Driss Chebli : le Marocain risque 625 siècles de prison

25 mai 2005 - 09h59 - Espagne - Ecrit par :

On attend son passage devant la barre pour répondre d’une longue liste d’accusations dressée par le juge Baltazar Garzon et la justice espagnole. Driss Chebli encourt jusqu’à 62.509 ans de prison pour avoir " été un allié solide des kamikazes du 11 septembre ". Une sentence à peine imaginable qui se veut, sans doute aucun, l’exemple même de la peine contre le terrorisme dans un procès haut en couleurs.

Le but en est de juger la cellule espagnole d’Al Qaïda, présumée responsable d’une série d’attentats dont le 11 septembre et le 16 mai. Retour sur celui que l’on pourrait désormais appeler le Marocain le plus célèbre de l’histoire de la justice mondiale.

Pratiquement, Driss Chebli a été identifié par le juge Baltazar Garzon comme l’un des artificiers des attaques du 11 septembre aux USA. Il est présenté comme un stratège au même titre que l’Algérien Mohamed Belfatmi et Mohamed Atta. Selon la même justice espagnole, Chebli aurait eu des contacts très poussés avec Ramzi Benalshibh et était en relation directe, surtout pendant la phase finale du choix des cibles avec les deux chefs terroristes. Pour l’Audience nationale espagnole, il ne fait aucun doute que le Marocain est un membre important d’Al Qaïda. On avance pour preuve suprême, la rencontre avec Mohamed Atta à Tarragone, à quelques semaines des attentats de New York et de Washington. En gros, les preuves dites irréfutables par les juges de Madrid sont les rencontres avec Atta et Benalshibh à Tarragone, les liens avec Saîd Cheddadi, Abou Dahdah et Amer El Azizi, les appels téléphoniques, les voyages à travers l’Espagne et l’Europe et une " rencontre " avec Abou Qatada à Londres. Ayant étudié pendant des mois le rapport qui condamne le Marocain, nous essayons ici de mettre le doigt sur quelques liens et dates clés pour le déroulement de ce procès pour le moins entaché d’irrégularités.

L’inconnu de Lavapiès

Nous avons été pour enquêter dans le quartier cosmopolite de Madrid, à Lavapiès, pour mettre nos pas dans ceux du Marocain, Driss Chebli. Entre la rue Caravaca et la rue Tribulete, Driss est presque un fantôme. On ne le connaît pas si bien que cela et il ne jouit pas, contrairement à ce que la police espagnole a laissé entendre, d’une grande influence sur ses pairs. Au café Al Hambra, à quelques encablures de la boutique El Nuevo Ciglo de Jamal Zougam et des deux magasins de vêtements de Saîd Cheddadi et ses frères de la rue Caravaca, on connaît très bien le nom de Driss Chebli. Une adresse habituelle du Marocain, puisque ce dernier finira par épouser la sœur des Cheddadi et liera ainsi son sort à celui de Saîd, qui partage aujourd’hui avec lui le box des accusés dans le procès de Madrid. " Il était maçon, puis peintre dans le bâtiment. Un type discret. En fait, c’était un raseur de murs, il avait peur de son ombre, ce gras". C’est en substance, ce que nous confie le bonhomme barbu du café marocain où l’on vend une bonne variété de tajines et de couscous. D’ailleurs, le propriétaire des lieux semble connaître un bon rayon sur la vie de ceux aujourd’hui accusés à Madrid. Il a connu Cheddadi, Abou Dahdah, Dalati Sattut et d’autres qui "étaient des clients qui venaient parler affaires ". Driss Chebli avait pris part à quelques réunions autour de grandes théières " sans plus ". Ce plus voudrait dire que " ce que la justice espagnole cherche à savoir ne se trouve pas ici à Lavapiès ". L’homme à la barbe bien taillée est formel : Driss était un type bien. Pourtant, il risque aujourd’hui 62.509 ans de prison. Etrange destin, d’un homme presque inconnu qui devient aujourd’hui aussi célèbre que Ben Laden.

