Dans le monde des immigrants clandestins

7 janvier 2007 - 02h53 - Maroc - Ecrit par : L.A

Des immigrants africains sans papier parlent de leurs rêves pour une vie meilleure, et évoquent des voyages qui tournent au cauchemar.

De nombreux jeunes africains, fuyant les guerres et la misère, confient leur destinée à des contrebandiers dans l’espoir d’atteindre les rivages européens. Ils y jouent souvent toutes leurs économies et, dans certains cas, risquent leur vie.

Zakaria Mohammed, qui vient du Libéria, est l’un des milliers d’immigrants clandestins africains à travers le Maroc à attendre de pénétrer en Europe. De constitution chétive, les cheveux ébouriffés, il tend une main tremblante aux passants qui arpentent les abords de la gare ferroviaire située dans le quartier chic de Agdal, à Rabat. Dans un français primaire, il implore ceux qui marchent devant lui de donner un dirham ou deux, afin de pouvoir s’acheter de la nourriture, car, dit-il, "je n’ai rien mangé depuis des jours."

Il raconte qu’il est arrivé en cherchant un travail, afin de subsister dans l’attente de trouver une opportunité lui permettant de rentrer en territoire européen, à proximité de la côte marocaine. Ce sont des centaines de kilomètres qu’il a parcouru à pied, en voiture. Il a "oublié" la question du visa et rapporte qu’il doit trouver entre 800 et 1000 dollars.

Mohammed, 29 ans, était l’assistant d’un tailleur au Libéria, mais son salaire, dit-il, ne suffisait pas à payer quelques cigarettes.

Jonathan Mourini vient du Ghana, et dit qu’il lave maintenant des voitures pour vivre. Il n’est jamais certain que le propriétaire du véhicule le dédommage pour son service. "Je le laisse à l’appréciation de mes clients, et ils ne sont pas toujours d’accord". Mourini est entré au Maroc par la route, il avait commencé son voyage de presue trois semaines le 15 juin 2006. "J’ai dit à mes amis, à Accra, où je travaillais dans une fonderie, que je pourrais trouver du travail au Maroc, et, avec l’argent que je gagne maintenant, je pourrai me payer un voyage en bateau vers l’Espagne". Et à propos du visa d’entrée ? "Donnez-moi 800 Euros et vous verrez, répond-il malicieusement.

Le voyage clandestin par la mer s’effectue dans des embarcations mono-moteur et délabrés — batirat — depuis le Maroc, prévues pour supporter dix passagers, quand les contrebandiers en transportent parfois le double.

Les dernières années ont montré un changement notable dans le profil et la nationalité des émigrants. En 1999, 86% de ceux qui essayaient de rejoindre l’Espagne par le delta de Gibraltar étaient marocains — 20% d’entre eux étaient africains. Suite aux pressions européenne sur la présidence madrilène, ces pourcentages ont été inversés : les marocains ne représentent plus que 12% des entrants, ce sont les populations africaines qui complètent aujourd’hui le pourcentage.

Les trafiquants préfèrent le Maroc pour mener à bien leurs opérations et engranger des profits massifs, qui sont estimés à un tiers de ceux réalisés par les trafiquants de drogue. Selon un rapport du département d’Etat américain sur le trafic d’êtres humains, publié en 2004, entre 600 000 et 800 000 hommes, femmes et enfants sont l’objet de trafic à travers les frontières internationales. Selon le Bureau Fédéral d’Investigation, ces activités génèrent un revenu annuel de quelques 9.5 milliards de dollars.

Mourini, 27 ans, ne pense qu’à retourner au Ghana. "Je suis fatigué de mendier, et je ne crois plus pouvoir gagner suffisamment d’argent pour pouvoir entrer en Espagne. Mon rêve à changé, je voulais acheter une voiture et une maison à Accra, maintenant je ne demande que du pain".

Mourad Wahba, coordinateur du Programme des Nations-Unies au Maroc, dit que le problème est devenu extraordinairement complexe, le nombre d’arrivants continuant à augmenter. Il estime leur nobre entre 12 000 et 15 000. "Nous devons faire face à ce problème dès maintenant, parce que nous avons à appréhender des dimensions sécuritaires et sanitaires... Nous aimerions qu’ils suivent une formation professionnelle qui leur permettent de retourner dans leur pays."

Selon Abdel Jalil Aroussi, de l’Association marocaine des Droits de l’Homme, le nombre toujours en augmentation des immigrants clandestins rend plus complexe de trouver une solution sérieuse au problème. "Il faut diviser les immigrants en trois catégories. La première, ce sont des gens qui demandent le droit d’asile et dont le dossier est à la Haute Commission pour les Réfugiés. La deuxième, ce sont des personnes venues au Maroc pour suivre un cursus éducatif, ne l’ont pas suivi jusqu’au bout et sont finalement restés. La troisième, ce sont les victimes des contrebandiers. Ils n’ont aucun appui légal les autorisant à rester au Maroc, mais ils attendent l’opportunité de pénétrer sur le sol espagnol — une tentative pleine de dangers.

Maghrebia - Jamel Arfaoui

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