Investissements : Les Arabes sont-ils fiables ?

8 novembre 2003 - 16h48 - Economie - Ecrit par :

Les coups bas ne sont pas le propre des politiques dans le monde arabe. Entre investisseurs, les coups dans les tibias sont légion. Mais avec 30% du total investi au Maroc et leur manie de charrier du cash vers le royaume, les investisseurs arabes forcent le respect, même s’il est hypocrite, des officiels.

Le Palais des Roses International, hôtel gadiri se targuant de disposer de la plus grande salle de thalassothérapie au monde, refuse de payer ses fournisseurs. Une vingtaine d’entreprises de tout bord, sous-traitant du maître d’ouvrage Dalah Al Baraka, ont réalisé des prestations sans autre garantie que celle qu’octroie le nom du célèbre groupe saoudien, initiateur d’une série de méga projets à travers tout le royaume - la station balnéaire de Taghazout, des usines de transformation de poisson à Taroudant... Mal leur en a pris. Elles se sont retrouvées avec des impayés de l’ordre de 25 millions de dirhams au total. Durant la deuxième semaine d’octobre, le conflit a été étalé sur la place publique. Un communiqué signé par ces "victimes de Dalah Al Baraka", les entreprises sous-traitantes, dénonçait son attitude de mauvais payeur. La dénonciation n’y changera rien, ni même une assignation en justice. Le groupe saoudien refusera de payer sous la contrainte d’une saisie conservatoire sur les meubles du Palais des Roses international.

Des histoires comme celle-là, il y en a beaucoup. Chaque année, des arnaques maroco-arabes pourrissent le climat de l’investissement mais résument-elles pour autant la situation ? "Non, insiste-t-on à la direction des investissements extérieurs, la réalité est qu’il s’agit d’apport étrangers vitaux pour le royaume, même si les secteurs de destination laissent à désirer par rapport aux priorités du pays".

Crédibilité atteinte

Les arnaques ne sont pas le propre des ressortissants arabes, mais elles prennent une toute autre dimension quand les protagonistes sont issus de cette région du monde. Dalah Al Baraka est le meilleur exemple pour illustrer cet état de fait. "Demandez si un quelconque autre investisseur a charrié autant de devises vers le royaume", se défend Ahmed Ahmed, le responsable de Dalah Al Baraka au Maroc. Il est vrai que le groupe privé saoudien peut se targuer de vouloir injecter dans l’économie marocaine plus de 150 millions de dollars (1,5 milliard de dirhams) selon le responsable. Il serait alors le plus grand investisseur étranger au Maroc hors opération de privatisation (Vivendi et la Régie des tabacs). Avec un argumentaire de cette taille, la crédibilité du groupe est sauve, mais est-ce le cas des autres projeteurs arabes plus nombreux et surtout moins importants ?

A ce niveau, l’année 2003 a été chargée d’événements de mauvaise presse pour l’investissement arabe. Les nouvelles Somatam, une société qui opère dans le secteur du cuir, a été attrapé la main dans le sac en pleine fraude douanière. Alors qu’elle déclarait exporter du cuir semi-fini, les contrôleurs ont découvert dans ses conteneurs de la matière brute. Celle-ci est interdite à l’export, depuis la pénurie qui a frappé le marché en 2001, suite à la demande massive du marché européen lors des crises de la vache folle et de la fièvre aphteuse, durant lesquelles les carcasses des bêtes étaient incinérées avec leurs peaux. Mathar Tourki, le propriétaire yéménite des nouvelles Somatam, n’a pas désiré commenter cette affaire.

Autre exemple à El Jadida. La ville, dont la capacité d’accueil est limitée, s’est vue privée d’un de ses hôtels, le Doukkala, suite à sa reprise, dans le cadre de la privatisation par un Saoudien du nom de Adelmajid Abou Al Jadail. Depuis le début de l’année, l’état de délabrement avancé de l’hôtel et le non-versement des salaires sont étalés dans la presse. L’ardoise est plus salée côté créanciers. "La perception, la CNSS, la régie locale de distribution d’eau et d’électricité, un bureau d’études et un architecte, ayant participé aux travaux de rénovation de l’hôtel, exigent d’Abou Al Jadail le paiement de plus de 11 millions de dirhams", confie un ex-chef de la réception. Aujourd’hui, l’hôtel court tout simplement vers la liquidation judiciaire.

