L’Europe face aux leçons des élections marocaines

12 septembre 2007 - 00h46 - Maroc - Ecrit par : L.A

Les Européens se doivent de tirer quelques leçons de élections marocaines. Parce que la démocratie y trouve l’illustration de ses vertus et de ses limites, surtout quand elle reste relative. Parce que ce pays qui dispose de richesses potentielles fantastiques, qui connaît une diaspora dynamique et qui doit occuper une place-clef dans « l’EuroMed », dans l’espace euro méditerranéen ou dans la future Union méditerranéenne est, avec la Turquie, l’un des pays où se joue la réponse qui sera donnée à une question-clef : l’Islam est-il compatible avec la démocratie ? Une question qui conditionne une autre interrogation fondamentale : choc des civilisations ou dialogue des cultures ?

Le fait le plus important n’est pas dans la victoire dite « surprise » de l’Istiqlal : la surprise est celle d’observateurs qui ont la vue faussée soit par des connaissances bien superficielles de la situation du pays, soit par des fantasmes nés des « vertiges islamistes », soit par ce souci de la dramatisation devenu prédominant et polluant (avec ceux du spectaculaire et de l’insignifiant) dans la chaîne de l’information. L’échec de la « gauche » usée et discréditée par la corruption insuffisamment combattue était prévisible. Mais le « succès fou » des islamistes annoncé n’était en rien inscrit dans les étoiles. Le Maroc n’est ni l’Egypte, ni la Tunisie, ni l’Algérie : Le Roi est aussi un chef religieux. C’est une donnée qui compte même si ce fait et cette fonction sont contestés par bien des courants musulmans.

La vraie surprise est l’ampleur de l’abstention : 37% de participation. C’est un échec et un avertissement pour les démocrates (et pour le Roi et surtout pour une partie de sa Cour). C’est une surprise parce que quatre-vingts pour cent des citoyens inscrits sur les listes étaient allés retirer leur carte d’électeur (une démarche qui n’est pas toujours simple dans certaines régions), donc parfaitement conscients des enjeux des élections, de l’importance de la participation citoyenne à la « chose publique ». Pas d’indifférence, par d’inconscience, pas de sous-information ! Alors, quoi ? Et pourquoi ?

Premier constat : la démocratie est trop imparfaite. En dépit du modernisme, de l’esprit d’ouverture, et des réformes déjà entreprises ou envisagées, le Royaume reste d’abord un Palais qui impose ses lois. Peut-être.

Deuxième constat : les différents partis en compétition n’ont pas la cote. Ils n’inspirent pas confiance. Ils sont vus comme non fiables et non crédibles. Et les politiciens sont vus comme des opportunistes affairistes. Sûrement.

Ces deux constats (complémentaires) entraînent deux réflexes (contradictoires) :

• Entre des partis qui ne remplissent pas leur mission et le Palais, une majorité s’en remet au Trône.

• Une autre partie de la population qui jadis tentaient de trouver le Graal dans le révolutionnarisme d’extrême-gauche se réfugie dans un nihilisme passif (abstention) ou actif (mirages et syndrome d’Al Qaïda)…

Le relatif bon score du vieux parti conservateur et nationaliste de l’Istiqlal s’explique par l’émergence de personnalités plus jeunes, et, dans leurs discours, plus « modernes » et plus près du peuple que les notables de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) qui se vautraient dans trop de facilités.

Le score (décevant pour eux) des « islamistes » du Parti de la Justice et du développement tient plus à leur dévouement social, à leur engagement au coté des gens dans le besoin ou la difficulté, à leur activisme de proximité qu’à leur idéologie.

Ses cadres (femmes et hommes) font ce qui se faisait jadis dans nos paroisses, ce que se fait encore dans des communautés : ils assurent ce lien social que les laïcs, les associatifs et les organismes officiels n’assument pas ou plus ou pas assez.

Il y a coté « démocrate chrétien » de terrain (d’hier) chez les militants du parti musulman. C’est vrai au Maroc, comme ailleurs (y compris bien sûr, dans ce que l’on appelle en Europe, nos « banlieues », nos « quartiers »). Ce n’est pas l’activisme islamique qui tue ou empêche la démocratie : c’est la faiblesse des liens sociaux. C’est la détresse humaine aggravée dans cet urbanisme qui manque d’urbanité et accroît cette solitude, ou ces sentiments de solitude, dont on ne tient pas assez compte. Des sentiments que n’atténuent ni l’omniprésence des télévisions, ni les divertissements artificiels ou virtuels, ni les discours creux sur la solidarité.

C’est en cela peut-être surtout que les leçons marocaines peuvent être tirées et pas seulement pour le royaume de Mohammed VI.

Comment le Roi va-t-il réagir ? Les derniers signes plutôt régressifs donnés ces derniers temps (en matière de liberté de la presse, notamment) traduisent-ils un raidissement que les élections pourrait accentuer ? Pas sûr…

Les donneurs de leçons européens en la matière feraient bien de mieux prendre en considération ce que la Royaume a su faire ces dernières années en matière de droits de l’homme, de « correction » des « années noires », de promotion de l’éducation et de la situation des femmes, entre autres.

La marge de manœuvre du souverain est étroite. D’un coté, le péril « fascislamiste » qui existe (avec son prolongement terroriste, mais aussi avec ses retombées réactionnaires en matière de mœurs). De l’autre, l’affairisme, y compris dans les cercles de la Cour, qui jouent sans scrupules du (faux) libéralisme et du (faux) dirigisme ambiants et profitent des espaces démocratiques ouverts. Et des défis internationaux qui « mangent » une partie des ressources et des énergies et nécessite des moyens militaro-policiers (Sahara, relations avec l’Algérie, lutte contre l’immigration illégale en transit, lutte anti-terroriste)

Dans ce paysage, les démocrates ont du mal à faire entendre leurs voix, d’autant plus qu’ils sont divisés entre « maximalistes » (volontiers provocateurs) et les « progressistes » (volontiers trop prudents et lents). Une démocratie, c’est un système, une société et une culture. Ce sont des actions fortes et inscrites dans la duré qui doivent être engagées dans ces trois chapitres.

Comment les Européens peuvent-ils aider les démocrates marocains ? En étant dans la compréhension et la coopération plus que dans la leçon et la prétention : c’est un préalable.

Relatio - Daniel Riot

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Sujets associés : Union européenne - Mohammed VI - Liberté d’expression - Elections - Elections 2007

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