Debbouze : "Ouvrir la brèche pour les autres, c’est le kif du kif !"

27 juillet 2006 - 09h49 - Culture - Ecrit par : Bladi.net

A Cannes, il a été récompensé pour “Indigènes”, un film de réconciliation nationale. Sur Canal+, il donne l’antenne aux jeunes humoristes des cités.
Rencontre avec Jamel Debbouze, un p’tit gars de Trappes qui a la tchatche.

On ne l’imaginait pas si frêle, si fragile, si enfantin. Si vif. Tellement vif ! Jamel Debbouze, 31 ans, est une sorte de Peter Pan venu du Sud. Du Maroc exactement, ou plutôt de Trappes, la cité de banlieue où il n’a jamais fini de grandir. Au plus intime de l’exclusion. Il cumulait, dit-il, les handicaps : une gueule basanée, 1,65 m, 50 kilos, un bras en moins, de l’asthme. Mais au sein d’une famille exemplaire : mère admirable, fratrie soudée. Alors l’aîné des six enfants s’en est vite sorti par la parole. Une tchatche infernale, irrésistible, qui, de la Ligue d’improvisation des Yvelines à Canal+, via Radio Nova, a fait de lui, dès Astérix et Obélix, Mission Cléopâtre (2002), l’acteur français le mieux payé du box-office. Et on ne compte pas les ventes pharaoniques des DVD de ses deux one-man-show. Aujourd’hui tout le monde aime Jamel ; tout le monde, de gauche à droite, tente de le récupérer. Sauf qu’il en a trop vu et n’est dupe de rien. Il a juste envie d’aider à faire cesser le mépris, l’oubli.

En témoigne l’aventure d’Indigènes, de Rachid Bouchareb : ou comment une armée de 110 000 Maghrébins et 20 000 Africains a contribué à libérer la France entre 1944 et 1945, mais « sans être autorisés à défiler sur les Champs-Elysées le jour de la victoire parce qu’ils étaient arabes ou noirs, résume Jamel. Nous avons voulu mettre un Post-it sur l’Histoire ». Il a produit le film avec sa société Kissman (la même qui produira tout l’été sur Canal+ le Jamel comedy club, best of des meilleurs jeunes comiques actuels des cités, repérés et présentés par lui...).

Et il a été récompensé. Pour Indigènes, au dernier festival de Cannes, Jamel a reçu avec ses partenaires le Prix « collectif » d’interprétation masculine. Deux mois plus tard, il en a encore des étoiles plein les yeux.

Jamel Debbouze : D’abord, avec ce prix, ce sont les propres petits-fils d’« indigènes » qui ont été célébrés. A travers nous, nos arrière-grands-pères immigrés trouvent enfin une dignité. Eux qui se sont battus pour la France y ont été installés dans des conditions lamentables, ont travaillé comme des chiens à reconstruire le pays, à goudronner nos routes, avant de crever dans des foyers Sonacotra, où la seule occupation était de collectionner les boîtes de pâtes vides ! Ils étaient devenus de nulle part : pas tolérés ici, quasi étrangers chez eux.

Pourtant c’est grâce à leurs sacrifices que j’ai le droit de vote ! Grâce à eux que j’ai monté les marches à Cannes, où, vu mes origines, je n’étais vraiment pas censé être, ni recevoir ce prix ! Membre du jury, le réalisateur Tim Burton, que je vénère, m’a même dit que j’avais « élevé le niveau d’interprétation du Festival » ! Du coup, j’avais moi-même l’impression d’être dans un film - j’ai d’ailleurs souvent l’impression que ma vie est un film, un film qui n’existe pas, entre dessin animé et film d’horreur. Pensez : être enfin reconnu comédien par des professionnels, quand les comiques sont d’habitude à peine considérés comme acteurs. Devenir légitime !

Télérama : Vous ne vous sentiez pas encore légitime en tant que comédien ?

