L’échec de la restructuration du secteur coopératif marocain

26 décembre 2006 - 00h25 - Maroc - Ecrit par : L.A

Neuf ans, trois ministres et un budget de plus de dix-huit millions de dirhams n’auront pas suffi pour atteindre les objectifs convenus avec la FAO. Pourtant, le projet de restructuration du secteur coopératif aurait pu permettre au Maroc de faire face à nombre de défis économiques et sociaux. Eclairage sur un dossier à rebondissements truffé d’intrigues et lourd d’interrogations.

À quelques jours de l’échéance du projet national de restructuration du secteur coopératif, le scepticisme s’est installé quant à la révision de la loi et à l’organisation d’un établissement public. Ces derniers ont été jugés inefficaces pour permettre le développement des coopératives. Il faudrait un miracle pour que ce résultat soit atteint avant le 31 décembre 2006, le terme de rigueur fixé par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), porteuse du projet.

Pourtant, le Maroc, qui occupe le 123e rang parmi les 177 pays couverts par le Rapport mondial sur le développement humain 2006 du PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement), pourrait, grâce à une réelle volonté politique, permettre à l’entreprise coopérative de lutter contre la pauvreté, le chômage, l’exode rural et l’immigration clandestine. Cette volonté politique lui donnerait également les moyens de contribuer efficacement à organiser l’économie informelle, à combattre l’habitat insalubre et toute forme d’exclusion. Mais pour réaliser ces objectifs, le secteur coopératif doit d’abord se structurer.

C’est dans ce but que, le 1er janvier 1998, la FAO et le ministère de l’Économie sociale ont signé une convention de coopération sur cinq ans. Ce délai a été prorogé à neuf ans à la suite d’une requête formelle du gouvernement marocain, auprès de la FAO, afin de poursuivre les activités initiales. Un budget global de plus de 18 millions de dirhams (2 079 425 de dollars US) a été alloué à la réalisation du projet. Celui-ci consistait en la réalisation de diagnostics et d’études analytiques en vue de mettre en place un plan de développement exhaustif.

Deux hommes ont, pendant les trois premières années du projet, organisé puis mené un travail de terrain. Ils ont rencontré, dans 14 régions, plus de 1 600 représentants du secteur, ceux des coopératives et des associations ainsi que ceux des administrations et des chambres consulaires. Ce travail a été conduit par Ahmed El Hanafi, directeur du projet, et Ahmed Aït Haddout, directeur de l’Office de développement de la coopération. Ils en ont déduit 52 recommandations. La révision de la loi n°24-83 et la réorganisation de l’établissement chargé du développement des coopératives ont été les plus importantes d’entre elles et ont défini les principaux chantiers à mener.

Paradoxalement, ces deux hommes ont quitté le projet, alors qu’il semblait être sur orbite. Le premier, à la suite d’un départ volontaire ; le second à la suite d’un départ forcé. Les relations avec Ahmed Lahlimi, ministre de l’Économie sociale, n’étaient pas au beau fixe.

Ahmed Aït Haddout, pourtant nommé par Dahir (décret royal), a été limogé par son ministre dans des conditions obscures. Puis le directeur de l’ODCO a passé soixante-quatorze jours en prison. Pour « officialiser » la disgrâce, tout en sachant que la révocation d’un haut fonctionnaire de l’État est une prérogative royale, le ministre a sollicité l’Inspection générale des finances IGF et demandé l’audit des comptes de l’ODCO.

Ahmed Lahlimi a débauche Younès Shaimi, inspecteur à l’IGF ayant audité les comptes, et lui a proposé le poste vacant, qu’il a accepté. Un événement qui avait amené Maroc Hebdo International à poser cette question pleine de bon sens : « comment permettre à un auditeur qui a confirmé les dysfonctionnements et les anomalies constatées à l’ODCO de se trouver du jour au lendemain nommé directeur par intérim du même établissement ? » Sachant également qu’en tant que tel, il était naturellement prié de poursuivre les chantiers de restructuration et de prendre le relais d’un projet d’envergure nationale avec des enjeux stratégiques pour lesquels il ne disposait d’aucune expérience ni de compétence.

