Les musiques d’Essaouira

8 décembre 2007 - 01h12 - Maroc - Ecrit par : L.A

Le son d’Essaouira, c’est d’abord celui des vagues de l’Atlantique qui battent les remparts. Incessant, le bruit des géantes de l’océan se propage jusqu’au plus profond des riads de la médina de l’ancienne Mogador. C’est ensuite le cri des mouettes et des cormorans, oiseaux gourmands qui filent en bande les bateaux de pêche dont les chaluts regorgent de loups et de sardines. Enfin, il y a ces choeurs de moineaux matinaux qui chantent à l’unisson, cycliques comme un soufi.

L’intervention humaine apparaît ensuite : prières et chants du muezzin, cloches du dimanche, puisqu’une église catholique perdure dans ce fragment d’Afrique islamique. Mais essentiellement l’univers sonore de la ville est marqué à vie par un drôle de bruissement, tohu-bohu hypnotique, une abrasion qui s’affirme en crescendo jusqu’à l’étourdissement : les crotales, castagnettes sorties des forges, si menaçantes pour la raison qu’on donna leur nom aux serpents à sonnettes.

Essaouira a ainsi rajouté à sa carte d’identité portugaise, arabo-andalouse et berbère, du sang africain. Ce ne sont pas les familles Soudani ou Guinea, venues par le Mali, qui diront le contraire. Elles forment aujourd’hui des confréries gnaoua qui pratiquent les rites et la musique du même nom, hérités d’un temps où les chemins de l’esclavage menaient encore à Mogador.

Si aujourd’hui la vigne a repris ses droits le long de l’oued Qsob par la vertu du domaine viticole du Val d’Argan, on cultiva ici la canne à sucre jusqu’en 1620, avec son lot de main-d’oeuvre "importée". Devenue "le port de Tombouctou", Essaouira entretint longtemps ses commerces - ors, bijoux, esclaves... Et, comme introduction à ces mystères, s’impose une halte dans les échoppes de musique de la grande rue Sidi Mohammed Ben Abdellah, dessinée à l’européenne, avec largesse et droiture, par l’architecte français Théodore Cornut en 1766.

Sono poussée à fond, affiches et CD de compilation rappellent que chaque année en juin se tient le Festival gnaoua d’Essaouira, qui, en dix ans d’existence, est devenu le premier des festivals de musique marocains - ce qui n’est pas rien au regard de l’intense activité festivalière du royaume chérifien. Depuis deux ans, il se prolonge en août par le Festival des jeunes espoirs gnaoua.

Entre-temps, on joue des crotales, du guembri (trois cordes et un corps percussif) et du tambour dans les patios ou au siège de la Fondation pour l’art, le patrimoine et la culture d’Essaouira. Quand ce n’est pas sur le port, où les restaurants de poissons grillés font du coude à coude.

Ardentes confréries

Le voyageur à l’esprit ouvert et discret, le curieux tombera sur une lila, cérémonie - compter une quinzaine d’heures à battre des mains, à observer les transes de la moqadma, la maîtresse des rites, et de ses ouailles - qui ressemble étrangement aux rituels animistes d’Afrique noire, que la traite a disséminés de Cuba au Brésil, de Haïti à Harlem. Sept couleurs, des divinités affublées du nom des saints soufis, des incantations en arabe mélangé aux langues africaines, des bonnets ornés de cauris divinatoires que les mouvements circulaires de la tête font tourner à la vitesse du ventilateur.

Essaouira est une cité tranquille et pour le moment épargnée par les plans immobiliers de Marrakech. Du vent, des kilomètres de plages pliées en dunes : Essaouira attire les surfeurs, après les hippies fascinés en leur temps par l’animisme ambiant.

La ville a misé sur la culture pour sortir d’un assoupissement que les héritiers des hippies du village de Diabat, de l’autre côté de l’oued, ont un temps brisé en vénérant saint Jimi (Hendrix), saint Paul (Bowles) ou saint Brian (Jones). Sous les yeux des héritiers de Diabat se déploient aujourd’hui les engins de chantier qui bâtissent un vaste complexe hôtelier et résidentiel de 10 000 lits, avec un golf de 36 trous. Pour le moment, on n’y entend que le taros, nom berbère du vent côtier.

En juin, au moment du Festival gnaoua, des centaines de milliers de jeunes venus de tout le Maroc envahissent la médina, la plage, la place Orson-Welles. Sur les terrasses des riads, le flot atlantique est bâillonné par les rumeurs de la ferraille (les fameux crotales).

Revendiquer une négritude rythmique oblige à se dégager des préjugés : le Maroc n’est pas seulement arabe, nous raconte la ville aux bleus profonds, il est juif, berbère, africain, occidental et arabe. Alors, à la terrasse du café, surgissent un Chleuh (berbère) muni d’un ancêtre de banjo, un olibrius à cauris qui tape sur un guembri déglingué ou un porteur de djellaba beige et son tambourin harraz, signe de la confrérie soufi hmadcha, fondée au XVIIe siècle au nord, à Meknès. Essaouira bruisse de ces ardentes confréries - regraga, hmadcha, aïssoua... Toutes organisent des moussems, fêtes religieuses et très musicales.

Essaouira fut une grande ville juive. Deux moussems rappellent la vigueur des traditions séfarades dans la province d’Essaouira. En septembre, on célèbre le rabbin Haim Pinto (1749-1845), enterré dans le cimetière juif du bord de mer sous un mausolée blanc. En mai, on commémore Rabbi Nessim Ben Nessim, dont le sanctuaire occupe le village de Aît Bayyoud, à une quarantaine de kilomètres d’Essaouira. Mais le mellha, l’ancien quartier juif et pauvre d’Essaouira, à l’abandon, reste muet.

Chez les bijoutiers de la médina, des mains de fatma dessinées sur l’or par des Berbères résistants dressent un rempart en boucles d’oreille aux atteintes portées au "carré magique", la ville blanche et bleue, par les assauts de la société consumériste. "Quand la soif de l’or s’abattra sur tes terrasses, les anges quitteront leur nid et périront", écrit le peintre souiri Houssein Miloudi, en bas d’un tableau rouge et noir. "With the power of soul/Anything is possible" (Avec le pouvoir de l’âme, tout est possible), chantait Jimi Hendrix en 1969, année où l’enfant vaudou aborda la plage d’Essaouira pour une nuit, une seule.

Le Monde - Véronique Mortaigne

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