Jamel Debbouze : Je ne me considère pas encore au point. J’ai du chemin à faire. Mais je vais m’y mettre et je progresse sur le tas de film en film. Je suis meilleur, par exemple, dans Angel-A, de Luc Besson, que dans Indigènes, que j’avais tourné juste avant. J’ai tendance à me précipiter et à avaler mes mots, j’ai toujours envie de dire sept choses en même temps. Besson m’a appris à canaliser mon énergie, à gérer ma course d’interprète comme un marathonien. Avant lui, à chaque scène, je me donnais à mort, d’un coup. Besson m’a enseigné la technique. Sans ça on s’épuise, on ne tient pas la route. Quand mon copain Jean-Pierre Bacri m’a parlé de Tchekhov ou de l’Actors Studio de Lee Strasberg, j’étais perdu, aussi. Alors je m’y suis plongé, j’ai fouiné... Je me rappelle qu’une des premières fois où je suis allé chez lui, il m’a lu Roméo et Juliette, de Shakespeare, puis Le Roi Lear. Je ne comprenais pas tout, mais ça me faisait rêver. Comme quand il me lisait Le Misanthrope, de Molière. Peu à peu, ça m’a aidé à m’épaissir.

Moi, ma culture, c’est surtout la musique, James Brown, Barry White, la Motown. Et le cinéma américain. A l’école, la majorité des élèves n’étaient pas très motivés, et c’est vrai que les profs de français de ma ZEP ne s’acharnaient pas : avec eux, on faisait du collage. Ou du pliage. Mais comment mes parents auraient-ils pu mieux m’orienter ? Ils étaient complètement largués lors des fameuses « réunions pédagogiques »...

Télérama : Comment est née, alors, l’envie de raconter des histoires ?

Jamel Debbouze : J’aurais fait n’importe quoi, gamin, pour attirer l’attention. Malgré mon mètre 65, ma mauvaise santé et mes 50 kilos. Ou plutôt à cause de mon mètre 65, de ma mauvaise santé et de mes 5O kilos. Mes frustrations m’ont poussé. J’adorais le foot, mais j’étais pas très bon ; restait la tchatche. A 10 ans, j’avais déjà une grande gueule. C’est qu’on passait des heures à discuter avec les copains dans les escaliers de la cité, à s’envoyer des vannes, à rigoler de toute cette merde tout autour pour ne pas en crever.

Et j’avais repéré qu’au collège il y avait un cours d’improvisation en sixième 1 - classe de l’élite ! -, où, à la pause, on distribuait aux petits blonds aux yeux bleus qui y étaient des sandwiches au camembert avec cornichons. Sans faire Cosette, chez nous - où on mangeait toujours à notre faim -, il n’y avait quand même jamais de camembert ou de cornichons. Par gourmandise, j’ai voulu entrer au cours. Difficile pour un petit Arabe. Alors, histoire de faire remarquer mes talents, je me suis mis à insulter à chaque récré les élèves de sixième 1 en langage si fleuri que leur prof, Alain Degois, m’a remarqué. Intégré au cours. Puis plus tard à sa propre compagnie d’impro. Je lui dois tout. Peu à peu, j’étais accepté, reconnu quelque part. On ne me disait plus dès que j’apparaissais : « Casse-toi ! Interdit ! Touche pas ! Arrête ! Non ! » mais : « Bienvenue ! Bravo ! Continue ! Tu reviens quand ? Oui ! » J’avais enfin une place, j’étais valorisé, donc motivé. Ça m’a sorti de l’embrouille, de la misère. Et depuis vingt ans maintenant, je suis persuadé qu’on réduira davantage le désespoir des banlieues et la violence qui va avec en disant aux quelques gamins qui le méritent « c’est bien » qu’en assommant de sanctions ceux qui n’en peuvent plus d’être rejetés, méprisés.

Télérama : Vous l’avez beaucoup été ?

Jamel Debbouze : Vous êtes naïve ou quoi ? A 16 ans, je m’étais fait tout beau pour accompagner aux Bains-Douches un copain qui y avait ses entrées ; la videuse de la boîte me refuse l’accès en demandant à mon pote : « Qu’est-ce que c’est que ça ? » Le lendemain, j’avais un entretien d’embauche chez McDo. Ma mère repasse mon plus beau pantalon, mon meilleur polo. Dès que j’arrive, le responsable me déclare : « Monsieur, vous ne savez peut-être pas qu’il faut mieux s’habiller pour un entretien d’embauche. » Mais qu’est-ce qu’il en savait, cet enfoiré, de ce que j’avais dans mon placard ?... Quand on sort de ces situations-là, on a envie de tout casser, de tout brûler.