C’est dans ce climat que M’Hamed Khalifa est devenu ministre de l’Économie sociale, mandat qu’il a conservé pendant deux ans. En 2004, il a déclaré : « J’ai, en effet, souffert de l’absence de soutien réel et effectif de la part du Premier ministre dans les efforts que je déployais au sein de mon ministère pour dépasser la situation critique où je l’ai trouvé en raison notamment des opérations d’audit dont il était l’objet à l’initiative de mon prédécesseur (Ahmed Lahlimi). »

Depuis 2004, le secteur coopératif relève du ministère du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie sociale. Adil Diouri est certes préoccupé par l’objectif d’atteindre dix millions de touristes à l’horizon 2010, mais risque de reléguer, lui aussi, la promotion des coopératives et la régulation de la législation coopérative à un plan dont il ne maîtrise pas les facettes.

Pourquoi une législation coopérative ?

La législation constitue l’un des facteurs essentiels qui peuvent influer sur l’environnement du développement des coopératives. Ces dernières devraient pouvoir compter sur un traitement analogue à celui qui est offert à d’autres formes d’entreprises : un cadre juridique qui n’autorise une intervention dans les affaires des coopératives que pour protéger les intérêts des membres et de qui traite avec eux. Au lieu de s’ingérer dans les dossiers des coopératives, l’État devrait favoriser leur développement en appuyant des projets. Ce cadre juridique aurait également à s’accorder avec la déclaration sur l’identité coopérative adoptée en septembre 1995 par l’Alliance coopérative internationale.

Mais la loi n°24-83, entamée et élaborée pendant les « années de plomb », est toujours en application. Elle est imprégnée du « tout-sécuritaire », doctrine du ministère de l’Intérieur, qui avait tissé sa toile à tous les niveaux. Le but était d’encadrer la population et, par conséquent, tout mouvement communautaire. Le secteur coopératif en est un, et il continue de souffrir de cet héritage. L’ODCO ne deviendra pas « un organisme professionnel à la dimension d’une fédération ».

L’« affaire »

Le piétinement a été aggravé par une intrigue dont les représentants de la FAO ont été témoins. L’ODCO et son directeur en sont les acteurs. Il s’agissait d’une « affaire de détournement de deniers publics inventée de toutes pièces par l’ancien ministre de l’Économie sociale (Ahmed Lahlimi) ».

Depuis le 13 juin 2002, date de la suspension d’Ahmed Aït Haddout par son ministre, ce dossier continue de perturber le projet de restructuration du secteur coopératif. Le responsable de l’ODCO comme ceux du ministère n’ont donc pas pu assister, la même année, à la Conférence générale de l’OIT ayant adopté la Recommandation 193 au sujet de la promotion des coopératives.

Le ministère des Finances a procédé alors, en 2002, à l’audit des comptes de l’ODCO, dont les conclusions sont gardées secrètes. Et la Cour des comptes s’engage à élucider une « affaire ambiguë » qui, avec l’absence regrettable de la participation du Maroc à l’adoption officielle de la Recommandation 193, a un impact des plus négatifs sur le développement du secteur coopératif.

« Grâces lui soient rendues »

Aspiration populaire par excellence, la dynamique coopérative ne pourra s’épanouir qu’avec l’articulation de trois mouvements indissociables – de pensée, d’éducation et d’entreprise – dont l’inspiration demeure l’identité culturelle profonde. Le mouvement coopératif marocain est à l’image d’un gisement de diamants au-dessus duquel s’est logée, au fil d’un demi-siècle, une « décharge publique ». Éboueurs, mineurs et diamantaires devraient œuvrer de concert pour le stimuler….

Afrik.com - Youssef Alaoui Solaimani

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