Dernière chance pour les enfants abandonnés

1er juin 2008 - 17h50 - Maroc - Ecrit par : L.A

Il est 14h30, la crèche de l’Espoir ouvre ses portes aux visiteurs. C’est l’heure de la sieste des petits, l’établissement semble presque vide. Mais, à l’étage, une vingtaine de bébés dorment paisiblement sous le regard protecteur des nurses. Nous sommes ici à la crèche de l’Espoir ou la maison des enfants abandonnés, sise à l’hôpital public Amerchich.

Au rez-de-chaussée, dans la salle de jeux, seuls deux enfants sont réveillés. Ils sont les plus âgés de la crèche et les plus difficiles à placer. Nadia, 8 ans, autiste de naissance, s’agite dans sa poussette et semble être ailleurs.

À l’autre bout, un petit garçon de 15 mois boude dans son coin. Il s’appelle Abdessamad. À 9 mois seulement, ce bébé a été retrouvé seul dans les rues de Marrakech. La police l’a ramené à la crèche. Peu après son arrivée, un couple craque pour lui, vient le voir régulièrement et entame une procédure d’adoption. Malheureusement, sans nouvelles de ses futurs parents depuis maintenant deux mois, la responsable de la crèche s’inquiète du sort de ce petit garçon abandonné déjà à deux reprises. Aussi bouleversante qu’elle soit, l’histoire d’Abdessamad n’est malheureusement pas un cas isolé. Ici, à la crèche, ces histoires d’abandon sont chose courante et ne choquent plus personne.

Déposés au coin de la rue, dans des paniers au milieu de nulle part, dans des bennes à ordures ou encore abandonnés au sein des hôpitaux, les enfants « rejetés » sont nombreux… Chaque année, rien que dans la région de Marrakech, on dénombre une centaine d’enfants abandonnés, sans compter ceux qui ne sont jamais retrouvés officiellement. À peine ont-ils ouverts les yeux, qu’ils portent déjà en eux le poids d’un passé lourd. Quant à leur futur, il est pour le moins incertain.

Dans l’optique de leur offrir une vie meilleure et des conditions de vie décentes, la crèche de l’Espoir et son bataillon de nurses et de pédiatres (une quinzaine de personnes) oeuvrent sans relâche. Créée en 1995, par un petit groupe de pharmaciens et de pédiatres avec très peu de moyens, au départ, l’association avait élu domicile dans un petit local au sein même de l’Hôpital Ibnou Toufail soutenu à sa naissance par Enfance-Espoir-France. Mais très vite, face aux nombreux cas d’abandon (2 à 3 par semaine dans les hôpitaux de la ville) le manque de place ainsi que l’exiguïté des locaux posent alors un réel problème. Il faudra attendre 2002 pour que la crèche de l’Espoir voie enfin le jour.

Sur un espace de 1.000 m2, cette « pouponnière » aux allures de crèche européenne offre des soins de qualité adaptés à tous ses petits pensionnaires. Soucieuse du bien-être de ses protégés, la crèche accueille uniquement une trentaine d’enfants et n’excède jamais ce chiffre.

Il faut dire aussi que les moyens pour étendre cette capacité existent peu. Les subventions de l’Etat ne constituant que 20% de ses besoins annuels, l’association mène la bataille aussi sur le front financier. Pour cela, elle organise une ou deux soirées de gala par an. Elle compte surtout sur les cotisations et les dons de ses adhérents auprès de qui elle a instauré un système de parrainage au sein de la crèche.

Pour Souad Benghazala, une des fondatrices de la crèche et trésorière, « cette petite capacité n’est pas un handicap, car la demande d’adoption est tellement forte ». Les bébés sont en transit à la crèche et n’y séjournent jamais longtemps. Ce qui permet de libérer la place pour d’autres. Lorsque la crèche est au complet, l’association prévient le tribunal pour accélérer les procédures d’adoption.

Chaque semaine, de nombreux parents potentiels se pressent dans l’établissement pour voir les enfants. Selon leurs préférences quant au sexe, l’âge, les responsables de la crèche les guident et les orientent dans leur choix. Pour certains, les premières 5 minutes sont déterminantes pour choisir leur futur enfant. Car comme l’explique la responsable de la crèche, ici, tout est une question de feeling entre les futurs parents et le bébé. Si l’enfant a dépassé les 3 mois, condition indispensable pour qu’il puisse être déclaré abandonné, les parents entament tout de suite une procédure d’adoption.