C’est la guerre dans la tête. Parce que vous êtes soudain rejeté en entier, votre existence est niée, votre vie réduite à zéro. Et si les gens vivent mal, sont exclus de partout, tout le temps, de ZEP en zone à machin chose, forcément ils se comportent mal. S’il y a un carreau de cassé dans une cité, la mairie doit vite le remplacer parce que si c’est trop moche on aura encore plus envie d’en casser un deuxième, un troisième. Ça fait vingt ans que je dis que ça va péter dans les banlieues.

Télérama : Et ça a pété...

Jamel Debbouze : La misère rend agressif, la pisse dans l’ascenseur de l’immeuble, les rats dans l’escalier, les cafards dans les chambres. Jusqu’où peut aller le seuil de tolérance ? C’est bien qu’il se soit enfin passé quelque chose : brûler des bagnoles pour les gosses des cités, c’est comme défiler avec des banderoles pour les étudiants parisiens. On a les moyens qu’on peut. Tous les changements radicaux passent par des révolutions fortes. Et il faut que ça change.

Télérama : Et ça a changé ?

Jamel Debbouze : Le seul signe positif, jusqu’à présent, c’est la présence du Noir Harry Roselmack au JT de 20 heures sur TF1... Mais même si ça sent de plus en plus mauvais, même si le gouvernement a supprimé la plupart de leurs subventions aux associations sur le terrain qui ont sauvé des gamins comme moi - des assoces genre ma ligue d’impro... -, je veux croire que les choses sont en marche. Que le bien va l’emporter sur le mal, qu’à la fin du film tout le monde sera content. Je crois en la France, j’adore ce pays, c’est le mien. C’est pour ça que je pète un plomb quand on parle aux beurs dont je suis d’« intégration ». Mais intégrés à quoi ? On est français, on fait partie du bloc ! On vous parle de vous intégrer, à vous ?


Télérama : On ne vous a pourtant pas tellement entendu lors de la fameuse crise des banlieues, l’automne dernier.

Jamel Debbouze : Je ne voulais pas être l’alibi. L’otage. Le signe que tout peut s’arranger quand on a la tchatche et l’énergie. Je suis, hélas, une exception. Je n’ai pas envie qu’on se serve de moi. Ni d’être porte-parole ou assistante sociale, de l’autre côté... Je n’ai pas à donner de coup de pied dans la fourmilière, car moi je veux juste être une fourmi de plus. Et un trait d’union. Entre la rue et la télé. Un révélateur de frustrations. Mais aussi de joies, aussi de rires, de vitalité. Il y a dans le peuple frustré des cités une énergie de vivre à défoncer tous les parpaings.

Télérama : De Ségolène Royal à Nicolas Sarkozy, nombre de politiques pourtant vous font la cour...

Jamel Debbouze : Je me protège. On me conseille. Et j’ai du pif. Je n’ai confiance en personne. Je sais où est ma place. Ainsi je n’ai pas hésité à aller taper Sarkozy, Hollande et Huchon pour m’aider à financer Indigènes, un vrai film sur l’histoire de France qui incite à la réconciliation nationale. Pourquoi ne pas solliciter des élus censés être au service des autres ? Mais peu le sont réellement. Quand les banlieues flambaient, il valait mieux appeler les pompiers que les socialistes. Pourtant, la politique, n’est-ce pas simplement l’art de vivre ensemble ? Attention, je ne veux pas virer poujadiste, ne plus croire en rien. Ne plus croire, c’est la mort.

Télérama : Alors vous croyez en quoi ?

Jamel Debbouze : En ma mère : le seul vrai bonhomme qui m’ait tout appris, humilité, générosité, volonté. Elle a une telle énergie ! Nous n’avions jamais le droit de nous plaindre. Dans nos univers, on est forcé d’aller à l’essentiel, on n’a pas le temps de s’apitoyer sur soi. Mais si mon père, à force de courber l’échine, était d’une terrible sévérité, ma mère, elle, m’a toujours encouragé. Quand je lui ai dit, après le BEP vente, que je voulais être comédien - de toute façon, avec le bras droit en moins, je pouvais même pas être éboueur ou plombier -, elle m’a soutenu et juste demandé : « Qu’est-ce qu’il te faut ? » J’ai répondu un micro-cravate. Et elle, femme de ménage, a pris un crédit sur quatre ans pour m’en offrir un. Elle me couvait. J’étais le plus fragile des six enfants. En échange, je partageais ses secrets. Je savais quand les huissiers allaient arriver, ce qu’il fallait cacher pour qu’ils ne l’embarquent pas et où le cacher...

