Samira El Ayachi, ne l’appelez pas beurette

3 mars 2008 - 09h44 - Culture - Ecrit par : L.A

Fille d’immigrés marocains, nourrie au hip hop et au surréalisme, Samira El Ayachi évacue “la question de l’intégration” dans La Vie rêvée de Mademoiselle S., un premier roman remarqué. “Salima est une fille rêveuse…”, lâche machinalement Samira El Ayachi, un peu déphasée entre deux avions dans la cafétéria déserte de l’aéroport Mohammed V, à Casablanca.

“Non, se reprend-elle. En fait, Salima est réaliste, Salima est en colère”. D’entendre son nom trop souvent écorché, par exemple. “Mademoiselle Aït… Aït… Bensalem ?”.

Ainsi s’ouvre le premier roman de Samira El Ayachi, 28 ans, petite révélation de la rentrée littéraire hexagonale. À travers l’identité malmenée de son héroïne, la jeune auteure lilloise, elle, s’est fait un nom. L’année dernière, l’éditeur Sarbacane n’a pas longtemps hésité, une fois le manuscrit entre les mains, pour ajouter La Vie rêvée de Mademoiselle S. à la liste de sa collection eXprim’, spécialiste ès romans jeunes et urbains.

Tantôt puéril, tantôt viscéral, à la fois frais et désenchanté, le style de Samira El Ayachi ressemble à la trame de son roman, une déclinaison de chroniques adolescentes entre rêveries et coups de gueule, que l’on pourrait trouver griffonnées sur les dernières pages d’un agenda. “Mon manuscrit, je ne l’avais fait lire à personne”, confie Samira. Il faut dire qu’entre Samira et Salima, toutes deux filles d’immigrés du Sud marocain, appelés par les besoins des mines françaises dans les années 70, c’est presque “kif kif”. Mais avec cette margelle de différences qui brouille les cartes. Première de la classe et rondouillarde, entichée d’un bellâtre qui ne la voit pas, postulant pour des heures de ménage pour payer le pèlerinage de ses parents, Salima Aït Bensalem avale des goulées de liberté instantanée pendant les 26 minutes d’un aller-retour au supermarché via l’autoroute. “La vie est ailleurs”, se console-t-elle, réfugiée dans le livre de Milan Kundera à l’arrière du bus 42, en direction d’une barre HLM d’une cité de Lille Sud.

Zola, Balzac… et Begag

“La banlieue, je l’ai connue à la télé”, précise Samira El Ayachi, dont le père a quitté son village de Zaouiat Sidi El Mokhtar, près de Zagora, pour le froid du Pas-de-Calais. Mais dans le coron (village de mineurs) d’accueil, la famille a “une maison et un jardin”. Fallait-il plus de béton pour que le récit prenne ? “J’ai eu besoin de la hauteur des tours de banlieues par opposition avec l’onirisme du livre”, explique Samira, qui s’interroge sur “l’âge auquel on perd nos rêves, cette matière première pour se construire, ce que l’on a de plus singulier, ce point de repère intime quand on entre dans le monde adulte”.

La jeune Samira rêve de devenir écrivain. Si son père est l’un des rares du coron à savoir lire et écrire (qui se charge de remplir les documents d’identité et les fiches d’allocations familiales pour les voisins après la fermeture des mines), le foyer familial n’est pas riche en bouquins. Qu’importe : au collège ou à la commune, Samira traîne dans les allées de la bibliothèque, s’entiche de Azouz Begag, fils d’immigrés algériens grandi dans la banlieue lyonnaise, sociologue urbain et écrivain reconnu (Le Gone du Chabaa, 1986). Invité plusieurs années plus tard au lycée Picasso, dans la commune voisine d’Avion, celui-ci l’encourage. Bonne élève, Samira rafle le Prix Louis Germain (et une première publication aux éditions Flohic), en dédiant sa “Lettre à un professeur qui a marqué votre vie” à sa prof de littérature de seconde, tellement exigeante qu’elle l’a d’abord détestée.

