“Il faut couper les mains des fraudeurs et des voleurs”

12 novembre 2002 - 20h04 - Maroc - Ecrit par :

Abdelouahab Rafiki, dit Cheikh Abou Hafs, est un virulent prédicateur de 28 ans, très connu à Fès. Il a été arrêté et condamné à cause de ses prêches qualifiés de violents. Il parle bien et il n’a pas peur des mots. Le discours de cet apôtre
d’un islamisme à visage humain, est fait à la fois de spiritualité et d’identité.

Maroc Hebdo International : Vous appelez à l’application, à la lettre, de la charia islamique au Maroc, ce qui est diamétralement opposé avec toutes les conventions universelles en matière des droits de l’Homme. Pourquoi cette attitude ?
• Cheikh Abou Hafs : C’est terrible d’entendre et d’accepter ce genre de propos dans un pays musulman. L’islam n’a jamais été aussi attaqué comme il l’est aujourd’hui au Maroc. Les musulmans sont subitement devenus une menace et une bombe à retardement contre le régime et la société marocaine. L’islam et les musulmans sont diabolisés, honnis et persécutés chez eux ! Alors que les juifs et les chrétiens vivent en paix et pratiquent leurs religions sans être inquiétés.
• MHI : Mais ce n’est pas là l’objet de ma question ?
• Cheikh Abou Hafs : Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise que je suis un musulman et en tant que tel, non seulement j’assume bien mon islam mais je dois défendre l’application de la charia dans notre société qui est constitutionnellement musulmane ?. Où est donc le mal ? Que je sache, je ne fais que rappeler qu’on doit se conformer au droit musulman qui doit nous guider dans notre vie de chaque jour. Et puis, je ne vois pas pourquoi je dois troquer mon islam contre cette « démocratie », source de tous les maux et matrices de tous les vices qui minent notre société.
• MHI : Donc, en cas de crimes et délits, vous êtes pour la flagellation, l’amputation et l’exécution par lapidation ?

