Exportations : ce que cache l’embellie de 2006

12 mars 2007 - 20h57 - Economie - Ecrit par : L.A

Les exportations ont augmenté en valeur mais régressé de 1% en volume avec 220 000 tonnes en moins. La parité dirham/euro favorable et la répercussion de la hausse des prix de revient ont gonflé les recettes. Nous exportons toujours des produits à faible valeur ajoutée et vers les mêmes marchés.

Pour la première fois dans l’histoire du Maroc contemporain, les exportations marocaines ont dépassé la barre des 100 milliards de DH, atteignant 110,4 milliards au terme de l’année 2006. Le gouvernement, et à sa tête Driss Jettou, ne cache pas sa satisfaction. Pour certains observateurs, il s’agit en effet d’une performance que l’équipe sortante pourra mettre à son actif. Un jugement hâtif, tempèrent d’autres. Logiquement, il est plus opportun de chercher à savoir si la performance de 2006 constitue une rupture avec l’aggravation structurelle du déficit commercial et l’effritement de la compétitivité du Maroc à l’étranger ou s’il s’agit simplement d’un effet de conjoncture.

Hélas, l’analyse des données du commerce extérieur plaide plus pour la deuxième hypothèse. En effet, l’examen de la balance commerciale, s’il dégage clairement une croissance à deux chiffres (11,2 % entre 2005 et 2006) des exportations, cache une aggravation dans l’absolu du déficit commercial qui est passé d’un peu plus de 85 milliards à 94,2 milliards de DH. Ceci même si le taux de couverture a connu une insignifiante amélioration en se situant à 54 % contre 53,8 % un an auparavant.

L’effet euro a été déterminant

De l’avis de Mohammed Benayad, secrétaire général du Conseil national du commerce extérieur (CNCE), « nous ne pouvons pas parler d’un effet structurel lorsque la comparaison ne porte que sur deux années. Il faut que le taux de croissance des exportations de 2006 se reproduise pour les trois prochaines années pour pouvoir évoquer un effet structurel ». Les performances de 2006 sont donc plus à mettre à l’actif d’une conjoncture favorable. D’ailleurs, l’examen de l’évolution en volume montre clairement une régression de près de 1 %. Autrement dit, le Maroc a, en réalité, moins exporté en quantité, mais a mieux valorisé ses produits ! Une autre conclusion qui pourrait être juste si la structure des exportations était dominée par des produits à forte valeur ajoutée. Or, cette structure reste pratiquement figée avec les mêmes lignes où trônent les produits textiles, le phosphate et ses dérivés et l’agroalimentaire. D’ailleurs et selon le ministère du commerce et de l’industrie, « la performance de 2006 est attribuable aussi bien au bon comportement des ventes des articles d’habillement que de celui des expéditions des phosphates et dérivés. Leurs contributions dans la hausse globale des exportations se situent respectivement à 29% et 17% ».

Comment peut-on alors expliquer cette croissance ? Les spécialistes de la question, aussi bien auprès du CNCE que chez l’Asmex (Association marocaine des exportateurs), sont catégoriques. L’augmentation est imputée essentiellement à un effet de prix. Au fait, deux phénomènes sont à l’origine de cette situation. D’abord, il y a lieu de souligner un ajustement du prix des produits par rapport à celui du baril. Le renchérissement du prix du pétrole en 2006 s’est tout simplement traduit par une augmentation du coût de revient que les industriels ont répercutée en partie et mécaniquement sur leurs prix de vente. « Le transport est aussi devenu plus cher. Ceci a impacté le prix des produits de base essentiellement, les minerais et dérivés du phosphate en l’occurrence », explique Mohammed Benayad. Par exemple, les exportations en valeur de l’acide phosphorique ont pris 14,4 % alors que leur tonnage a régressé de 5,1 %.

Comme deuxième élément explicatif, il y a le taux de change. Ce dernier a été déterminant principalement par rapport à la destination européenne qui absorbe plus de 70 % de nos exportations. En effet, la parité dirham/euro a pris deux points entre le début et la fin d’année passant de 10,86 DH par euro le 2 janvier 2006 à 11,0885 le 29 décembre de la même année. « Du coup, l’équivalent dirham est devenu plus cher, impactant ainsi positivement la balance commerciale », ajoute M. Benayad. D’ailleurs, l’analyse de cette dernière fait nettement ressortir cet effet prix puisque si en valeur elles ont progressé de 11%, en quantité, le total des exportations a régressé de 222 000 tonnes, soit -1 % par rapport à l’année 2005.

