Gad Elmaleh, le sourire de l’errance

26 mars 2003 - 10h28 - Culture - Ecrit par :

On pourrait s’arrêter à ce visage immédiatement reconnaissable : cheveux courts, yeux bleus, ronds, immenses, regard perdu. Un visage qu’il est si facile de projeter dans les différents personnages créés et incarnés sur scène par Gad Elmaleh : Coco, le père de famille mégalomane qui organise une bar-mitsva royale pour son fils, fait venir le rabbin des Etats-Unis à bord du Concorde vidé de tous ses passagers et qui s’étonne de rencontrer à la fête Mariah Carey venue sans carton d’invitation ; le grand-père marocain bossu, la voix chevrotante, conscient de sa disparition prochaine dans l’indifférence des siens ; Chouchou, le travesti algérien flamboyant.

Ce dernier personnage, l’un des plus connus du comédien et celui qu’il préfère interpréter, trouve un prolongement réussi à l’écran dans le film de Merzak Allouache, Chouchou, sorti le 19 mars, qui est bien parti pour dépasser les trois millions d’entrées en fin d’exploitation.

Maquillé, perruque sur la tête, souriant, Elmaleh enlace Alain Chabat, dandy aristocrate distingué à la moustache finement ciselée. Ils s’aiment. Ils se marient. Le faire-part du jour n’est pourtant pas une naissance mais un enterrement. Il faut se faire une raison. Les personnages de l’humoriste ne grandiront pas avec lui. On peut rire avec eux, sur eux, mais il faut apprendre rapidement à porter leur deuil. C’est le point noir de presque tous les sketches du comédien : ses personnages ont conscience de leur finitude. Le comédien leur a taillé un récit à la mesure de leur personnalité hors normes, mais leur destin s’inscrit dans un monde qui disparaît en même temps qu’il est mis en scène. "Comme tous les gens qui ont un héritage culturel fort, dit Elmaleh, j’en arrive à un stade où je me pose beaucoup de questions. Le personnage du grand-père m’a beaucoup apaisé. Depuis que j’étais môme, au Maroc, les vieux me séduisaient. Mais c’est un personnage que je ne rejouerai plus. Je ne veux plus en entendre parler. J’avais même pensé à organiser son enterrement sur scène." La cérémonie n’aura pas lieu, les habits du grand-père seront peut-être offerts au restaurant Planet Hollywood. Mais les derniers clous sur le cercueil de ce personnage, si émouvant, viennent d’être posés.

Davantage qu’un nom peut-être, un prénom véhicule toute une histoire. "Mes parents m’ont surnommé Gad car le fils de leurs amis, qu’ils trouvaient magnifique, se prénommait ainsi. Mais je sais que Gad veut dire "joie" en hébreu et désigne l’une des tribus d’Israël." L’une de celles, avec neuf autres, qui se sont, selon le Talmud, dispersées de par le monde. Il y a cette nostalgie dans ses spectacles. Une culture, un mode d’énonciation, un individu, et à travers lui un peuple, disparaissent sous nos yeux, en sollicitant notre sourire.

MAGHRÉBIE IMAGINAIRE

La vie de Gad Elmaleh pourrait se raconter sous l’angle du folklore, connu du public français, à travers d’autres comédiens juifs originaires d’Afrique du Nord -de Michel Boujenah à Elie Semoun- qui ont mis en scène le drame du déracinement. Il la raconte à sa manière, expéditive, avec une distance et une indifférence de circonstance : "Je suis né en Maghrébie, il faisait beau, le couscous était bon." L’histoire s’arrête là. Et il n’a rien dit. En fait si, juste un mot. Il a évoqué la Maghrébie, terra incognita des géographes. Le comédien déploie son imaginaire, n’habite pas un lieu, il occupe un espace mental : le "Gadelmalehland".

Il a été jeune. Il a même été enfant. Naissance à Casablanca. Départ du Maroc en 1987, à l’âge de 16 ans, scolarité au Québec. Entrée ensuite au cours Florent -"Le seul concours que j’aie réussi de ma vie". Apartir de là, rien n’est simple. Le comédien propose même à ses interlocuteurs plusieurs versions d’un même épisode de son existence. "J’ai dit que j’étais allé au Québec parce que c’était l’Amérique en vf. J’ai aussi dit que j’avais fait des études de sciences politiques mais, soyons clair, c’était parce que l’on ne voulait pas de moi en fac de droit. Plus simplement, je suis parti au Québec car il était facile pour moi d’aller là-bas. Mes parents pensaient que c’était la bonne solution. Il y avait une communauté juive importante susceptible de m’accueillir, c’était aussi simple que ça, confie l’acteur. Maintenant je regarde le Maroc avec tristesse. C’était un pays où les différences entre communautés n’étaient pas aussi marquées. Aujourd’hui, j’apprends que quatorze fans de hard-rock ont été emprisonnés à Casablanca. Je me demande où va ce pays." De cette génération de comédiens originaires d’Afrique du Nord, on garde souvent une intonation. La Vérité si je mens !2, où il tenait l’un des rôles principaux, a immortalisé plusieurs expressions figées qui sont celles d’un judaïsme séfarade cantonné à des bons mots. Mais on ne peut pas réduire à quelques traits d’esprit la révolution langagière à l’œuvre dans les spectacles de l’humoriste et dans Chouchou. Son art est celui du néologisme et de l’expression détournée. Coco fait "fériériser" un jour pour prolonger la fête de son fils, Sébastien le balayeur pense à prendre une "année sympathique", Chouchou parle de son "pied de Damoclès".

Cette distorsion humoristique du langage traduit, mieux que sa biographie, l’errance de Elmaleh dont le véritable territoire est la langue. Ce langage assemblé montre sa difficulté d’adaptation au monde, déjà au cœur de Décalages, son premier one-man-show en 1996. "Il y a beaucoup d’expressions françaises que je n’ai jamais vues écrites, mais je les avais ressenties. Quand je suis arrivé à Paris, je passais pour un idiot dans les soirées car je n’avais lu aucun livre. J’ai fait semblant de savoir, mais c’était pire. Je me suis alors mis à inventer. Je parlais de Niel Grad et de son livre Femmes et Flammes." Le jeu doublé de l’imposture donne des ailes à l’artiste. Il pense écrire un journal intime inventé. Ou un texte intitulé Faut-il avoir lu un livre pour en écrire un ? Gad Elmaleh a, enfin, un projet borgésien : classer des titres de livres qui n’ont jamais existé. L’un d’eux, de circonstance, s’appellerait Survoler l’échec en période de guerre.

Samuel Blumenfeld pour lemonde.fr

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