Une fois digéré le réalisme classique de Zola et Balzac, la lectrice se grise pour Céline et, avec Voyage au bout de la nuit, une oralité familière à l’oreille “baignée de poésie religieuse” et de halqa. Même frisson de liberté avec Marguerite Duras : écrire comme on parle, c’est possible. Écrire ce qu’on veut, aussi, lui susurrent les poètes surréalistes (Prévert, Eluard…) et la bande des écrivains de l’Oulipo, emmenée par Raymond Queneau (“Ouvroir de la littérature potentielle”, mouvement fondé en 1960, s’imposant des contraintes littéraires pour stimuler l’imagination).

Du côté de la création

Rentrer dans un moule ? Trop peu pour Samira, même après avoir franchi la frontière de la grande ville pour enchaîner prépas hypokhâgne et khâgne au lycée Faidherbe de Lille. Aucune envie d’être prof : au concours d’entrée à Normale sup’, Samira dessine des fleurs et des moutons sur sa copie. Retour à la ligne et inscription en IUP (Institut universitaire professionnalisé), section Art et culture. “J’ai préféré être du côté de la création”, justifie-t-elle. Et rester aussi du côté de Lille. “Vue du bassin minier, Lille, c’était la possibilité d’une autre vie”.

Touche-à-tout, Samira fait aussi la choriste dans le collectif Juste Cause (avec Dias et HK, futurs membres du groupe Ministère des affaires populaires, pour lequel elle chantera sur le titre Nos Affaires), participe à une émission de Radio Campus, anime un atelier d’écriture dans un foyer de Roubaix, file un coup de main au centre social La Busette et dans une école de danse hip hop, s’investit dans un festival de littérature africaine (FestAfrica)… “Elle a la création facile”, assure son ami Dias.

Mais au discours militant, Samira préfère l’action. Test ADN, Cité de l’immigration… “On s’en fout un peu !, lâche-t-elle d’un haussement d’épaules sous sa cascades de boucles brunes. On veut toujours nous rattacher à notre histoire. Pour moi, toutes ces questions sont dépassées, mais on nous les renvoie à la figure tout le temps”. Et de poursuivre, ironique : “Je n’ai pas brûlé de voitures et j’ai trouvé un boulot du premier coup !”.

À l’Aéronef, salle de concert et bastion lillois de l’avant-garde culturelle, Samira est aussi la responsable développement d’un ensemble d’évènements : Dimanche Open Mic’, Apéro’Conférence, festival “Tous au sud”, Tremplin “Talents du sud”, ateliers MAO (musique assistée par ordinateur) en milieu carcéral, soutien aux maisons de jeunes et associations… Envie de se mettre à jour sur la nouvelle scène française ? Allez donc vous mêler aux 288 “friends” de son MySpace (myspace.com/mademoisellelille), parmi lesquels figurent nombre de musiciens et de poètes (en rap, elle recommande notamment Pépite, de la formation les Malfaiteurs). C’est aussi l’adresse idéale pour écouter la “bande-son” spéciale de La vie rêvée de Mademoiselle S. On y retrouve Axiom, Didier Super, Rachid Taha, Emilie Simon, MIG, Les Négresses Vertes, DJ Krush, mais aussi Yassine Rami, alias “Rairap”, rappeur casablancais et ancien du duo meknassi SanS LimiteS, rencontré à l’école de commerce de Lille. Samira espérait d’ailleurs le croiser pendant son séjour sur la terre de ses parents, où elle est venue présenter son roman dans le cadre du Salon du livre de Casablanca. C’était d’ailleurs la première fois qu’elle revenait au Maroc, en dehors des “vacances au bled” annuelles. L’occasion d’un autre retour aux sources, moins balnéaire, plus littéraire. Hasard ou pas, la jeune écrivaine relit en ce moment La civilisation ma mère, de feu Driss Chraïbi.

Source : TelQuel - Cerise Maréchaud

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