Comment la rue espagnole parlait du Maroc et des Marocains

24 juillet 2002 - 18h07 - Espagne - Ecrit par :

“Ces « moros », il fallait leur donner une leçon une fois pour toute », soutenait Daniel, garde-forestier, après avoir décrit, comme il l’a entendu à la radio, à ses auditeurs marocains, comment les membres des forces spéciales de l’armée espagnole ont pu, en quelques heures, déloger ce mercredi 17 juillet, la demi-douzaine de gendarmes marocains qui se trouvaient sur l’île de Leila.

Daniel cachait à peine son dépit pendant les jours qui ont précédé cette descente. Selon lui qui passait plusieurs moment de la journée l’oreille collée à sa radio, l’îlot dont il ne savait même pas la position, est incontestablement un territoire espagnol que le Maroc venait d’« occuper ». Juan, le journaliste-photographe, adopte la même thèse en prévenant et reprenant indirectement les déclarations du ministre Mariano Rajoy, que dans la province natale de Huelva vivent des milliers de Marocains dont les conditions de vie ne devraient qu’empirer si les choses ne revenaient à leur situation normale.
Luis de la Rasilla, politologue et ancien professeur de droit international à l’université de Madrid, fait montre d’une position radicalement opposée. Pour lui, c’est indiscutable, l’îlot est un territoire marocain. Après avoir consulté une carte maritime et constaté sa proximité de la côte marocaine, il invite un groupe d’Espagnols qui prenaient part aux conférences données dans le cadre d’une université d’été que lui-même a initiée, à regarder la carte et constater le bienfondé de ses dires. « Imaginer qu’une force étrangère, l’Angleterre ou le Japon par exemple, vient revendiquer la possession de ce rocher, explique-t-il en désignant les vestiges d’une tour datant de plusieurs siècles, submergée par la mer et qui se trouve à une dizaine de mètres de la côte de la ville balnéaire de Matalascañas, dans la province de Huelva, comment serait alors votre réaction ? »
De la Rasilla, qui est coordinateur général du projet « Intersur » et qui milite pour un rapprochement effectif et une coopération concrète entre les populations de l’Andalousie, du Nord du Maroc et de la région d’Algarve au Portugal, qualifie de futile ce conflit et regrette qu’au moment où les deux peuples des deux rives du Détroit sont appelés à conjuguer leurs efforts pour un développement mutuel, il soit donné autant d’importance à un rocher inhabité.
Pour lui qui croit fermement que l’Espagne ne peut prospérer sans que les régions du Nord du Maroc se soient développées, ce conflit n’allait que capoter toute initiative de rapprochement entre les populations des deux rives. Bien plus, il va plus loin et manifeste ouvertement son intention de proposer publiquement une co-souveraineté maroco-espagnole sur les deux présides occupée Sebta et Mellilia pour mettre un terme à ce climat de tension qui caractérise les relations entre les deux pays.
Cesar E. Diaz-Carrera, professeur des sciences politiques à l’université de Madrid et directeur de l’Institut pour le développement et la créativité, quoi-que ne partageant pas entièrement la position de De la Rasilla, estime pour sa part que ce conflit n’est qu’une bêtise. Pour lui, l’îlot a toujours été démilitarisé et doit le rester ainsi. Le Maroc, estime-t-il, « a le droit d’y envoyer des brigades des forces de l’ordre pour des besoins de sécurité mais pas pour y installer un poste permanent ». Il estime d’ailleurs qu’un conflit armé entre les deux pays n’allait aboutir à rien, au contraire il allait précipiter toute la région dans un goufre dont elle n’allait plus sortir.
Pour les simples citoyens espagnols, soit que la question ne les intéresse aucunement ou qu’ils sont acquis à la thèse officielle largement diffusée par tous les moyens de communication. Plusieurs journaux ont en effet excellé pour accuser le Maroc et les Marocains de tous les torts.
Huelva informacion, un quotidien régional, qualifie ainsi les Marocains d’ingrats. « Si vous leur donnez la main il vous prenne tout le bras » écrit un éditorialiste du journal. Des messages similaires plein de haine abondent dans la quasitotalité de la presse espagnole et le lecteur moyen méconnaissant du Maroc déjà riche d’une culture de préjugés accumulés pendant plusieurs siècles et qui donnent une image caricaturale et hostile du marocain, a facilement été aliéné à la thèse officielle de son gouvernement.
Une telle dramatisation de la crise et acharnement sur le peuple et le gouvernement marocains de la part des médias n’a pas été sans avoir provoqué un climat d’inquiétude et de crainte chez les Marocains ayant suivi par ces médias l’évolution de la crise. Beaucoup d’entre eux se sont empressé de téléphoner à leur familles et ami pour s’enquérir de la vrai situation des choses et se sont étonné de constater le trop d’importance qui a été donné en Espagne à un événement dont même leurs interlocuteurs ne savaient que peu pendant les premiers jours de son déclenchement. Ce n’est que plusieurs jours après, lorsque les autorités espagnoles ont entamé une campagne d’information, invitant, en langue arabe, les Marocains résidant en dans leur pays et des MRE de passage, de ne pas s’alarmer et que l’Espagne « a toujours été et reste toujours une terre d’accueil et de passage hospitalière pour les Marocains » que ces marocains résidant ou en vacances en Espagne ont recommencé à vivre normalement leur vie.
Entièrement insoucieuses de cette crise, la douzaine des jeunes marocains vendeurs ambulants, continuent, de leur part, à étendre chaque jour les étales de leur commerce de toc à même le sol sur l’allée maritime de la petite ville côtière de Matalascaña. Pour la plupart d’eux qui ont quitté leur pays clandestinement, et qui n’ont par retrouvé les conditions de vies meilleures dont ils rêvaient, l’îlot Leila est la dernière chose qui les préoccupe. Le problème ne les concerne pas.

Par Tahar Abou Elfarah pour libération

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