La kafala non grata à l’étranger

22 juillet 2008 - 17h58 - Maroc - Ecrit par : L.A

La kafala, procédure de prise en charge d’un enfant abandonné, n’est pas reconnue par les pays européens comme une adoption en bonne et due forme. Résultat : l’octroi des visas pour les enfants adoptés sous kafala se fait au compte-gouttes.

C’est avec une certaine appréhension que Myriem et son époux, Driss, attendent ce rendez-vous au consulat d’Italie à Casablanca. Ce couple de Marocains, résidant depuis une dizaine d’années dans la péninsule, vient d’adopter un enfant abandonné dans un orphelinat de Casablanca,
selon la procédure de kafala. Celle-ci correspond juridiquement à une prise en charge de l’enfant, mais pas à une adoption au sens propre du terme : l’enfant ne pourra ni prendre le nom de ses parents “adoptifs”, ni prétendre à une part de leur héritage.

Résultat, ils ne sont pas certains que le petit Rayane pourra les accompagner dans leur pays de résidence. Selon la loi italienne, la kafala n’est pas assimilée à une adoption. Une nuance juridique qui est, depuis quelques années, à l’origine du refus de visas d’entrée à des enfants adoptifs marocains. Ainsi, fin 2007, le consulat d’Italie a refusé d’accorder un visa au fils adoptif d’un couple maroco-italien. “Les parents ont pourtant accompli toutes les procédures. Les tribunaux marocains leur ont accordé la kafala, mais au moment de leur départ en Italie, ils ont été forcés de laisser leur enfant au Maroc”, s’indigne un représentant de l’association Amici Bambini, ONG italienne de protection des enfants abandonnés.

Tour de vis

Depuis quelques années, le pays de Silvio Berlusconi montre une rigidité sans précédent envers les enfants sous kafala. “Le dernier enfant pris sous kafala est parti en 2003”, fait remarquer l’association. Depuis, aucun visa n’a été accordé. Du côté de l’ambassade d’Italie, on explique cette sévérité par la multiplication des cas de fraude. Ainsi, de nombreux MRE, installés en Italie, profiteraient de la kafala pour rapatrier des membres de leur famille, détournant la prise en charge d’un enfant en procédure de regroupement familial. Mais à en croire ce responsable de l’ambassade italienne, “un assouplissement des procédures” pourrait bientôt avoir lieu, pour donner la possibilité aux enfants adoptifs d’accompagner leurs “nouveaux parents”. Une mesure qui serait d’actualité depuis qu’une décision de justice a donné raison à deux couples qui ont intenté un recours contre les services diplomatiques pour refus d’octroi de visa à leurs enfants adoptifs.

Dans le reste des pays de l’UE, si la situation n’est pas aussi “rigide”, le durcissement est perceptible. Brahim Halhoule, secrétaire général de l’association belge Le nid des orphelins, affirme ainsi que les modalités de rapatriement d’enfants adoptés au Maroc se sont considérablement compliquées depuis 2005, après la création d’une agence d’intermédiation entre les familles et les enfants candidats à l’adoption. “Nous avons clairement senti que cette agence orientait les parents davantage vers l’Asie, au détriment du Maghreb, essentiellement à cause des problèmes soulevés par la kafala”, explique-t-il. Idem pour la France. L’association des parents adoptifs d’enfants nés en Algérie et au Maroc (PARENAM) se plaint notamment de “l’inflexibilité” du consulat de Fès dans les dossiers d’enfants sous kafala, alors que les autres consulats français sont devenus “plus compréhensifs”. Et à en croire les ONG contactées, seules l’Espagne et la Suisse font exception, avec des procédures de rapatriement bien plus commodes.

