Où sont implantés les Marocains du monde ?

30 juillet 2007 - 01h54 - France - Ecrit par : L.A

C’est l’été et avec lui son incessant cortège de Marocains résidant à l’étranger, qui se présentent par milliers aux frontières. Fin mai, ils étaient déjà près de 668.000, soit 7 % de plus par rapport à la même période de l’année dernière. Selon les estimations, la diaspora marocaine compte 3 millions de personnes. Mais, au fait, qui sont-ils, ces « Marocains sans frontières » ?

Les MRE forment une population très hétérogène, comme on s’en doute. Mais l’étude réalisée par l’Institut universitaire européen (EUI), à travers le Centre Robert-Schuman pour les études avancées (RSCAS), apporte des précisions des plus intéressantes.

Une constatation s’impose d’emblée. Le profil de la population des émigrés a profondément évolué ces vingt dernières années, que ce soit au niveau démographique ou socioculturel, souligne le Pr Fatima Sadiqi, chargée de l’étude commanditée par la Commission européenne.

De 160.000 migrants dans les années 1960, la population de Marocains « expatriés » est passée à près de 3 millions, dont près de 2 millions résidant dans les pays européens. Et ces chiffres ne tiennent pas compte des sans-papiers, impossibles à évaluer. Le premier contingent se trouve naturellement dans l’Hexagone, suivi par l’Espagne, qui devance les Pays-Bas et la Belgique, deux des destinations historiques de la diaspora marocaine.

Après l’Indépendance, les destinations choisies par ces Marocains se diversifièrent, Pays-Bas, Espagne, Belgique..., afin de tirer avantage des multiples opportunités de travail offertes par l’Europe. La majorité d’entre eux restèrent là, et leurs familles les ont rejoints plus tard dans le cadre de la politique de regroupement familial. Ces premières vagues de migrants marocains ont quitté le Royaume dans les années 1950 et 1960 pour aller majoritairement en France. Près de 60% des migrants sont issus de la campagne, et le passage en ville n’est qu’une étape avant l’émigration. Le taux moyen de migration par famille est de 1,7% pour les personnes vivant en ville et 1,1% provenant des bidonvilles.

Côté situation familiale, 2/3 des migrants étaient célibataires avant de migrer. Parmi ceux nés à la campagne, 50% étaient mariés avant de partir, car, dans les contrées reculées, l’âge du mariage est très précoce. Aujourd’hui, plus de 85 % des migrants sont mariés, 10% sont célibataires et moins de 3 % sont divorcés. Notons que, depuis les années 1990, l’âge du mariage est en recul constant. Seuls 14% se marient entre 20 et 29 ans.

Les femmes émigrées sont généralement dépeintes comme des épouses, des jeunes filles et des mères souvent inactives (Freedman, J&C. Tarr, 2000). Ce sont principalement des femmes qui sont parties pour des raisons de regroupement familial. La plupart d’entre elles sont illettrées ou semi-illettrées et souffrent de solitude et d’exclusion en arrivant dans le pays d’accueil, note le rapport. Elles sont aussi confrontées à de gros problème d’intégration. Il faut d’ailleurs environ cinq années pour qu’elles s’intègrent à ce nouvel environnement. Beaucoup d’entre elles ont de « petits » boulots. Ce sont principalement des serveuses, des cuisinières ou encore des femmes de ménage.

Toutefois, depuis les années 1980, cette diaspora féminine a connu quelques transformations. Ce sont maintenant des travailleuses et des étudiantes qui partent. Mais celles-ci occupent encore des postes ne nécessitant que peu de qualification. Des emplois souvent précaires et temporaires, selon une étude réalisée par Ruspini en 2004. D’autres travaillent même sans contrat dans les usines, ou comme femme de ménage (Oishi 2002). Celles entrées illégalement tentent de régulariser leur situation par un mariage ou des études. Mais une caractéristique commune traverse l’ensemble de cette population : violence, non-paiement de salaire sont souvent leur lot quotidien.

