Sarko, les Beurs et les “beurgeois”

21 mars 2007 - 00h00 - France - Ecrit par : L.A

En stigmatisant les Beurs, le candidat de l’UMP favorise le repli communautariste. Quant aux “beurgeois” qui s’apprêtent à voter pour lui, ils risquent dêtre décus sitôt l’élection passée.

Nicolas Sarkozy me pose un problème. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’hypothèse qu’il puisse devenir président de la République française est loin de m’enchanter. Mais cela, me direz-vous, n’est qu’une crainte, ce n’est pas un problème. Et, pour savoir si cette perspective peu reluisante va se réaliser, il faudra attendre le soir du 6 mai prochain, ou peut-être, on ne sait jamais, le soir du 22 avril, date du premier tour.

Non, mon souci actuel n’est pas (encore) le résultat du scrutin. En fait, j’aimerais être sûr que mon aversion pour le candidat de l’UMP ne repose pas uniquement sur des motifs liés à mon identité [maghrébine].

Mais qu’est-ce qui est le plus important dans la somme – impressionnante – de griefs adressés à l’encontre de Sarkozy ? Sa vision néolibérale de l’économie ou son soutien sans nuance à Israël durant la guerre du Liban de l’été dernier ? Est-ce le fait qu’il veuille casser les 35 heures ou ses propos inadmissibles sur la banlieue ? Sont-ce ses insinuations fétides sur les chômeurs – qu’il oppose à la France qui se lève le matin pour aller travailler – ou sa visite de quasi-allégeance à George W. Bush (pauvre gaullisme, qu’a-t-on fait de toi…) ? Est-ce sa volonté – qu’il tente pour l’instant de masquer – de faire payer moins d’impôts aux plus riches ou la manière minable avec laquelle il a tenté récemment d’entretenir l’amalgame entre les musulmans de France et ceux qui ont des comportements condamnables – mais très minoritaires –, comme le fait d’égorger le mouton de l’Aïd dans leur salle de bains ? Est-ce la connivence envahissante qu’il entretient avec les patrons de presse ou la manière dont il a instrumentalisé des organisations intégristes, dont on se demande de quel droit elles parlent au nom de tous les musulmans de France ?

La réponse est : les deux, mon général ! Au risque d’étonner, j’estime qu’il n’existe pas de communauté maghrébine en France, pas plus qu’il n’existe de communauté musulmane. Dans les deux cas, c’est une extrême hétérogénéité qui prime et les différences sociales, culturelles et même politiques sont bien plus importantes que ce qui rassemble. Tout au plus pourrait-on parler de minorités, mais, là encore, rien ne permet d’affirmer que tous les Franco-Maghrébins ou tous les Franco-musulmans se sentent appartenir à une minorité bien définie. Ce qui pousse, en revanche, au communautarisme ou à la revendication, parfois vindicative, d’appartenance à une minorité, c’est le discours de l’autre. L’ignare, le raciste ou le provocateur.

Je ne sais pas si Sarkozy est un adepte du communautarisme ou s’il entend exploiter ce registre pour arracher la victoire. Ce que je sais, par contre, c’est qu’à chaque fois qu’il s’en prend à “ceux qui n’ont qu’à quitter la France s’ils ne l’aiment pas” – suivez mon regard – il donne du souffle à la tentation communautariste, ce qui, bien sûr, ne peut que servir ses ambitions politiques.

Au demeurant, ils sont nombreux à ne pas aimer, non pas la France, mais ceux qui la dirigent – ou aspirent à le faire –, et je ne vois pas pourquoi ils la quitteraient. Dans le même temps, peut-on, sans verser dans le communautarisme, déplorer le fait que des Français d’origine maghrébine – appelez-les comme vous le souhaitez, Beurs, blédards… – entendent voter pour Sarkozy ? Le phénomène est bien réel et loin d’être marginal. Il suffit de faire un tour dans les bavardoirs sur Internet pour se rendre compte que Sarko a ses partisans – acharnés, pour certains – chez les Beurs, les Kabyles, les Berbères, les Muslims, ces termes étant les labels respectifs des forums en question.

Passons très vite sur ceux qui y trouvent un intérêt matériel direct et qui – au-delà de toute conviction politique ou de tout engagement personnel – se sont acoquinés avec la droite parce qu’il y avait une opportunité ou qu’en face les places étaient déjà prises. Le cas de certaines associations, montées à la va-vite mais avec force subventions depuis les émeutes de 2005, parle de lui-même. Il y a ceux, vraisemblablement plus rares, qui ont dépassé la question de leur identité et qui font leur choix en fonction de critères plus nationaux et du discours auquel ils adhèrent le plus. C’est l’ordre musclé pour les uns, la valeur travail pour les autres, tout cela sans négliger le fait que de nombreux Beurs voient en Sarkozy quelqu’un qui n’est finalement qu’un fils d’immigré qui a réussi.

Et puis il y a les “beurgeois”, ravis d’être arrivés où ils sont, apeurés à l’idée de ne plus y être, et qui estiment que voter pour la droite achève de conforter leur statut social. La “beurgeoisie”, c’est comme toute bourgeoisie : elle tremblera toujours pour sa vaisselle en ayant peur qu’on lui ordonne de partager. Mais on ne peut être ce genre de “beurgeois” sans trahir une part de soi et, à y regarder de près, je préfère octroyer le peu d’indulgence qui me reste aux petits magouilleurs associatifs qui vont au Sarkoland comme on va à la soupe plutôt que d’être tendre vis-à-vis d’élites beurs qui feignent de croire que la droite va les regarder autrement parce qu’elles votent pour elle.

Courrier International - Akram Belkaïd

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