Extrémisme berbère, appel à la guerre civile ?

18 mai 2002 - 23h56 - Culture - Ecrit par :

Très tôt à l’école, on apprend que les premiers habitants du Maroc furent les Berbères. Ce n’est pas pour autant une raison d’appeler à l’exclusion des Arabes. Autrement, on va droit dans le mur.

Assurer, comme semblent le faire quelques extrémistes de l’amazighité, que la question palestinienne est une affaire arabe et qu’en conséquence, elle ne concerne que les seuls “ Arabes ” du Maroc, ce n’est pas seulement se condamner à l’isolement et enfin, à l’échec total, mais témoigner d’une idiotie politique patente.

Peut-on, dans un pays comme le Maroc, mieux desservir une cause légitime, la berbérité, au moment où le drame palestinien transcende toutes les frontières, géographiques, culturelles, idéologiques ou encore ethniques, pour prendre une dimension humaine ? Réduire la problématique berbère à un affrontement avec les Arabes, quels qu’ils soient et où qu’ils soient, au point de soutenir Sharon, est un acte criminel. Et d’abord contre la lutte pour la reconnaissance de la culture berbère comme une composante de base de l’identité marocaine, autant que l’africanité et l’arabité, sinon plus.

Mohamed Darif fait une analyse précise de la question amazighe au Maroc et décrit bien les différentes étapes de son évolution. Il segmente tout aussi bien ses multiples expressions et définit in fine l’extrémisme amazighe, fondé sur la thèse des “ peuples originels ”, comme la réinvention de la thèse colonialiste.

Très tôt, on enseigne à l’école que les premiers habitants du Maroc furent les Berbères, mais est-il sérieusement possible de ne retenir de l’histoire du pays que ses origines ? Serait-il également envisageable de gommer d’un seul trait, pour ne retenir l’histoire que depuis l’avènement des Idrissides, douze siècles qui ont vu arriver au Maroc des vagues successives d’Arabes, avant de perdre, dans la mixité et le brassage, la “ pureté ” du sang ? Le faire serait tout simplement appeler et travailler à une guerre civile dévastatrice.

Plus qu’un gène commun, l’appartenance est une affaire culturelle. Est berbère celui qui se sent tel. Il est donc inutile de s’attarder sur l’impossibilité, au bout d’une aussi longue histoire, de différencier l’arabe du berbère pour vider de toute sa substance sérieuse la thèse du “ peuple originel ”. Ses adeptes, des apprentis sorciers, sont d’ailleurs pour l’instant, ultra minoritaires. Tout comme l’idée même d’évoquer la diversité d’un Maroc pluriel, que ses deux façades maritimes et ses longues frontières terrestres ont ouvert à tous les vents, constituerait un rabâchage. Mais il n’est pas inutile de rappeler que, sans qu’elle ait occupé la place qui est la sienne, l’amazighité a bien survécu au Maroc. L’illustration la plus éloquente en est la dynastie Almohade. Celle-ci a sans doute dû endosser la peau arabo-musulmane pour mener en son nom une longue entreprise pour la gloire de l’Islam, mais elle a aussi et essentiellement contribué au brassage des ethnies et des cultures qui font le Maroc.

La spécificité berbère n’en demeure pas moins réelle. Elle est même plurielle et, autour d’un tronc commun, s’articule différemment d’une région à l’autre.

Le colonialisme a bien essayé d’en user, en tentant de semer la division que l’on peut résumer abusivement dans le dahir berbère, sans autre résultat que d’entretenir la flamme berbériste. La résistance de la spécificité berbère aux différentes tentatives d’assimilation se mesure bien sûr à l’aune de sa présence actuelle, mais aussi à ses combats récents contre le colonialisme.

L’histoire marocaine l’occulte souvent, et c’est certainement une source supplémentaire de frustration, mais le tribut le plus lourd à la résistance aux pénétrations coloniales a été payé dans l’Atlas et le Rif, qui regorgent de milliers de Mohamed Zerktouni et de centaines d’Allal Ben Abdellah, inconnus et méconnus. Ce sont les tribus de l’Atlas qui ont supporté le poids de la guerre de pacification, qui a duré de 1912 au début des années 30. Si l’on sait que du seul côté français, elle a fait plus de trente mille morts, on imagine ce qu’ont été les dégâts au sein des populations de ces chaînes montagneuses. Mieux connues, les victimes de la guerre du Rif se comptent par dizaines de milliers.

En comparaison, les victimes du mouvement national, plutôt urbain et à dominante arabe, apparaissent comme du menu fretin. C’est pourtant lui, et lui seul, qui reçoit les lauriers et les dividendes de l’indépendance. L’usage que fait le pouvoir des franges les plus réactionnaires de la berbérité pour contrer l’appétit du mouvement national exacerbe la rivalité. Leur présence au sein des différents gouvernements n’aboutit pas pour autant à une meilleure prise en compte des droits berbères.

Est-ce alors une raison pour que des groupuscules berbéristes, s’appuyant autant sur l’échec d’une totale intégration dans l’arabité que sur les réponses partielles qu’apporte le pouvoir à la revendication amazighe, jouent avec le feu en faisant planer le doute sur l’unité de la nation ?

D’autant plus que l’unité ne phagocyte pas la diversité, toujours présente dans le tissu marocain. Une place de droit y revient à la berbérité, que le pays doit assumer sans faux-fuyants. Le Royaume, depuis toujours pluriel, recèle suffisamment de force pour assimiler et sédimenter sa pluralité. Mais d’aucune manière, il ne peut tolérer le sécessionnisme. La tâche induit une transformation en profondeur de l’articulation des pouvoirs. Elle fera appel aux permanences de l’Etat marocain afin de les immerger dans la modernité la plus porteuse actuellement : la décentralisation des pouvoirs, la régionalisation du développement et la reconnaissance des spécificités. Seule cette orientation est de nature à constituer un réceptacle pour les attentes régionales et à contenir l’extrémisme régionaliste.

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