Devise indispensable

Assurément, les investisseurs d’origine arabe traînent derrière eux une mauvaise réputation. Mais pour autant, le Maroc peut-il se passer de leur apport ? Selon Hassan Bernoussi, le directeur des investissements extérieurs, l’administration qui assure le secrétariat de la commission interministérielle de l’investissement, "le montant des devises d’origine arabe injectées au Maroc représente plus de 30% du total des investissements étrangers". En fait, selon les statistiques de l’Office des changes, avec près de 750 millions de dirhams, la part des investissements arabes parmi le total des investissements étrangers atteint difficilement les 13%. Pourquoi cette différence ? Selon Bernoussi, il s’agit d’une injustice statistique. "Une norme internationale impose la comptabilisation des investissements par rapport à l’origine des fonds et non par rapport à la nationalité de leurs pourvoyeurs", souligne Bernoussi. Ainsi, le produit de la licence de Méditel sera officiellement comptabilisé avec les investissements néerlandais et non espagnols, parce que les fonds proviennent de l’ABN Amro Bank. De la même façon, tous les investissements d’origine arabe financés à partir de banques européennes (spécialement de la place de Londres) ne figureront pas dans la rubrique idoine.

A leur part importante dans le total étranger investi au Maroc, une particularité, des pays du Golfe plus qu’ailleurs, rajoute à l’importance des investissements arabes. "Il s’agit pour la plupart de projets financés par des apports réels en devises", insiste Malik Annabi, le directeur de la succursale marocaine de l’Arab Bank. Un investisseur du Golfe produira son apport sous forme de devises sonnantes trébuchantes tandis qu’un Européen fournira une caution de sa banque pour se financer en dirhams locaux. "Certes la finalité est la même, l’investissement, la création de richesse et de l’emploi, mais l’approche est nettement plus profitable au Maroc", commente Annabi.

Ratages sectoriels

Profitable, l’approche le serait encore plus si les secteurs cibles de l’investissement arabe concordaient avec les priorités du Maroc. La direction des investissements extérieurs comme l’Arab Bank s’accordent à définir le tourisme et l’immobilier comme les principales destinations des fonds arabes introduits au Maroc. "Il s’agit de secteurs qui offrent une rémunération importante des capitaux sur un courte durée", note Annabi. En fait, le risque ne semble pas le fort des arabes. "Une question d’affinité culturelle", explique Hassan Bernoussi, en dehors du tourisme et de l’immobilier, ils opèrent dans des secteurs qu’ils connaissent bien comme l’élevage et la transformation de viande blanche". Pourquoi cette orthodoxie des investisseurs arabes alors qu’il existe des secteurs vitaux pour le Maroc, qui plus est, sont subventionnés par le fonds Hassan II, comme le textile, les composants électroniques, etc. ? "En plus de l’objectif de gain rapide, il faut savoir qu’ils ont vécu des expériences extrêmement préjudiciables à cause d’associations malencontreuses avec des capitaux marocains", explique Ali Bajaber, le responsable du Club des investisseurs arabes nouvellement créé. L’arnaque existe dans un sens comme dans l’autre. "C’est une frange d’investisseurs qui a besoin d’être sécurisée en permanence", confirme Bernoussi. Une rapide lecture d’un état délivré par le Club montre que les investisseurs qui se sont écartés des secteurs traditionnels ont des difficultés pour concrétiser. C’est le cas du Holding Inmaâ. Le promoteur désirait monter une académie du tourisme. Mais pour atteindre les 200 millions de dirhams qui l’autorisent à introduire du matériel en franchise des droits de douanes, il a complété son offre par une affaire de publicité sur des abris de bus à Casablanca, Media boulevard, et une autre de limousines pour hôtels, Impérial Limousine. Il a suffi que les autorisations de Média boulevard soient bloquées à la wilaya pour que tout le projet sombre.

Lobby : Un club des investisseurs arabes

Le club des investisseurs arabes est né en mai 2002 sur l’initiative de Ali Bajaber, le représentant du holding Inmaâ. Son objectif était de pallier le vide des missions économiques arabes au Maroc en constituant un lobby au profit de cette frange d’investisseurs. Son président n’est autre que Jamal Ba Amer, le puissant patron de Corral, propriétaire de la Samir. "Plus d’une année après sa création, l’essentiel de l’action du club consiste en l’organisation de séminaires et la signature d’une multitude de protocoles", se plaint un des membres Comme lui, plusieurs de ses collègues se seraient abstenus de payer leur cotisation, "100.000 DHque rien ne justifie dans les prestations du Club". Ali Bajaber défend la thèse contraire. "Il faut estimer l’importance du Club par rapport à la vacance des instances officieles arabes".

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