El Ejido, rien n’a changé depuis les émeutes racistes

11 mars 2004 - 21h53 - Espagne - Ecrit par :

Presque quatre ans après les émeutes racistes de février 2000, le FCE et la Confédération Paysanne ont décidé d’envoyer en décembre dernier une nouvelle mission internationale pour enquêter sur l’évolution sur place. En effet, depuis quelques mois nous recevons des informations alarmantes sur une série d’agressions contre des ouvriers marocains.

Le voyage a été organisé en coopération avec le Sindicato de Obreros del Campo (SOC) qui nous a invités à participer à une conférence à El Ejido sur l’immigration dans le secteur agricole.
Les 35.000 hectares de la zone représentent, semble-t-il, la plus grande concentration de production de fruits et légumes sous serres au monde, une mer de plastique visible de la lune ! On peut même observer une extension de la zone de serres, parfois dans des endroits creusés dans la montagne avec d’énormes engins. Pendant la haute saison, 1000 camions quittent la région chaque jour.
Nous avons pu constater qu’il n’y a eu aucune amélioration de la situation surtout dans les domaines du logement, du respect des conventions collectives et des relations entre les autorités municipales et les communautés immigrées. S’il y a un changement depuis 2000, c’est dans la composition de la main-d’œuvre. Le phénomène de l’arrivée de nouveaux migrants venant d’Europe de l’Est, déjà visible en 2000, s’est fortement accentué. En même temps, les pateras continuent d’arriver sur les plages andalouses et une forte population maghrébine et africaine tente toujours, souvent en vain, de trouver du travail, même pour quelques heures.
Dans toutes nos rencontres avec des immigrés, nous n’en avons trouvé aucun, avec ou sans papiers, qui soit payé au tarif prévu par la convention collective (4,51 euros l’heure). Les salaires varient entre 3,50 euros et 2 euros et la très grande majorité travaille sans contrat, même ceux qui ont un permis de séjour.
La police contrôle les migrants maghrébins et africains, mais très rarement les autres. Si les Africains sans-papiers veulent travailler, ils doivent accepter les pires conditions et pour de très longues heures.

C’est pourquoi de nombreux agriculteurs préfèrent les sans papiers. Cette mise en concurrence de différentes communautés immigrées permet aux employeurs de réduire encore plus les salaires. Aujourd’hui, les ouvriers des pays de l’Est travaillent pour moins d’argent que les Marocains sans papiers il y a trois ans.
Le logement reste un scandale invraisemblable. Sur des terrains vagues, loin de la vue des autochtones, nous avons découvert un monde parallèle de misère effroyable. Les migrants maghrébins et africains noirs les plus chanceux habitent à plusieurs dans des cortijos, ces anciens bâtiments ou cabanes agricoles en pierre. D’autres tentent de s’abriter dans des chabolas, des petites constructions de carton et de plastique souvent situées à proximité de dépôts sauvages de déchets ou de flaques d’eau polluée. De nombreux travailleurs doivent dormir dans des hangars où sont stockés engrais et pesticides.
Tout le monde sait qu’ils sont là et ils sont tolérés à condition de rester invisibles aux yeux des autochtones. Ils sortent très tôt le matin pour chercher du travail et retournent immédiatement après " chez eux ". S’ils vont en ville, ils risquent d’être arrêtés par la police et éventuellement expulsés, ou de subir des intimidations. Ils n’ont aucun lieu de rencontre pour se détendre. Ils survivent grâce à un fort esprit de solidarité et de partage.
La location des cortijos aux migrants est devenue une source très importante de revenus pour les propriétaires. Les migrants paient 3 euros par jour pour des logements qu’aucun Espagnol n’accepterait. Les cortijos sont occupés par 2,8 personnes en moyenne, ce qui représente 252 euros par mois. Par ailleurs, il y a environ 6.000 appartements inoccupés à Roquetas del Mar et 3.500 à El Ejido.

Tout le monde s’accorde à dire que la ville d’El Ejido est la plus intransigeante et la plus raciste. Elle a refusé d’accorder une salle pour la conférence. Le SOC a dû faire appel à un Marocain qui tient un centre d’appel téléphonique. Des voitures de police ont systématiquement circulé juste devant le café où nous avons mangé et les gérants des lieux où nous nous sommes rencontrés ont subi des agressions après notre départ.
Depuis août 2003, il y a eu une nouvelle série d’attaques contre des migrants marocains à El Ejido, dont quinze ont été dénoncées à la police par le SOC. Il s’agit d’agressions brutales de la part d’hommes circulant la nuit en voiture, armés de battes de base-ball ou de barres de fer. Toutes les victimes ont dû être hospitalisées. Pendant les quelques jours de notre visite, trois nouvelles agressions ont eu lieu. Le nombre véritable des agressions serait d’au moins quarante. Souvent, les immigrés ne portent pas plainte de peur d’être expulsés.
On nous a également présenté le cas d’un migrant gravement handicapé, suite, semble-t-il, à des traitements qu’on lui a demandé d’effectuer avec des produits chimiques. On découvre régulièrement des cas de migrants souffrant de malaises ou, pire, qui doivent être conduits à l’hôpital à Almeria.
Ce n’est que depuis trois ans que le SOC tente d’étendre son action à Alméria. Nous avons été très impressionnés par le courage et la compétence de Gabriel et d’Abdelkader, ses deux délégués dans la province. Ils ont accompli un travail remarquable dans des circonstances extrêmement difficiles et avec très peu de moyens. C’est le seul syndicat véritablement présent sur le terrain. Il ne reçoit quasiment aucune subvention, contrairement aux grands syndicats et aux organisations humanitaires.
Le SOC a l’intention d’ouvrir dans la zone des serres de nouveaux locaux qui pourront servir de lieu d’information, de rencontre et de détente. Mais ce syndicat risque de se trouver confronté à de grandes difficultés. Gabriel et Abdelkader reçoivent déjà régulièrement des menaces de mort. Il est donc indispensable d’assurer au SOC un soutien politique, moral et financier, et d’être prêt à intervenir à tout moment s’il le faut.
Il est également important que des syndicats, des ONG et des journalistes se rendent sur place et montrent qu’ils suivent la situation. Il faut continuer à sensibiliser l’opinion publique sur les conditions dans lesquelles sont produits les légumes primeurs qui remplissent les rayons des supermarchés à travers tout le continent.

Le Journal Hebdo

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