Immigration Canada : L’ultime frontière

20 décembre 2006 - 19h59 - Monde - Ecrit par :

Le Québec fait des pieds et des mains pour attirer les immigrants qualifiés. Mais une fois ici, plusieurs se retrouvent coincés dans un dédale bureaucratique où les différents intervenants se renvoient la balle. Histoires de destins mis entre parenthèses. Dans son site Internet, le ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration ne lésine pas pour vanter les charmes du Québec auprès des étrangers : « Le Québec accueille des immigrants venus des quatre coins du globe avec leur savoir-faire, leurs compétences, leur langue, leur culture et leur religion. » Une excellente nouvelle, considérant que la population active de la province déclinera dès 2011, selon les prévisions d’Emploi-Québec.

Génial, a pensé l’ingénieure chimiste marocaine Khadija Amassine en apprenant dans ce même site que sa profession était demandée au Québec. Elle débarquait à Montréal au printemps dernier avec son diplôme de génie chimique, le titre d’ingénieur d’État (le statut officiel d’ingénieur au Maroc) et quatre ans d’expérience de travail dans un ministère de son pays. Mais à sa grande surprise, l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) a refusé de reconnaître son titre.

Dans son CV, elle écrit donc « baccalauréat en génie chimique » plutôt qu’« ingénieure ». Une nuance qui n’est pas sans conséquences. « J’ai envoyé des dizaines de demandes d’emploi dans des ministères, chez Hydro-Québec, dans des compagnies pétrolières, sans réponse. Je me suis dit qu’avec un diplôme canadien au moins, j’aurais plus de chances de décrocher un vrai job. » Depuis, elle s’est inscrite au diplôme d’études supérieures spécialisées à l’École Polytechnique de Montréal.

Le cas de Khadija Amassine est loin d’être unique. Entre 1997 et 2001, les 45 ordres professionnels du Québec, qui contrôlent l’accès à autant de professions, ont traité 3.600 demandes d’équivalence : un peu plus de 1.000 ont été reconnues intégralement et presque autant ont été rejetées d’emblée, selon les chiffres du Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ) (l’organisme qui regroupe les 45 ordres professionnels québécois). Pour ce qui est des autres dossiers, les ordres concernés exigeaient des candidats qu’ils fassent une formation d’appoint dans le système scolaire avant de pouvoir prétendre au titre convoité.

Un jeu de serpents et d’échelles

Même si le Québec trie ses candidats à l’immigration sur le volet, les immigrants qualifiés se retrouvent ici englués dans un labyrinthe de procédures administratives et parfois tatillonnes avant de pouvoir trouver un emploi à la mesure de leurs talents : les procédures du MRCI, puis des corporations et des ordres professionnels, et enfin, celles des centres de formation professionnelle, des cégeps et des universités lorsqu’une formation d’appoint est exigée. À ces difficultés s’ajoutent le coût de la formation et celui des examens professionnels, un problème pour un nouvel arrivant sans revenu.

Arrivé au Québec en 1999 en tant qu’ingénieur électronicien — le titre qu’il portait en France —, Jean-Claude Giorgi ne pourra jamais se joindre à la confrérie du génie québécois. Il est titulaire d’un diplôme d’études supérieures techniques (inférieur au diplôme d’ingénieur français), et son dossier a été carrément rejeté par l’OIQ, sans possibilité d’appel. L’Ordre a jugé qu’il devait suivre une formation trop importante pour pouvoir prétendre au titre. « Comme je n’ai pas le diplôme d’ingénieur, il aurait été normal qu’on me demande de passer des examens, raconte-t-il. Mais je ne m’attendais pas à un refus pur et simple. »

Vos papiers s.v.p.

« Les immigrants doivent traiter individuellement avec différentes institutions qui ont chacune leurs règles, sans qu’il n’y ait de ponts entre elles », remarque Pascale Chanoux, responsable des politiques d’accueil pour immigrants à la Ville de Sherbrooke et spécialiste de la reconnaissance des acquis et compétences.

Par exemple, un ordre professionnel peut exiger qu’une personne formée à l’étranger suive quelques cours avant de lui permettre de passer un examen professionnel. Mais c’est l’individu qui doit se présenter de lui-même à l’université. L’établissement peut alors lui refuser l’accès au cours, ou peut très bien ne pas l’offrir à ce moment : programme contingenté, formation d’appoint trop pointue ou trop partielle, manque d’inscriptions...

« Souvent, l’immigrant a une demande de formation de l’ordre, mais est incapable d’obtenir cette formation dans le système scolaire, souligne-t-elle. Ça lui fait perdre du temps, de l’argent et, surtout, de l’espoir. »

La désillusion, le médecin Sajida Rehman connaît. Originaire du Pakistan, où elle a exploité une clinique médicale privée pendant six ans, elle est arrivée à Montréal en mai 2002 à titre de réfugiée politique. Elle tente depuis de faire reconnaître son titre. Mais avant même de pouvoir passer les tests de connaissances médicales théoriques et pratiques, elle doit remettre un dossier complet au Collège des médecins, avec la description de tous les cours qu’elle a suivis. « En tant que réfugiée, il m’est impossible de contacter les établissements pakistanais. Je devrai peut-être me résoudre à faire un autre boulot... »

Sur la bonne voie

Un autre obstacle rencontré par les immigrants qualifiés est la barrière culturelle. Outre la connaissance de leur métier, ils doivent vite saisir les subtilités de la langue et de la communication, de l’organisation du travail et de la société, du système d’enseignement, des codes de déontologie. « Exercer une profession, c’est un acte culturel, fait valoir André Gariépy. Il ne s’agit pas seulement de reconnaître un cancer du pancréas et de le traiter, mais aussi de communiquer avec le patient et de mobiliser les ressources adéquates. »

Des programmes de formation d’appoint spécialement conçus pour les clientèles immigrantes visent entre autres à combler les lacunes à la fois culturelles et professionnelles de ces personnes. Et leurs taux de réussite sont étonnants : un projet de tutorat mené conjointement depuis trois ans par des organismes communautaires et gouvernementaux en collaboration avec l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) a fait grimper le taux de réussite aux examens de l’OIQ de 60 à 80 % !

Découragés, plusieurs immigrants ont plié bagage. Parmi ceux qui demeurent, plus de 600 ont signé la pétition pour l’emploi du réseau Immigrer-Contact. Cette pétition, remise en août au MRCI, demande au gouvernement d’intercéder auprès des différents ordres afin d’assouplir l’accès aux titres réservés. « Plutôt que d’exiger des immigrants qu’ils retournent à l’école, il faudrait plutôt leur faire passer des examens professionnels lorsqu’ils arrivent. S’ils les réussissent, ils devraient recevoir une accréditation immédiate. C’est ce que nous demandons au MRCI. »

Martine Roux

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