• Cheikh Abou Hafs : Tout à fait. Pourquoi subitement, il y a aujourd’hui tout un débat autour de l’application des textes coraniques en vigueur depuis 14 siècles ? Ce n’est pas un hasard ! Soyons clairs, Le Maroc souffre d’une forte tentation de laïcisation. D’où ces joutes qui ne trompent personne autour de l’application de la charia. Bien au contraire, nous avons plus que jamais besoin de la mise en exergue de « l’ordonnance du Houdoud », à savoir, encore une fois, la gestion de la société par la charia. La charia prévoit de manière claire et explicite la flagellation, l’amputation et l’exécution par lapidation pour certains crimes et délits. Que la charia dans son texte et son esprit coraniques soit appliquée.
• MHI : Lapider, par exemple, une femme qui a commis l’adultère jusqu’à ce que mort s’en suive n’est pas conforme aux dispositions de la convention contre la torture. Qu’en pensez-vous ?
• Cheikh Abou Hafs : C’est à la fois bizarre et malheureux de constater que certains concitoyens pourtant musulmans ont tellement peur de se mettre en marge du droit international, un ouvrage de l’homme, alors qu’ils font fi de leur religion, l’œuvre de Dieu. Il s’agit donc de choisir entre être laïque et assumer sa laïcité sans équivoque ou être musulman et revendiquer pleinement son islam. J’ai l’impression qu’il faut mener une campagne de ré-islamisation au Maroc.
Savez-vous que l’application de la Charia islamique est non seulement possible en Amérique, mais surtout très proche ? Ainsi, il y a des cas de jugement dans lesquels la justice américaine a fait appel aux musulmans pour leur trouver des solutions conformes à leur religion, l’Islam.
• MHI : Si on va jusqu’au bout de vos convictions, plutôt radicales, on devrait appliquer la charia, par exemple, dans le jugement des scandales financiers qui secouent le Maroc ?
• Cheikh Abou Hafs : Si on avait toujours appliqué la charia, on n’entendrait même pas parler de ces détournements de fonds et dilapidation de milliards de deniers publics. Tout est passible de la charia. Il n’y a pas d’exception. Que l’on coupe les mains des fraudeurs et autres voleurs. Et il n’y aura plus ni fraudeurs ni voleurs.
• MHI : On vous présente comme un agitateur qui appelle à la violence et qui incite les jeunes à combattre par la force toutes les formes de débauche dans la société marocaine. Que répondez-vous à ces accusations ?
• Cheikh Abou Hafs : Lors de mon interrogatoire, suite à mon arrestation par la police, j’ai répondu au juge que si vous êtes en train de me condamner parce que j’ai appelé à « faire le bien et à combattre le mal », alors dans ce cas il faut supprimer toutes les sourates et tous les versets du Coran qui vont dans le même sens et qui constituent le fondement de mes convictions et de mes prêches. Moi, je ne fais que prêcher parmi les gens les directives de Dieu.
• MHI : On vous considère comme l’instigateur spirituel des actes de violence que Fès a connus il y a quelques mois ?
• Cheikh Abou Hafs : Il est malheureux de constater que certains journaux ont complètement déformé ce qui s’est passé. Il ont parlé des milices islamistes, dont je suis le chef spirituel, qui traquent les ivrognes et les prostituées et sèment la terreur à Fes. Tout cela est complètement faux !
• MHI : C’est quoi la vérité ?
• Cheikh Abou Hafs : La vérité c’est que des jeunes sont écœurés par la débauche qui sévit dans certains quartiers à Fes ; des quartiers où s’activent, au su et au vu de tout le monde, les mafias de la prostitution, de l’alcool et de toutes sortes de drogues. Ces jeunes-là ont décidé en concertation avec les habitants de ses quartiers de mettre fin à ce commerce honteux et illicite. Ainsi, sans recourir à la force ni à la violence, ils ont commencé à approcher pacifiquement les proxénètes et les narcotrafiquants pour leur montrer qu’ils sont dans le plus grand des pèchés. Vous savez, ce qui est arrivé ? Plusieurs de ces âmes en perdition se sont repenties. Certains ont même commencé à fréquenter les mosquées. C’est à ce moment-là que sont intervenus les services de sécurité pour provoquer des incidents. Tout cela pour vous dire que je n’ai jamais appelé à la violence. Au contraire, moi, j’appelle à l’amour de l’autre et de Dieu. J’appelle à la voie du salut par des moyens pacifiques.
• MHI : Mais il y a bien eu des actes avérés de violence que les services de sécurité ont attribués, l’été dernier, à des éléments islamistes ?
• Cheikh Abou Hafs : C’est une mise en scène ridicule, une manœuvre de basse facture. Ces éléments islamistes qui tuent et décapitent n’existent que dans les rapports de la police. Est-ce que votre rédaction a reçu un communiqué d’un mouvement islamiste marocain qui revendique ces crimes dont on parlait chaque jour ?
• MHI : Par contre, on a parlé d’arrestation d’éléments islamistes violents qui se disent de la « Salafia Jihadia » ?
• Cheikh Abou Hafs : Tout cela n’est que mensonges. On a monté de toute pièce cette histoire de « Salafia Jihadia » qui, encore une fois, n’existe nulle part que dans les PV et l’imaginaire des services de sécurité. La preuve, après les élections, on n’a plus entendu parler de ce mouvement et des forfaits supposés des “émirs du sang" et de la “guerre sainte". Tous ces mensongers se sont miraculeusement volatilisés.
Par contre, j’avoue qu’il y a des individus désespérés qui ont agi au nom de l’islam pour changer par la force les formes de dépravations qui sévissent ouvertement au Maroc. Mais ceux-là n’appartient à aucun groupe ; ils ont agi de leur propre chef. Et, à mon sens, ils sont des victimes et non des bourreaux, parce qu’ils ont essayé de remplir à leur manière une mission dont un Etat islamique comme le Maroc devait s’acquitter.