Contrairement aux idées préconçues, la majorité des futurs parents sont Marocains. D’ailleurs, « les Européens qui adoptent des enfants au Maroc représentent une infime minorité, seulement 3% », indique Benghazala

Et pour cause : l’adoption est interdite au Maroc. A sa place, il y a la Kafala. Les étrangers et les MRE sont réticents face à sa valeur juridique. Incompatible avec les lois d’adoption européennes, la Kafala se révèle être une véritable source de problèmes administratifs pour les étrangers qui souhaitent repartir avec l’enfant. Idem pour les MRE, les pays européens refusant de reconnaître ce système d’adoption, les ressortissants et MRE rencontrent de grandes difficultés pour acquérir des visas longues durées à leurs futurs enfants…

En effet, le droit marocain ne reconnaît juridiquement que la « Kafala », une prise en charge de l’enfant, de son éducation et de son entretien. Instaurée en 2002 et synonyme de tutelle légale, sur le plan juridique, cette « adoption », permet de prendre sous son aile définitivement l’enfant. Toutefois, celui-ci ne peut être inscrit dans la descendance du père ou dans le livret de famille.

En charge de la totalité des dossiers de la crèche depuis 2007, Jamila Joudar, avocate de l’association, en sait quelque chose. Elle a déjà traité à ce jour une centaine de dossiers d’enfants pour l’adoption en Kafala. L’avocate confirme que la procédure de prise en charge est désormais rapide sur le plan juridique « même si des fois certains dossiers d’adoption traînent pour des raisons inexpliquées ». D’après l’avocate, le système est loin de faire l’unanimité même auprès des marocains. « De plus en plus de parents adoptifs se plaignent de la privation de quelques droits des plus élémentaires comme celui de transmettre leur nom de famille à l’enfant ».

On préfère adopter les filles

C’est un constat : les couples adoptants affichent une nette préférence pour les filles au détriment des garçons. Par conséquent, beaucoup de bébés garçons restent à la crèche. Les raisons sont nombreuses. Elles sont souvent liées à des préjugés quand aux caractères des petits garçons et la reconnaissance éternelle des filles adoptées… Pour permettre une égalité des chances, le procureur de la ville a instauré une procédure de « liste d’attente » pour chaque demandeur d’adoption d’une petite fille afin de rééquilibrer la balance entre les deux sexes.

Et les enfants handicapés ?

Les couples acceptent rarement de se charger de la responsabilité d’un enfant handicapé physiquement ou mentalement. Et il n’existe à ce jour aucune infrastructure spécialisée dédiée aux enfants handicapés abandonnés à Marrakech. Ce sont ceux qui séjournent le plus longtemps à la crèche car personne n’en veut : « Ces enfants cumulent un double handicap : celui d’être abandonné et d’être handicapé », soupire Souad Benghazala. Ils grandissent donc dans un climat inadapté pour eux sans qu’aucune perspective de prise en charge ne se profile à l’horizon. A la crèche, la plus grande a déjà 8 ans.

Lorsque le rêve devient réalité, témoignage d’un couple

Assis sur un banc, les yeux rivés sur le nourrisson qui se trouve dans leurs bras, un couple, marié depuis 14 ans, est aux anges (ndlr : les témoins refusent de citer leurs noms). C’est la troisième visite en une semaine qu’ils rendent à leur futur enfant, Nadia, une petite fille âgée d’un mois. « Nous n’arrivons pas à avoir d’enfants et désirons par-dessus tout, fonder une famille. Nous voulions tous les deux une petite fille et lorsque nous avons rencontré Nadia, qui venait de naître, le coup de foudre a été immédiat ».

Le couple devra attendre encore deux autres mois avant d’emmener leur futur enfant à la maison ou tout est prêt pour l’accueillir. Tant que l’enfant n’a pas 3 mois, il n’est pas encore considéré officiellement comme abandonné. Cela fait un an, que ce couple est sur la liste d’attente, parce qu’il voulait une petite fille.

« Certes, l’attente a été longue, mais ce n’est rien comparé à la joie que nous éprouvons quand nous sommes en compagnie de notre bébé », répond la future maman. Un peu longue, mais comparée à d’autres pays, la procédure d’adoption au Maroc se fait assez rapidement.

Pour notre couple témoin, ce fut la solution idéale. « Nous voulons une grande famille et nous n’hésiterons pas à en adopter d’autres ». Une fois avoir tenu le bébé dans leurs bras, les liens de sang sont devenus secondaires, confie l’épouse, émue aux larmes. « La crèche nous offre l’occasion de fonder une famille et de donner de l’amour à ces enfants rejetés ».

Reste qu’au Maroc, on n’adopte pas, mais on prend en charge. C’est le système de La « Kafala ». « La seule chose qui nous dérange c’est que s’il nous arrive un malheur, notre enfant ne puisse pas hériter. Mais, ce n’est pas un réel problème, car il suffit de lui faire une donation de notre vivant », estime le futur papa.

Source : L’Economiste - Alixanne Chapon

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