“Il y aura toujours de la prison dans le Code de la presse”

18 février 2007 - 00h00 - Maroc - Ecrit par : L.A

Interview de Nabil Benabdellah, ministre de la Communication.

L’opinion publique a suivi avec une attention toute particulière, certains événements qui ont concerné la presse écrite, dont l’hebdomadaire Nichane et le quotidien Assahifa. Quelle est votre appréciation de la démarche retenue pour les résoudre ?

Je considère que les questions que vous venez d’évoquer sont certes délicates et peuvent être abordées sous des angles divers. Je préfère, pour ma part, les aborder sous un angle qui permet de dire que, finalement, ce sont des problèmes qui ont été mieux abordés et gérés que par le passé et que nous les avons derrière nous sans avoir laissé des traces négatives.

En affirmant que ces problèmes ont été mieux gérés, cela veut dire quoi exactement ?

Je dis que cela a été mieux géré en comparaison avec ce qui aurait pu découler comme conséquences politiques dramatiques. Mais je dis aussi qu’il aurait été préférable qu’il n’y ait pas eu d’affaire Nichane ou Assahifa. Il y a eu des faits vis-à-vis desquels le gouvernement a eu à interagir. Nous essayons de le faire aujourd’hui avec le maximum d’intelligence et de vision, qui préfigure ce qui va désormais caractériser le champ de la presse avec le nouveau code en préparation. Je dois dire également que le secteur de la presse se porte mieux.

A quels niveaux ?

Il se porte mieux du point de vue de la liberté, du côté de sa professionnalisation et de son organisation. Mais, il est évident que tout cela ne suffit pas. Quand on parle de l’organisation, c’est ce qui permet aujourd’hui d’avoir des relations nouvelles, constructives entre le gouvernement et la profession. Nous avons aujourd’hui des interlocuteurs avec qui discuter et nous pouvons donc avancer avec un corps organisé, qu’il s’agisse du plan syndical, avec le Syndicat national de la presse marocaine, ou qu’il s’agisse du plan professionnel, avec la Fédération marocaine des éditeurs de journaux. Cela ne signifie pas qu’il n’y a plus de problème. Il y a et il y aura encore des problèmes qui seront le fait que nous sommes en transition. Ce qui s’est passé pour Assahifa témoigne que nous sommes entrés dans cette logique. Dans cette période de transition, il est naturel qu’il y ait un couac ici ou là, mais le plus important, c’est comment rééquilibrer les forces entre ces pouvoirs, à savoir le gouvernement et la presse.

Tout ce processus a dû évoluer au gré d’une démarche réfléchie, ou alors était-ce le fruit d’un tâtonnement ?

Il y a effectivement des étapes dans cette évolution. Lorsque j’ai eu à assumer cette responsabilité, il m’avait semblé nécessaire de rétablir la confiance mutuelle. Tout a commencé par la volonté de s’asseoir autour d’une table et de tout organiser et décider en concertation avec toutes les parties. Jamais aucune décision que le gouvernement a pu prendre dans ce domaine ne l’a été de manière unilatérale. Le nouveau système à mettre en place devait être basé sur la transparence. On était d’accord sur la nécessité de la contractualisation, la généralisation de l’aide, mais conditionnée. Il ne peut être question d’accorder des subventions à certains par ce qu’ils sont partisans ou à d’autres parce qu’ils ne le sont pas….

Les fonds alloués au contrat programme ont-ils été totalement consommés ?

Non, pas totalement. Nous avons décidé de garder une partie des cinquante millions de dirhams car nous avons en projet de créer un fonds social au profit des journalistes, une sorte de fonds complémentaire. Nous voulons aussi trouver des mécanismes qui permettent de sortir des archaïsmes de la distribution. Imaginez qu’il y a des quotidiens qui bouclent à 13h et ne sont donc pas capables de répercuter toutes les activités qui ont lieu l’après-midi, et qui ne sont reprises que dans les éditions du surlendemain. Nous sommes en train de réfléchir, en concertation avec les sociétés de distribution, à la mise en place de mécanismes spécifiques qui nous permettent de dépasser cette situation.

Y a-t-il un bilan chiffré de cette nouvelle démarche ?

Nous sommes en train de chiffrer ce bilan en terme d’impact sur l’emploi et la croissance du chiffre d’affaires. Nous chercherons cet impact en termes de modernisation technique et technologique. De nombreuses entreprises de presse ont beaucoup investi au niveau technique. Nous sommes en train de réfléchir, dans un cadre concerté avec la profession, à un recadrage des critères d’octroi de cette subvention et des orientations globales que nous voulons donner au contrat programme. Nous voulons ainsi aller plus loin dans le domaine de l’amélioration de la prestation de ce secteur à tous les niveaux. De là est née cette idée d’un Conseil national de la presse.

L’idée vous semble suffisamment mûre maintenant ?