• MHI : Que pensez-vous de la vague d’arrestations dans les milieux islamistes depuis quelque temps ?
• Cheikh Abou Hafs : Après le 11 septembre, tous les régimes arabo-islamiques ont présenté leur allégeance aux Etats-Unis. Ils se sont engagés à combattre dans leurs propres pays l’islamisme et les islamistes, sous couvert de ce qu’ils ont vaguement appelé “l’éradication du terrorisme”. Ces régimes, en fait, n’ont qu’un seul objectif : rester en place. Vous voyez, jamais, dans toute l’histoire du monde arabe, on n’a assisté à une telle régression identitaire, mentale, économique, politique, militaire, stratégique et j’en passe.
Sur un autre registre, devant le rôle pédagogique et efficace, qu’ont commencé à jouer des oulémas salafites dans certaines mosquées, les appareils sécuritaires de l’Etat marocain ont décidé de fermer ces mosquées et de combattre toutes les formes de prédication engagée.
• MHI : Cela veut dire que les mouvements islamistes au Maroc constituent une menace pour l’ordre établi ?
• Cheikh Abou Hafs : Les dernières élections ont démontré qu’une petite minorité d’islamistes qui ont accepté de jouer le jeu politique de l’Etat, a été capable, à elle seule, de rafler la mise et de se positionner comme la première force politique au Maroc. Mieux encore, le PJD a eu de bons scores dans des quartiers huppés de Casablanca et Rabat. Ce ne sont pas seulement, comme veulent nous faire croire certains, les pauvres et les déshérités qui votent pour les islamistes.
La performance électorale du PJD est un message pour l’Etat. Celui-ci doit désormais comprendre qu’il doit composer avec les islamistes. Cela est également un petit indicateur sur la véritable puissance des islamistes. Vous imaginez, si demain tous les islamistes du Maroc se constituent en un seul bloc et investissent le champ politique, ils feraient une véritable la razzia électorale.
• MHI : Vous approuvez donc la participation du PJD dans le jeu politique actuel ?
• Cheikh Abou Hafs : Il est regrettable de constater que le PJD a accepté de jouer le jeu de « la démocratie » à bas prix. Ses responsables ont fait beaucoup de concessions pour être reconnus et admis dans le système politique officiel. On ne peut prétendre être un parti islamiste et en même temps devenir complice d’un gouvernement laïque. Ce parti risque de perdre sa crédibilité et la sympathie des bons musulmans marocains, car il a choisi la mauvaise voie. Celle des compromis qui mènent à des compromissions.
• MHI : Vous réfutez alors le jeu de la démocratie ?
• Cheikh Abou Hafs : Nous n’avons pas besoin de cette nébuleuse et machiavélique machine appelée « démocratie ». Un système satanique basé sur l’hypocrisie, le mensonge et articulé autour de l’exploitation légalisée de l’Homme par l’Homme. Pourquoi voulez-vous que je renonce à mon Islam qui consacre l’Homme et met toute l’espèce humaine sur un même pied d’égalité ?
• MHI : Certains parlent de l’inévitable confrontation entre l’Etat et les islamistes au Maroc. Qu’en est-il ?
• Cheikh Abou Hafs : Nous ne cherchons pas la confrontation avec l’Etat ou le régime. Nous ne sommes pas, d’ailleurs, des adeptes de la violence. Notre arme est l’éducation et la prédication. Par contre, nous avons remarqué que c’est ce gouvernement laïque de l’alternance qui cherche à nous provoquer. Il se comporte d’une manière païenne et anti-islamique. Cela dit, nous voulons que ce régime applique la loi de la charia. Ni plus ni moins.
• MHI : Que pensez-vous du mouvement Al Adl Wal Ihssane ?
• Cheikh Abou Hafs : Nous sommes d’accord avec Al Adl wal Ihssane sur le principe de la non implication dans le jeu politique. Mais cela dit, nous ne partageons pas les rasions de leur refus.
• MHI : Mais encore ?
• Cheikh Abou Hafs : En plus clair, notre refus est fondé sur les stricts principes de l’islam. Celui d’Adl Wal Ihssane est plutôt politique. Et j’appelle ce grand mouvement islamiste à revendiquer des positions religieuses plutôt que politiciennes.
• MHI : Partagez-vous les idées de Chiekh Abdeslam Yassine concernant la question du commandement des croyants ?
• Cheikh Abou Hafs : C’est là où nos visions divergent. Moi, le titre de commandeur des croyants ne me dérange pas si ce dernier applique la charia islamique.
• MHI : Est-ce que vous vous identifiez à Oussama Ben Laden ?
• Cheikh Abou Hafs : Cheikh Oussama Ben Laden est le porte-drapeau des musulmans et de l’Islam. C’est un homme qui représente leurs frustrations, leur revendications et leurs aspirations..
Il est en train de donner une leçon à tous les mécréants qui ont torturé et tué des musulmans à travers le monde. Cheikh Oussama Ben Laden essaie de réhabiliter l’islam et de redonner leur dignité aux musulmans.
• MHI : Mais on le présente comme un dangereux, un terroriste qui menace la paix et la stabilité du monde et qui tue des innocents ?
• Cheikh Abou Hafs : Cheikh Oussama Ben Laden n’est pas un terroriste. Tuer un mécréant n’est pas un crime.
C’est du djihad ! Cheikh Oussama Ben Laden est un symbole. C’est un grand moujahid de l’Islam. Et contrairement à ce que répètent de faux islamologues et des islamophobes, il n’y a pas de recul de l’islamisme. L’islamisme n’a absolument pas reculé dans le monde musulman, à cause Cheikh Oussama Ben Laden, au contraire, l’Islam avance.

Source : Maroc Hebdo international

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