Des connaissances compromettantes

Avant son arrestation en Espagne dans le cadre de la fameuse opération Dàtil, le nom de Driss Chebli était inconnu de la police marocaine. Pourtant, si l’on en croit les dizaines de pages de son acte d’accusation, il fait partie du gratin du terrorisme mondial. Driss Chebli est né à Touzine, dans l’arrière-pays marocain. Il mène une vie sans encombre qui marque par sa simplicité. Ni tendances à l’islamisme radical, ni sympathie pour quelque courant radical que ce soit. Un parcours somme toute banal jusqu’à son arrivée en Espagne. Il sera accueilli par ses amis tangérois, et trouve une famille chez les Cheddadi. Très vite, il dispose d’une résidence en Espagne et coule une vie normale, ordinaire en faisant son boulot de peintre. Pas de passé de drogué, pas de passage par la prison. Un profil typique de l’immigré qui tente de s’en sortir sans trop attirer l’attention sur lui.
Après le 11 septembre 2001, le Marocain est considéré dans le procès-verbal d’Al Qaïda et du 11 septembre 2001 " comme un membre relevant de la structure active de l’internationale islamiste qui était en relation directe avec le commando qui a mené les opérations sur New York et Washington". On ne saura jamais comment le lien a été fait entre cet immigré effacé et des figures aujourd’hui faisant autorité dans le monde du jihad et du terrorisme. Des noms, et pas des moindres, gravitent autour de la personne de Driss Chebli et notamment celui de Mohamed Atta et de Mohamed Belfatmi, l’Algérien, qui avait fait partie de la logistique d’action du 11 septembre. La police espagnole avance des preuves qui semblent à première vue irréfutables. Le rapport du juge Baltazar Garzon est sans ambiguïté sur les liens qui unissaient Driss Chebli à la cellule espagnole d’Al Qaïda : “il est connecté directement avec le leader de la cellule d’Al Qaïda en Espagne, à savoir Imad Eddine Barakat Yarkas, alias Abou Dahdah” (p.327). On trouve dans son sillage des noms comme ceux de Najib Chaib Mohamed et Saïd Chedadi. Il serait aussi un ami très proche d’Amer El Azizi, présenté par la police espagnole comme l’un des bras droits d’Abou Dahdah, responsable des recrutements des Marocains à Madrid, et aujourd’hui donné comme le numéro 1 d’Al Qaïda en Europe. En suivant l’enquête, on note que le nom de Driss Chebli figurait sur l’agenda trouvé dans le domicile d’Amer El Azizi lors de la perquisition faite par la police après la fuite de ce dernier. Sans oublier que c’est ce même Driss Chebli qui hérite de la voiture d’El Azizi, dont l’immatriculation sera trafiquée pour la circonstance. Le rapport espagnol nous apprend aussi à plusieurs passages que Chebli était lié aux autres Marocains détenus dans l’affaire Al Qaïda, de Salaheddine Benyaïch, condmané au Maroc à 18 ans de prison à son frère Abdelaziz, en passant par Lahcen Ikassieren, transféré de Guantanamo à Madrid et dont le nom ne figure pas sur la liste des inculpés dans le procès de Madrid.

Driss, est-il complice ?

C’est l’Algérien Belfatmi qui attire notre attention pour comprendre le cas Chebli. L’enquête menée depuis plusieurs mois a démontré que l’Algérien avait travaillé de concert avec le Marocain. C’est un coup de téléphone qui amorce toute cette affaire. Le 26 mai 2001, Imad Eddine Barakat Yarkas prend son combiné. Belfatmi est au bout du fil. S’ensuit une conversation codée et l’annonce suivante : " il va arriver ". Il s’agit de Ramzi Benalshibh. La mi-juillet connaît son lot de tractations et de jeux de pistes et les mouvements du Marocain et de son acolyte algérien sont enregistrés. Belfatmi a peur. Il prend la fuite le 3 septembre 2001 à destination du Pakistan, juste 8 jours avant les attentats de New York. La dernière personne qu’il a vue avant son voyage est le Marocain, Driss Chebli. Que s’était-il passé alors ? Pourquoi Belfatmi pourtant prévu dans les plans de base pour les attaques de New York et de Washington n’a pas été jusqu’au bout ? Que savait le Marocain sur tout ceci ? Et pourquoi la police espagnole a-t-elle laissé fuir l’Algérien à destination du Pakistan ?
On ne saura rien pour le moment. Reste que pour le procès en cours à Madrid où les accusés se succèdent à la barre, le cas Chebli est très intriguant : dans les pages 330/331, il est associé à ceux du groupe suivant : “Imad Eddine Barakat Yarkas, un certain Shakkur, Abou Abderrahmane, Amer El Azizi, Mohamed Belfatmi, Ramzi Ben Al Shibh, Saïd Bahaji, Mohamed Zaher et Jasem Mahboule”.
Alors que reproche-t-on au juste au Marocain ? D’abord ses connaissances. Ensuite, l’épisode Tarragone. Car c’est dans cette ville, estime-t-on du côté de Madrid que la date du 11 septembre a été fixée et les lieux à frapper ont été désignés. Mais rien ne prouve que le Marocain ait été mis au courant des desseins d’Atta lors de son séjour catalan. D’ailleurs les enregistrements que détient la justice espagnole ne mentionnent jamais une conversation où le Marocain ait parlé ou fait allusion à une attaque ou un plan terroriste. Côté aveux, il est indéniable que Chebli ait connu tous les noms cités dans ce reportage. Mais en l’absence de preuves solides impliquant son nom dans les préparatifs des attentats aux USA, on ne saurait dire qu’il est l’artificier du 11 septembre. Conclusion à laquelle s’achemine la justice espagnole pour condamner ce Marocain à pas moins de 62.509 ans de réclusion criminelle.

La Gazette du Maroc

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