Imbroglio juridique

“Les problèmes rencontrés par les enfants sous kafala en Europe sont avant tout d’ordre juridique”, résume Amal Benazzouz, membre de la PARENAM. Confirmation de cette source à l’ambassade de France à Rabat : “Nous reconnaissons le concept de kafala pour ce qu’il est en droit marocain : une procédure qui correspond peu ou prou à la notion française de délégation d’autorité parentale. Et ce n’est certainement pas une adoption, qui reste prohibée par le droit marocain et dont les effets juridiques sont très différents de la kafala”. Résultat, l’octroi d’un visa à un enfant adopté au Maroc relève du "pouvoir d’appréciation" du consul. A priori, le feu vert est donné lorsque "toutes les conditions sont réunies". La kafala doit être ainsi prononcée par un juge sur la base d’un acte d’abandon définitif, ce qui exclut de fait les actes adoulaires, même lorsqu’ils sont homologués par le juge de notariat. Et pour mettre toutes les chances de leur côté, les parents peuvent aussi fournir au consulat une copie de l’agrément français à l’adoption internationale… même si les textes ne les y obligent pas. “Il arrive que les familles d’accueil soient titulaires d’un agrément et qu’elles s’en prévalent pour justifier de leur capacité à accueillir un mineur au sein du foyer, notamment auprès de la justice marocaine. Mais, dans la mesure où la kafala n’est pas une adoption, aucun agrément de cette nature n’est exigé par les autorités françaises”, explique-t-on à l’ambassade de France.

Adoption ou immigration ?

Il y a deux mois, le casse-tête de la kafala a été abordé au Sénat français par Alima Boumediene, sénatrice du parti des Verts. Celle-ci s’interrogeait sur les difficultés rencontrées par les familles d’accueil à faire venir en France leurs enfants adoptifs sous kafala au Maroc ou en Algérie. “Les visas sont délivrés au compte-gouttes et donnent parfois lieu à des contrôles d’opportunité sur le bien-fondé des mesures de placement prises par les juges”, lançait-elle dans son intervention, ajoutant que “les délais d’obtention des visas sont de surcroît extrêmement longs, au minimum de trois à six mois, ce qui crée aux parents des difficultés professionnelles, leur impose une séparation très longue de l’enfant et des allers-retours coûteux, tout en les privant de droits sociaux comme le congé d’adoption ou l’inscription à la Sécurité sociale”.

En France, plus qu’ailleurs en Europe, les associations de parents font du lobbying pour rapprocher la kafala de l’adoption. Mais la tour de vis migratoire n’arrange pas leur combat. En témoigne le rapport Colombani sur l’adoption, publié en mars dernier. Dans ce document, l’ancien président du directoire du journal Le Monde a assimilé la kafala à un regroupement familial, déplaçant toute la problématique sous l’angle migratoire. “Ce document, qui était censé nous aider, n’a fait que nous compliquer la tâche”, déplore Amal Benazzouz. Comme le dit l’adage, l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions…

Adoption : L’impossible réforme ?

La loi marocaine n’a jamais envisagé de revoir le statut de la kafala, pour la faire évoluer vers une adoption en bonne et due forme. Juste avant son décès, Hassan II avait d’ailleurs opposé une fin de non-recevoir à une demande française de réaménagement de la loi, répondant que l’islam avait déjà tranché sur cette question. Pourtant, la religion ne serait pas aussi stricte qu’on l’imagine. Soheib Bencheikh, ancien mufti de Marseille, explique ainsi que le Coran permet aux parents de donner leur nom aux enfants adoptés sous kafala. À l’époque du Prophète, cette règle, appelée Al Walae (allégeance), a été dictée pour les esclaves affranchis qui, dans le cas où leur ascendance n’était pas connue, pouvaient hériter du nom de leur ancien maître. Partant de là, un ijtihad reste possible en matière de kafala. En pratique, au Maroc, les enfants adoptifs peuvent prendre le nom de leurs parents adoptifs. Mais la chose est réalisable à titre exceptionnel et sous le contrôle étroit du ministère de l’Intérieur. Faut-il attendre une nouvelle “révolution” du Code de la famille pour que la procédure se généralise ?

Source : TelQuel - adia Lamlili

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