Généreux, les migrants

Les flux financiers générés par les transferts des travailleurs immigrés en France représentent un montant annuel de 8 milliards d’euros environ, soit 0,5% du PIB. Si ces chiffres doivent être maniés avec précaution, ils n’en demeurent pas moins significatifs. En effet, on note que 41% des migrants envoient de l’argent dans leur pays d’origine, cette proportion s’élevant à 60% pour les personnes originaires d’Afrique subsaharienne. La fréquence et l’ampleur de ces envois de fonds expliquent donc, pour une part, la faiblesse du patrimoine des migrants en dépit de leur forte propension à l’épargne. On estime ainsi que ces transferts représentent, sur une longue période, 15 à 25% de leurs revenus.

Cette situation impose à de nombreux migrants de restreindre drastiquement leur consommation courante. Or cette contrainte ne peut que réduire encore leur capacité à adopter le mode de vie et les comportements économiques en vigueur dans le pays d’accueil. Elle peut donc se révéler pénalisante pour leur intégration. Toutefois, la mission s’est abstenue de prendre position quant à l’opportunité économique des transferts, et, considérant que ceux-ci résultent de choix personnels, s’est concentrée sur l’étude des moyens susceptibles de diminuer les coûts liés à ces transferts, tout en augmentant leur efficacité au profit des pays d’origine. A cet égard, les conditions financières offertes à leurs usagers par les systèmes de transfert financier entre pays d’accueil et pays d’origine ne semblent pas optimales. Il apparaît en effet que les sociétés de transfert, présentes dans des pays où le secteur bancaire demeure souvent embryonnaire, opèrent dans des conditions de concurrence peu satisfaisantes.

Les parts de marché de la principale d’entre elles atteignent ainsi 46% des transferts à destination de l’Afrique subsaharienne, 27% en Algérie, 33% au Maroc. Suivant le degré de développement du système financier local, la générosité des migrants peut ainsi se trouver fortement ponctionnée. La mission juge souhaitable des mesures susceptibles de mieux orienter l’allocation des transferts. Environ 75% des flux financiers venant alimenter les zones d’émigration se trouvent en effet orientés vers des dépenses de santé ou de consommation courante et ne contribuent pas au développement économique local.

L’intégration... par la finance

Près de 14% des migrants en France partagent l’opinion selon laquelle l’accès au crédit et aux services bancaires serait relativement fermé aux personnes les plus récemment installées sur le territoire national. Il importe toutefois de noter que ce phénomène concerne pour l’essentiel les catégories les plus fragiles sur le plan économique (revenus mensuels inférieurs à 1000 €).

La persistance de telles difficultés explique pourquoi le taux de détention de produits bancaires demeure faible au sein de la population des migrants. Alors que la moyenne nationale en France est de 84%, seulement 62% des migrants détiennent des produits de ce type. Par ailleurs, 24% des migrants recourent aux dispositifs d’épargne-logement. Enfin, le taux de détention de produits financiers, tels que l’assurance-vie, au sein de cette population demeure faible (16% contre une moyenne de 40%).

Les difficultés d’intégration économique rencontrées par les migrants se manifestent également dans le domaine du logement. Le désir d’accéder à la propriété, manifesté par 43% des migrants interrogés par les auteurs du Rapport Milhaud (voir aussi page VIII) reste peu satisfait. Cet état de fait s’explique en partie par le maintien de liens étroits avec le pays d’origine, où 20% des migrants souhaitent à terme acquérir un bien immobilier. Pour les Marocains, ce taux est encore plus élevé.

L’ensemble de ces éléments se combine pour ralentir le processus d’intégration économique et justifie le sentiment, partagé par une forte proportion de migrants, selon lequel la recherche d’un emploi (pour 57% d’entre eux), d’un logement (62%) ou la maîtrise des démarches administratives (68%) constituent de véritables obstacles. Les dispositifs d’accueil existants se révèlent peu adaptés aux exigences d’une intégration économique rapide et efficace. Si la volonté de marquer symboliquement l’entrée en France constitue un objectif légitime et très largement accepté par les migrants.

L’analyse des difficultés rencontrées par les migrants dans leur intégration doit prendre en compte les liens financiers que ces derniers conservent fréquemment avec leur pays d’origine. Il s’agit en effet d’un comportement économique dont l’importance est cruciale tant pour les migrants, qui consacrent à ces envois une part considérable de leur revenu, que pour certains pays d’émigration, dont le développement est largement subordonné à l’afflux de devises en provenance des pays d’accueil.

L’Economiste - Alexis Bensaad

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