En résumé, les exportations marocaines ont bénéficié d’une conjonction de facteurs favorables qui a impacté positivement leur comportement. Seulement, cette conjoncture favorable ne doit pas occulter les déficiences structurelles. En premier lieu figure la faible diversification des débouchés. « Les exportations marocaines continuent de souffrir du même tropisme en se concentrant sur les mêmes pays alors qu’il s’agit d’aller à la conquête de nouveaux marchés notamment en Afrique et au Moyen-Orient », souligne Ahmed Sif, directeur de l’Asmex. Les exportations continuent aussi de présenter une structure figée depuis plusieurs années où trônent les produits textiles, suivis des phosphates et dérivés, des produits de la mer et des produits électriques et électroniques. L’orientation des flux vers les marchés traditionnels de l’Europe est un autre handicap qui rend les exportations fortement tributaires du taux de croissance de l’économie du Vieux Continent. Même si le produit Maroc est exporté sur 169 pays, deux pays seulement, la France et l’Espagne, absorbent 50 % du volume, contre 0,4 % pour 85 autres pays !

L’autre dysfonctionnement est relevé au niveau de l’effort de promotion dont le budget est insignifiant lorsqu’on le compare à celui de pays de la même région. Selon des données de l’Asmex, ce budget est de 8 millions d’euros (88 MDH), contre 65 millions d’euros (715 MDH) pour la Tunisie, 70 millions (770 MDH) pour la Turquie, 123 millions (1,35 milliard de DH) pour le Portugal et 150 millions (1,65 milliard de DH) pour l’Espagne.

L’Asmex propose une nouvelle stratégie

Mais au-delà de la simple question de la dotation financière allouée à la promotion, la question qui se pose est aussi relative à l’efficacité de l’organisation et à la motivation des ressources humaines. « Comment voulez-vous par exemple que le personnel du CMPE qui ne dispose encore d’aucun statut du personnel et continue de vivre dans l’incertitude puisse s’impliquer à fond dans les opérations de promotion », tonne une autre source au CNCE.

Pourtant, en décembre 2005, l’Asmex avait présenté un plan ambitieux au Premier ministre pour la relance des exportations. Ce plan validé par Driss Jettou est toujours dans les tiroirs. Auprès de l’association, on affirme que le Premier ministre avait demandé de le décliner au niveau des branches sectorielles. « Chose qui a été faite. Nous devons incessamment soumettre la dernière mouture à la validation du Premier ministre ». Mais entretemps, le Maroc aura perdu un an et demi au moment où des concurrents directs sont à l’affût d’opportunités.
Le nouveau draft de l’Asmex prévoit, entre autres, un recentrage géographique, une offensive commerciale ciblée et un accompagnement efficace des entreprises à l’export. L’accent est également mis sur le rapprochement de la structure sectorielle des exportations de celle de la demande mondiale. Un découpage du monde en trois zones géographiques est prôné. La première zone dite « A » verra l’implantation de neuf antennes du CMPE dans huit pays dont les Etats-Unis avec deux antennes, Dubaï qui servira de tête de pont pour la région du Golfe et le Sénégal dont l’antenne couvrira l’ensemble des pays de l’Afrique de l’Ouest. A ces pays s’ajoutent notamment la France, l’Espagne et l’Allemagne.

Pour la deuxième zone, « B », le Maroc s’appuiera sur des relais. Il s’agit d’experts locaux qui seront engagés soit pour la conduite d’études de marchés soit pour la réalisation d’opérations de promotion. Au niveau de la troisième zone, « C », le Royaume se contentera de réactiver la diplomatie économique à travers une meilleure implication des conseillers économiques des ambassades. En attendant, le record de 2006 fait pâle figure lorsqu’on se penche de plus près sur ses détails.

Taux de couverture : une contre-performance historique

Selon Mourad Cherif, président du Conseil national du commerce extérieur, les performances des exportations marocaines ne doivent pas masquer les difficultés commerciales de l’économie marocaine. Ainsi, le taux de couverture (rapport entre les exportations et les importations) a atteint en 2005 quasiment le même niveau que celui observé au début du programme d’ajustement structurel soit 61% durant la période 2000-2005 contre 57% en 1982. En 2006, ce taux est même descendu à 54%, un des plus bas de ces 20 dernières années. M. Cherif qui s’exprimait à l’occasion d’un récent déplacement en France, ajoute, par ailleurs, que les dernières analyses du Conseil national du commerce extérieur confirment que les balances commerciales marocaines avec les pays avec lesquels le Maroc a signé des accords de libre-échange sont quasiment toutes déficitaires au détriment du Maroc.

La vie éco - Aniss Maghri

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