Plus généralement, je crois en la vie. Vous allez penser que je suis fleur bleue, mais quand à l’Olympia je vois une salle pleine de Noirs, de Jaunes, de vieux, de jeunes qui rient ensemble, ça me redonne l’espoir. Un soir, l’un d’entre eux m’a même dit : « Vous m’avez donné envie de ne plus voter Le Pen ! » J’avais l’impression d’être un héros. Contribuer à changer les mentalités, quel kif ! Et ouvrir la brèche pour les autres, pour qu’ils s’expriment : kif du kif ! Ainsi, depuis trois ans, je suis sûr que notre succès à Gad Elmaleh et à moi a poussé toute une jeune génération d’artistes beurs aux « stand-up » à l’américaine, dans la grande tradition de Richard Pryor ou d’Eddie Murphy. Vous savez : un micro et un gars qui se raconte. Comme dans son salon. Tous ceux qui figureront cet été dans le Jamel comedy club de Canal+ sont magnifiques.

Télérama : Vous qui vous revendiquez musulman pratiquant apparaissez vous-même comme Dieu le Père...

Jamel Debbouze : Ma foi est forte. Je prie toujours avant d’entrer en scène. Mais c’est vrai que dans la religion, je prends un peu ce qui m’arrange. Et, finalement, en m’adressant à Dieu, j’ai surtout l’impression de m’adresser à moi... Ce qui embourbe nos pays judéo-arabes, ce sont toutes ces formules, « grâce à Dieu ! », « si Dieu le veut ! »... Mais Dieu, en général, il veut toujours ! Le hasard n’existe pas. C’est à nous de provoquer les choses. Et de nous adapter. Moi je m’adapte toujours. Et je hais tous les communautarismes. La seule communauté, c’est celle de l’homme. On m’a trop exclu pour que j’exclue aujourd’hui. Je suis plus proche d’un Juif intelligent que d’un Arabe con.

Télérama : Et Dieudonné ? Vous avez assisté en direct chez Fogiel à son dérapage antisémite, sans réagir sur le coup .

Jamel Debbouze : J’entendais mal, je le voyais mal ; je n’ai compris vraiment la situation qu’en revisionnant l’émission. A mon avis, alors qu’il est sans doute le plus doué d’entre nous, il est devenu fou. Trop frustré peut-être de n’avoir pas réussi à faire son film. Il n’avait pas répété, il se serait rendu compte, alors, de son énormité. Il a improvisé. Et je suis devenu malgré moi l’otage de la situation. On est fâchés depuis.

Télérama : Comment un comique peut-il déraper ?

Jamel Debbouze : En blessant sans être constructif. Faire gratuitement du mal, même à Le Pen, ne m’intéresse pas. Dire en public sa haine de l’autre est vulgaire. En plus, on en fait une victime. Or le public est toujours solidaire des victimes. Mais je trouve légitime d’avoir épinglé méchamment Carlos parce qu’il a écrit cette « très bonne » blague : « Qu’est-ce qui sépare l’homme de l’animal ? La Méditerranée. »

Télérama : Gagner de l’argent, devenir producteur, est-ce que ç’a été une revanche ?

Jamel Debbouze : Rien de ce que j’ai pu entreprendre n’a jamais été une revanche. Pas plus que je n’ai eu de plan de carrière. Je fonctionne par envie, jamais tributaire de qui que ce soit. Dès mes débuts, sur Radio Nova, puis sur Canal. On m’a toujours laissé dire ce que je voulais. Sans doute ça n’aurait pas pu être autrement. J’ai besoin d’indépendance artistique. L’argent me sert à ça. A ne pas en avoir besoin. J’en gagne beaucoup. Mais on est une famille nombreuse : au bled et ici, où je ne peux pas vivre seul ; sinon, qui verrait que j’ai du fric ? Surtout, j’aime faire plaisir. Et à force de vivre comme un riche m’est venu aussi le goût des belles choses. Je me suis installé dans le 6e arrondissement de Paris, rue de Sèvres - à Trappes, il fallait trop jouer à l’assistante sociale, s’occuper de tout le monde, je n’en pouvais plus... J’ai encore une grosse voiture avec chauffeur. J’ai bousillé trop de Ferrari, conduire avec un bras n’est pas facile. Et je n’ai plus de points sur le permis.

