MRE : Le rapport qui fait trembler les banques marocaines

1er août 2007 - 23h11 - Economie - Ecrit par : L.A

L’argent est la première motivation d’émigration, il doit être le premier outil d’intégration. C’est la conclusion qu’on peut tirer du rapport « L’intégration économique des migrants et la valorisation de leur épargne », réalisé par Charles Milhaud, président du Directoire de la Caisse Nationale des Caisses d’Epargne à la demande de Nicolas Sarkozy, alors ministre d’Etat à l’Intérieur.

Ce rapport a été reçu avec beaucoup d’inquiétude par les banques marocaines. « Le maintien des liens financiers avec les pays d’origine peut se révéler pénalisant », c’est pourquoi « le secteur bancaire et financier doit se mobiliser pour l’intégration des migrants dans le cadre d’un engagement national » et « doit accompagner leur participation à la vie économique et leur faciliter l’accès au crédit ».

Ce genre de recommandations même tempérées explique de telles craintes. Si les MRE ne constituent qu’une petite part dans le portefeuille clients des banques françaises, ils représentent une mine d’or non seulement pour leurs homologues marocaines mais aussi, et surtout, pour le pays. Les transferts des MRE ont dépassé 4 milliards d’euros en 2006, soit 10% du PIB environ dont 1,9 milliard venant de l’Hexagone.

Cependant, l’étude ne parle pas de couper les liens financiers entre les immigrés et leurs pays d’origine. « La mission s’est abstenue de prendre position quant à l’opportunité économique des transferts et considère que ceux-ci résultent de choix personnels ». Mieux, le rapport évoque la nécessité de faciliter les transferts d’argent par la baisse de leur coût et d’augmenter la part des transferts formels.

Les banques marocaines ont là des créneaux de développement considérables. Mais elles doivent désormais compter avec la concurrence des banques françaises sur ce qui est encore leur chasse gardée. L’activisme dont elles font montre cette année n’est peut-être pas sans lien avec le rapport Milhaud.

L’étude donne l’expérience des banques espagnoles en exemple. Celles-ci se sont ouvertes à la clientèle des migrants dans le cadre de leur propre stratégie de développement. « Ces derniers, considérés comme de véritables relais de croissance, sont ainsi accueillis dans des succursales ad hoc et se voient proposer des services en rapport avec leurs besoins (transferts, communications avec le pays d’origine, recherche de logement ou d’emploi) ». Mais en aucun moment les banques marocaines ne se sont senties menacées par leurs homologues espagnoles. Pourquoi de telles appréhensions aujourd’hui ? Peut-être parce que le marché français est beaucoup plus important ou parce que cela fait l’objet d’une politique nationale d’intégration des immigrés dont Nicolas Sarkozy, alors candidat aux présidentielles, en avait fait un de ses chevaux de bataille.

Transferts : Combien ça pèse

Les flux financiers générés par les transferts des travailleurs immigrés en France représentent un montant annuel de 8 milliards d’euros environ, soit 0,5% du PIB de la France. Ce qui n’est pas rien. Le rapport de Charles Milhaud note que 41% des migrants envoient de l’argent dans leur pays d’origine. Ils sont 2 sur 3 à avoir ce réflexe quand ils sont originaires d’Afrique sub-saharienne.

La fréquence et l’ampleur de ces envois de fonds expliquent, pour une part, la faiblesse du patrimoine des migrants en dépit de leur forte propension à l’épargne. Sur un longue durée, les migrants transfèrent l’équivalent de 15 à 25% de leur patrimoine, selon les estimations de l’étude. Une générosité qui constitue un « frein supplémentaire » à leur intégration en France.

Les migrants sont obligés de restreindre drastiquement leurs dépenses courantes, ce qui réduit leur capacité à adopter le mode de vie du pays d’accueil perçu comme l’indicateur infaillible d’intégration.

Le modèle espagnol

Les immigrés constituent une population bancaire pas comme les autres. Leurs attentes sont complètement différentes. Pour leur apporter une réponse, les établissements de crédit doivent nécessairement faire la banque autrement.

Le marketing appliqué au comportement bancaire de l’immigré fait ressortir le schéma suivant : dans les deux années qui suivent son arrivée au pays d’accueil, l’immigré a généralement besoin d’un emploi, de conseils juridiques, d’aide aux formalités, et de communiquer avec son pays d’origine. Il commence à envoyer de l’argent à sa famille.
La deuxième étape, jusqu’à la cinquième année, est marquée par l’augmentation des sommes expédiées, la stabilisation du travail et la souscription de petits crédits à la consommation.

Au-delà de cinq ans, la demande s’oriente vers des produits plus élaborés : acquisition d’une voiture, crédits immobiliers, plan de retraite, financement des études des enfants.

Ce sont les banques espagnoles qui ont, les premières, analysé le comportement financier de l’immigré dans le temps.
Convaincues que l’offre de produits doit épouser le cycle de vie migratoire, elles confectionnent des produits spécialement dédiés à la population des immigrés.

Certaines de ces banques espagnoles, notamment BBVA et les Caisses d’épargne, ont déjà investi avec succès ce segment car elles y perçoivent des relais de croissance.

Dans un contexte de marché saturé et mature, c’est les petites niches qui font la différence. Ainsi, BBVA a créé en 2002 des succursales, Dinero Express, uniquement destinées aux immigrés. Ils peuvent ainsi envoyer de l’argent dans leurs pays, utiliser les locutorios (cabines téléphoniques à très bas prix), demander des crédits, etc., le tout de 10 heures à 20 heures, un horaire beaucoup plus large que les succursales classiques qui ferment à 14 heures. Les immigrés y trouvent aussi des services non bancaires : les conseillers, eux-mêmes immigrés, les informent sur les procédures de régularisation ; ils ont également accès à des bourses de travail sur Internet et à des bourses de recherche de logements.

De leur côté, les Caisses d’épargne espagnoles ont investi le segment des transferts des migrants, se servant de produits d’appel pour vendre des crédits immobiliers. La Caixa a vu son nombre de clients migrants augmenter de 30% de 2004 à 2005, passant de 450.538 à 582.415. De même, les opérations d’envois de fonds sont passées de 296.000 en 2003 à 803.000 en 2005. La Caja Madrid a distribué le quart de ses crédits immobiliers à des immigrés.

L’Economiste - Nabil Taoufik

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