Sud Marocain : Les seniors du littoral

2 mars 2005 - 10h03 - France - Ecrit par :

Des milliers de retraités européens passent l’hiver sur la côte sud, à bord de leurs camping-cars. Rencontre avec les cigales et les fourmis du plus gros rassemblement sauvage.

Un matin de février au bord de la route qui relie Agadir à Taghazout. Au niveau du « kilomètre 17 », deux vieux messieurs promènent leur chien. Ils s’arrêtent régulièrement pour souffler et contempler le paysage, le seul de ce genre dans tout le Maroc. Au loin, on voit la mer, et entre l’eau et l’asphalte, une énorme concentration de camping-cars. Près de 1300 véhicules stationnent face à la plage, étalés sur plus de 5 kilomètres. Leurs occupants sont des retraités, en majorité français et allemands, mais aussi suisses, hollandais, italiens, espagnols, irlandais et scandinaves. Des seniors qui ont fuit la rigueur climatique et financière européenne pour la douceur de vivre. Ils migrent ici pendant l’hiver, pour un séjour moyen de trois à six mois. « Moi ça fait 11 ans que je viens chercher le soleil ici. Au début on n’était qu’une centaine de camping-cars là-bas dans les dunes », se souvient Louis, l’un des deux messieurs, âgé de 79 ans. La colonie a grossi chaque année. Depuis deux ans, c’est un vrai papy-boom. « Mais ça ne me gêne pas, cet entassement. On est libre, on fait ce qu’on veut. Et puis à présent, il y a tout un tas de services », assure Louis, en repartant vers le campement avec son chien et son ami. En effet, les autochtones ont mis en place tout un tas de petits boulots pour répondre aux besoins de ces touristes du troisième âge. « On a tout ce qu’on veut. D’abord le soleil qui nous fournit l’électricité (grâce à des panneaux), mais aussi le camion-citerne qui nous livre l’eau, les journaux étrangers, plein de marchands ambulants et même un postier », explique Annie, 63 ans, qui profite de la vie au Maroc pour la troisième fois et pour trois mois.

Le petit commerce s’adapte
Arrive justement Salah, le célèbre marchand de journaux du campement et sa rengaine à haut débit : « Le journal d’aujourd’hui, France soir, le Figaro, le Monde, Deutsche zeitung, Die Zeit… ». Pendant qu’Annie et son mari font leur choix, leur voisin tente d’installer une parabole sur le toit de son camping-car, avec l’aide d’un électricien. Presque tous les camping-caristes passent leurs soirées devant les chaînes de leur pays d’origine. Un peu plus loin, quatre couples s’installent à table, Mimoun vient de leur apporter le couscous qu’ils ont commandé la veille. « C’est ma femme qui le cuisine. J’en livre une douzaine de parts chaque jour », explique ce dernier, très fier de son concept de livraison à domicile. Il lui permet de gagner en quelques mois de quoi nourrir sa famille toute l’année. Khalid, visage tanné enroulé dans un chech, affiche lui aussi un large sourire : il vient d’empocher 600 dirhams en décorant quelques camping-cars et vu le nombre de véhicules garés sur le terrain, il lui reste encore un certain nombre de toiles potentielles « Je suis le meilleur. Je peins tout ce qu’ils veulent. Mais ce qu’ils préfèrent, c’est le visage de touaregs sur fond d’oasis ». D’autres s’adonnent au troc, comme Michel qui échange des minerais contre des paires de jeans qu’il a ramenées de France : « ça, c’est le vrai truc du camping-cariste. J’échange tout et ils y gagnent ! ». S’il leur manque malgré tout quelque chose, les touristes peuvent pousser jusqu’à Agadir pour s’offrir un repas au restaurant, aller chez un spécialiste, réparer ou refaire leurs lunettes ou d’acheter des apéritifs à l’hypermarché.

Le jour du souk hebdomadaire, une bonne partie du campement se rend à pied, à vélo ou en scooter jusqu’au village voisin d’Aourir, appelé aussi le "village des bananes". « Regardez ces tomates comme elles sont belles, et bien moins cher que chez nous. On se refait une santé en 3 mois », s’enthousiasme Jocelyne, 65 ans, en posant les tomates au sommet de son panier déjà rempli de poireaux, d’oranges et de salades. « On fait un peu des affaires », confie Lahcen, vendeur de carottes, avant de jurer qu’il pratique les mêmes prix envers les étrangers et locaux.

Surpopulation et pollution

« Beaucoup de gens du coin gagnent leur vie pendant la saison d’hiver avec les touristes retraités, mais ça ne dure que quelques mois, et pour combien de temps encore ? », se demande Mohamed, le chef des gardiens du « kilomètre 17 ». Le terrain appartient à la commune voisine, mais est loué et gardienné par des privés, qui demandent 10 dirhams par jour et par véhicule. « Le problème est qu’on doit traiter nous-mêmes les déchets, de plus en plus importants », explique le gardien. Des fosses sont creusées dans le sable pour vider les cassettes (réservoirs des toilettes) et les ordures ramassées et brûlées plus loin. Mais sans véritable déchetterie, il n’est pas rare de voir des détritus traîner dans l’oued, puis dans la mer. Un problème qui se pose dans tous les endroits de la côte où font escale les camping-cars Selon Chakib Lahlou, délégué régional du tourisme d’Agadir, le camping sauvage finira par être interdit sur le littoral. Le responsable explique : « ce genre de tourisme rapporte moins que celui des hôtels, néanmoins, il fait tourner certains rouages de l’économie locale. On l’encourage, mais il faut l’organiser ». Une campagne de sensibilisation doit être lancée, pour attirer l’attention des camping-caristes sur le respect de l’environnement. Pourtant, le plus urgent est d’investir dans de nouveaux campings (ceux qui existent sont insuffisants) et des décharges pour l’élimination des déchets. « C’est vrai que c’est un peu l’anarchie. Alors on en profite tant qu’on peut encore », avoue lucidement André, Breton de 68 ans, en marchant sur la plage avec sa femme et le petit Bichon maltais qu’ils ont acheté l’année dernière au "village des bananes". « On a fait le Maroc en long et en large, maintenant on préfère se poser ici, libres, sans murs ». La plupart des seniors du campement sont conscients des limites de leur présence massive sur cette partie de la côte, mais bien décidés à profiter au maximum de ce sursis au soleil. Entre balades, séances de bronzage, siestes, couchers de soleil, discussions et apéros entre voisins, ils oublient tous leurs soucis. Finis les dépenses de chauffage et l’isolement. « Et puis ici, on fait plein de rencontres et de découvertes. Les Marocains sont tellement accueillants ! », s’exclame Annie, avant de raconter l’Aïd el kebir qu’elle a passé chez les habitants d’une petite oasis perdue dans le désert. « Accueillants, gentils, débrouillards », des mots qui reviennent souvent dans la bouche des retraités. Et que pensent d’eux les Marocains ? De l’avis prudent d’un des gardiens du campement : « il y a des généreux et des moins généreux. Il y a des bons et des mauvais, comme partout dans le monde ».

Armandine Penna - Le Journal Hebdo

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