Télérama : Et la production ? Vous voilà homme d’affaires.

Jamel Debbouze : Plutôt organisateur, et ça ne rapporte pas tant d’argent. Car j’essaie de produire des émissions, des documentaires, des films qui me paraissent aider à la réconciliation nationale, tel Indigènes. Vous me prenez pour un utopiste ? Je cherche à ce que ma notoriété soit utile. Ainsi, en 2002, en fondant des studios de cinéma au Maroc, où il existe déjà des techniciens de haut niveau, j’ai voulu que les producteurs étrangers qui viennent travailler là-bas ne se comportent plus comme des colons. J’ai voulu participer à l’essor marocain, créer des emplois...

Télérama : Votre copain Mohammed VI, roi du Maroc, qui vous a beaucoup aidé sur Indigènes, n’est pourtant pas un modèle d’ouverture ni de démocratie...

Jamel Debbouze : Il n’a pas la liberté de faire ce qu’il veut. Sur lui plane toujours l’ombre de son père, Hassan II. Et vous ne pouvez pas vous rendre compte, ici, à quel point il a déjà changé les mentalités. Ne me parlez pas de journalistes emprisonnés, je suis sûr qu’il n’a rien à y voir... En revanche, la marche de la monarchie vers toujours plus de parlementarisme, ce n’est pas rien ! Et le nouveau Code de la famille non plus, avec une nette émancipation de la femme ! Le roi lui-même s’affiche avec une unique femme quand son père possédait un harem : un sacré signe !

Télérama : Que pensez-vous, justement, de la situation des jeunes musulmanes dans les cités ?

Jamel Debbouze : Qu’elles soient musulmanes, juives ou chrétiennes ne change rien. C’est la situation des jeunes qui est difficile dans les cités. La misère engendre trop de frustrations. Le débat, ce n’est pas le voile ou le string, le débat c’est les riches et les pauvres. Et je ne dissocie pas filles et garçons. A ni putes ni soumises, je réponds ni machos ni proxos : on est tous dans la merde. La femme française n’a-t-elle pas obtenu le droit de vote il y a seulement soixante ans ? Moi, je suis pour la parité. Et même, les femmes au pouvoir ! Grâce à elles, je me suis adouci. Grâce à elles, je reviens de loin. Sans la confiance de ma mère, j’aurais vendu du shit, brûlé des voitures, fait de la taule. Je suis un vrai gosse. Dans un resto calme, j’ai besoin de faire du bruit, je ne me tiens pas. Je peux pas m’empêcher non plus parfois de casser un carreau et de partir en courant.

Télérama : C’est en courant, déjà, que vous avez eu l’accident qui vous a coûté le bras droit. A quel âge ?

Jamel Debbouze : Je ne sais plus. 10, 14, 16 ? J’ai occulté. Fallait oublier. Pas le temps de perdre du temps à m’apitoyer sur mon sort. Courir sur les rails du RER pour attraper le bus, on faisait ça avec les copains pour faire les malins. Ce soir-là, y avait personne pour nous regarder, on l’a fait quand même et mon copain est mort. On me l’a caché pendant un mois. J’étais trop déstabilisé. Pourtant, dès que je me suis réveillé de l’opération, j’ai demandé un crayon pour écrire de la main gauche. J’en rêve encore. Je prends ma douleur à crédit. Je m’accorde une petite souffrance, et puis rien pendant six mois. Au bal, on doit danser même si on n’est pas masqué. Moi, je ne veux être niqué ni par mes joies ni par mes peines. Le bonheur, ça n’existe pas.

Télérama : Et vous vous dites fleur bleue ?

Jamel Debbouze : J’ai tellement eu de kif déjà que je peux mourir. Ou si demain tout s’arrête, devenir conteur à Barbès, sous le métro aérien. J’ai juste besoin de raconter des histoires. De me raconter des histoires. Et ça, personne, jamais, ne pourra m’en empêcher.

• Jamel comedy club, samedi à 19h55 sur Canal+ (en clair).
• Fabienne Pascaud - Télérama n° 2949 - 22 Juillet 2006

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