Un récent rapport du Centre Al Hayat met en exergue la contribution significative des Marocains résidant à l’étranger (MRE) au développement de leur pays d’origine. Toutefois, ces derniers restent confrontés à des difficultés qui limitent leurs...
Le nouveau règne en a fait un nouveau cheval de bataille du jihad économique. Dans les chiffres, le grand retour n’est pas au rendez-vous. Si des problèmes subsistent, de nombreux MRE s’installent pour travailler au Maroc... à défaut d’y investir.
L’argent n’a pas d’odeur, celui des MRE encore moins. La question fait jaser, les beurs étalent les signes extérieurs de leur richesse : voitures, maisons de vacances. D’après ce chauffeur de taxi, "On ne peut gagner autant d’argent, aussi vite quand on est honnête. C’est de l’argent haram". Mais derrière l’ostentatoire, la réalité est plus complexe. L’origine des
versements est difficile à retracer et l’investissement lui-même n’est pas cernable, tout simplement parce que près de 70% de la formation brute de capital fixe (FBCF) est constituée par des apports propres, "même pour des investissements hautement capitalistiques, l’intermédiation bancaire n’est pas la règle" note un économiste. En l’absence de données, la politique d’incitation à l’investissement de la fondation Hassan II est au mieux un vœu pieux, sinon un leurre. Seloa El Marzouki s’occupe de la gestion du call-center de Barid Al Maghrib (BAM). Née en France, elle a laissé tomber une opportunité d’embauche aux états-Unis où elle étudiait pour s’installer au Maroc. Dans son cas, l’incitation venait d’amis. Après une première expérience dans une très petite entreprise, elle s’épanouit dans ses fonctions actuelles. "Je suis arrivée en pleine restructuration de BAM, il y a un dynamisme qui m’a immédiatement plu. Tout est à reconstruire, il y a donc beaucoup d’opportunités qui se profilent".Le retour au pays est attractif, et le nouveau règne a contribué à redonner confiance aux MRE. Ces dernières années, l’image du Maroc est plutôt positive (sécurité, stabilité).
Pour Mohamed El Ouahdoudi, directeur général de MRH et organisateur de la Convention France-Maghreb, il ya un bémol : "Ce qui fait cruellement défaut, c’est une vision stratégique". Les conséquences en sont déjà visibles. On peut déceler une désaffiliation, sensible il est vrai, notamment des deuxième et troisième générations. Les chiffres dont on dispose concernent les transferts financiers, attribués au MRE, sans pour autant qu’on sache comment se fait le tri entre l’argent des immigrés et celui des étrangers. Pour l’année 2004, les transferts des MRE se sont élevés à 37,4 milliards DH, en hausse de 8% par rapport à 2003. Satisfaisants, ces chiffres ? Rien n’est moins sûr. Abdesslam El Fettouh, directeur du pôle promotion économique de la Fondation Hassan II ne cache pas son inquiétude : indispensables aujourd’hui pour équilibrer la balance des paiements, ces transferts ne sont pas à l’abri d’un retournement de tendance.
L’investissement "affectif" - le vieux zmagri qui monte un commerce pour assurer ses vieux jours au pays - joue de moins en moins. De quoi tordre le cou au cliché du MRE, ouvrier de la première génération, propriétaire de mahlaba. Cependant, un des premiers griefs retenus par les investisseurs potentiels est la méfiance des banques : taux d’intérêt élevés, garanties faramineuses. Mais ce qu’on reproche aux autorités de tutelle, c’est de gérer les questions économiques de façon policière (les interlocuteurs de la fondation Hassan II restent les widadiat ou amicales au passé plutôt sulfureux), ou à défaut de privilégier les effets d’annonce. Par exemple, le discours de la fête du trône du 30 juillet 1999 n’a pas été suivi de mesures visibles et efficaces. "Les difficultés auxquelles la communauté marocaine à l’étranger est confrontée" n’ont toujours pas été aplanies. Pour les opérateurs, la fondation Hassan II n’est pas l’interlocuteur qu’il faut. "Ils s’occupent plus de la gestion de l’humanitaire" regrette Younés, jeune MRE. Entendez les problèmes de vol, de perte de documents administratifs, le rapatriement des dépouilles mortelles.
Les acteurs sur le terrain ne font pas toujours confiance au potentiel des immigrés marocains. "Notre valeur ajoutée, par rapport aux Marocains, c’est notre double culture, nous nous sentons chez nous au Maroc". Comparé au travail abattu par la DIE (Direction des Investissements Extérieurs, sous la tutelle du ministère des Affaires générales, des Affaires économiques et de la Mise à niveau de l’Economie), pour attirer des investisseurs étrangers, on est en droit de se demander si les MRE sont pris au sérieux par les opérateurs économiques. Révélatrice, l’étude sur la politique industrielle du Maroc, commandée au cabinet McKinsey ne cite pas les MRE sur les 700 pages du rapport ! Pourtant, le directeur de l’étude est un Marocain installé chez McKinsey, en Suisse. Le problème dépasse donc largement les seuls organismes de tutelle. L’ensemble des opérateurs a du mal à intégrer les MRE dans le marché du travail. Frileux, beaucoup comme Nasser ont préféré plier bagage, "Je me faisais racketter par tout le monde, la famille, les employés, l’administration. J’ai dit stop, maintenant je viens pour les vacances, et encore, pas chaque été".
Jamal Belahrach, 42 ans, fait figure d’exception. Originaire de Dreux, il a eu la chance d’être appelé par une agence spécialisée dans le recrutement de MRE en 1996. Aujourd’hui, il dirige l’agence d’intérim Manpower, leader dans son domaine au Maroc. Homme à poigne, il est adepte d’un management musclé. Une réponse aux critiques du genre "les Marocains ne connaissent pas le sentiment de l’urgence" ou "les Marocains ne travaillent pas" qui reviennent fréquemment dans la bouche des immigrés rentrés au pays. Les élites MRE vivent en vase clos, à l’écart de la société marocaine, qui les rejette et les marginalise. "Ils développent des comportements d’expatriés, comme dans les clubs privés", déplore Mohamed El Ouahdoudi. Le départ tente un nombre croissant de MRE hautement qualifiés. Surtout que nombre de jeunes MRE rentrés au pays ont un joker en poche. La majorité d’entre eux n’a pas complètement lâché les amarres. Le jour où ils n’y croiront plus, ils pourront toujours retourner en France, en Belgique ou ailleurs. On n’est pas sortis de l’auberge !
Mehdi Sekkouri Alaoui et Youssef Aït Akdim - Tel Quel
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