Oui, assurément. Nous avons dit à nos partenaires regardons un peu ce qui se passe dans les pays qui ont des pratiques très avancées dans ce domaine. Nous avons pris en exemple ce qui se passe au Canada, en Grande-Bretagne et dans les pays scandinaves, en Allemagne, en Suisse, etc. Ce sont des expériences qui ont une conception très intéressante du rôle de l’Etat et qui méritent d’être méditées. Nous leur avons dit que c’est vous, les journalistes et les patrons de presse, qui allez gérer ce secteur et non pas l’Etat. Dans la constitution des membres du futur Conseil national de la presse, qui sont au nombre de quinze, nous avons tenu à ce que les journalistes, les éditeurs de journaux et les représentants de la société soient représentés de manière équivalente. C’est un Conseil qui provoque cette autorégulation. Ce Conseil sera compétent pour dire qui est journaliste et qui ne l’est pas. Ce ne sera plus au ministère de donner une carte ou de la retirer. Nous leur avons dit c’est vous qui accordez la qualité de pair à vos confrères ou ne l’accordez pas. C’est un Conseil qui aura à statuer sur les questions d’éthique et prendre éventuellement des mesures disciplinaires. Lorsque les décisions de cette instance ne sont pas acceptées par les concernés, elles sont passibles de recours devant un tribunal administratif. Je considère que c’est une révolution majeure qui est en train de s’opérer.

Concrètement, ce Conseil pourra-t-il voir le jour avant le départ de l’actuel gouvernement ?

Je ne sais pas. En tout cas, il faudra passer par les étapes de validation législative. On va essayer de passer le texte de loi lors de la prochaine session du Parlement. Dans ce cas, il y a des chances que le Conseil soit institué avant la fin du mandat de l’actuel gouvernement. Sinon, il le sera avec la prochaine rentrée politique avec le prochain gouvernement.

Concernant le prochain code de la presse, qu’en est-il de peines privatives de liberté ?

Le nouveau code n’est pas limitatif aux peines privatives des libertés. Je comprends, cependant, toute la symbolique de cette demande de la part des journalistes. Mais, en même temps, c’est un code qui s’inscrit parfaitement dans la logique des réformes dans laquelle s’est installé le Maroc, de manière à ancrer encore plus les valeurs de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés. Les journalistes et les professionnels de la presse sont corédacteurs de ce nouveau code. Et c’est un acquis extrêmement important que nous devons rappeler. Nous nous sommes mis d’accord sur 95% des dispositions qui le composent, c’est vous dire l’esprit qui présidé à la rédaction de ce texte.
Certes, il y aura toujours de la prison dans le code de la presse. Mais, il faut relativiser les choses : il y avait vingt-quatre textes qui les organisaient, nous avons, dans le cadre du nouveau code, supprimé 19 à 20 dispositions de ce genre. Nous avons tenu à réduire les peines pour les 4 à 5 dispositions restantes. Nous avons aussi fait en sorte que soit appliquée soit la peine soit l’amende et non un cumul des deux, comme c’est le cas dans le texte actuel. Nous avons aussi supprimé un article qui ne permettait pas de prendre en considération les circonstance atténuantes, cela donnera au juge une plus grande marge de manœuvre pour l’interprétation qu’il peut avoir sur la gravité d’un délit de presse.

Quelle évaluation faites-vous de la capacité de la presse partisane à épouser la dynamique de réforme ?

Je suis probablement bien placé pour vous parler de cette presse, qui a certes beaucoup apporté à la presse nationale dans le passé en matière de défense et de préservation de la liberté d’expression dans notre pays. C’est une presse qui a été de toutes les batailles. Mais il est honnête aussi de reconnaître, malheureusement, que la presse partisane a raté l’opportunité de faire sa révolution et imprimer un autre rythme à son évolution, qui l’aurait placée au cœur de toutes les dynamiques de changement.

Le domaine de l’audiovisuel a vécu ces dernières années au rythme de grandes transformations. Quel bilan en faites-vous ?

C’est un secteur, me semble-t-il, qui doit être abordé sous le signe de la liberté, de la libéralisation mais, surtout, de la régulation. C’est cette régulation qui est venue garantir le succès d’une réforme majeure dans plusieurs secteurs et le plus en vue c’est celui des télécom. Et, comme nous sommes au début de cette grande réforme, les citoyens n’arrivent pas à se représenter toute son envergure. Dans le domaine de la production audiovisuelle, nous devons faire tout ce qu’il faut afin de faire arriver la production nationale à sa masse critique en vue de rechercher le rendement qualitatif. Nous devons donner à nos producteurs du travail afin d’atteindre le niveau de maîtrise technique souhaité. La qualité commencera alors à émerger. A partir de cette année, nous avons consacré un fonds de 15 millions de dirhams (10 pour le ministère et 5 pour les deux chaînes) sous forme de prime à la qualité pour tout type de production. Nous devons nous installer résolument dans la stratégique et faire en sorte que le Maroc bénéficie au maximum de sa formidable transition démocratique.

Maroc Hebdo - Driss Aissaoui

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