voir qu’il y avait beaucoup plus de candidats au voyage que prévu.

Au lieu de 16 passagers, il y en avait 34. Soit plus que ne pouvait en contenir l’embarcation. Et tous voulaient partir. La barque ainsi surchargée réussit difficilement à prendre le large. Alors que la plage était encore bien visible, la patera commença à prendre l’eau. S’ensuivit une panique générale. « Certains passagers voulaient continuer, d’autres demandaient à revenir au rivage », affirme Aziz. Lui, il voulait poursuivre. Trop de sacrifices avaient été faits. Mais, ce soir-là, son rêve ne se réalisa pas. Le bateau de fortune dut regagner la terre ferme.
Aziz rentre chez lui au petit matin, trempé jusqu’aux os, les larmes aux yeux et la rage au coeur.

Il venait de perdre 4.000 dirhams bêtement. Bien sûr, pas moyen de récupérer l’argent auprès du passeur. Ce dernier lui propose de retenter sa chance. Au début, il jure de ne plus « se faire avoir ». Mais au fil des jours, quand il en marre de tuer le temps et de broyer du noir au coin du derb, le « hrig » gagne son esprit. Le seul moyen de sortir de cette sinistre situation, c’est l’Europe. Et naturellement, il retourne à Anza. Il n’aura de répit que lorsqu’il aura atteint son but. Contre vents et marées.

Malika Alamii - L’Economiste

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Sujets associés : Immigration clandestine - Agadir

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