Unique formation islamiste en lice, le PJD (Parti pour la justice et le développement) est devenu la troisième force politique marocaine, avec 42 députés contre 14 auparavant, alors qu’il n’avait été autorisé à se présenter que dans une circonscription sur deux aux élections législatives du 27 septembre, comme le souligne Demain Magazine. Seule l’Union socialiste des forces populaires (USFP) et les conservateurs de l’Istiqlal le devancent, avec respectivement 50 et 48 élus.
Malgré le léger recul de l’USFP, le premier ministre socialiste, Abderrahmane Youssoufi, pourrait être appelé à "former le prochain gouvernement", affirme le quotidien L’Economiste. Pourtant, Libération, le journal de l’USFP, dresse un bilan sévère de ce scrutin : "Il ne fait pas de doute que le pays connaît une relative désaffection du peuple pour la chose publique et que la gauche a reçu un sérieux avertissement." En effet, le taux de participation a à peine dépassé les 50 %. Mais le véritable sujet d’inquiétude de Libération demeure la percée des islamistes : "Les obscurantistes se développent sur le terreau du sous-développement. La percée des fachos est réelle. Il s’agit de combattre les causes, et cela est aussi bien le rôle de l’Etat, en matière de droit et dans le domaine social, que des démocrates en matière de combat pour les valeurs de la démocratie et pour la réappropriation de l’espace social."
"SE SUICIDER DANS LE DÉTROIT"
L’hebdomadaire arabophone Al Ayyam considère lui aussi que le régime doit s’attaquer rapidement aux racines de la pauvreté, sous peine de courir à la catastrophe : "Si la nouvelle coalition gouvernementale n’améliore pas les conditions de vie de la population, le Maroc restera en réanimation. Et, en attendant, les Marocains continueront la quête de leur dignité en allant se suicider dans le détroit de Gibraltar." Pour sa part, la Gazette du Maroc constate que le chemin de la démocratisation est encore long : "Dans le processus électoral, la violence a souvent pris le dessus, démontrant qu’un électorat constitué de 61 % d’analphabètes n’a pas encore assimilé les nouvelles règles du jeu. Ce phénomène montre que le Maroc est bien loin de l’instauration d’une nouvelle culture électorale."
Plus sévère encore, Demain Magazine n’hésite pas à dénoncer "des élections qui ne servent à rien". Cet hebdomadaire satirique, qui avait été brièvement interdit en décembre 2000, affirme que "la mort de Hassan II, si elle a amené sur le trône un nouveau souverain moins porté sur la violence contre ses adversaires politiques, n’a pas bouleversé pour autant le régime. Nous sommes toujours dans un modèle de monarchie absolue. Car, au Maroc, le vrai pouvoir réside toujours au Palais, et non au Parlement. Les grandes décisions économiques se prennent sous les lambris dorés des palais royaux. Le premier ministre, ses ministres et les hauts responsables de l’Etat sont nommés directement par le roi. Il suffit d’ un candidat au poste de ministre, même élu avec une écrasante majorité, ne plaise pas en haut lieu pour qu’il soit gommé de la liste et marginalisé".
Sous la plume de son directeur, Ali Lmrabet, Demain Magazine n’hésite pas à lancer un véritable appel à un bouleversement des institutions chérifiennes : "En 2002, le problème, c’est la Constitution. Amendée en 1996, elle donne toujours au roi des pouvoirs tellement astronomiques qu’on a l’impression que ce n’est plus un souverain, un être humain comme nous tous, un chef de l’Etat, mais Dieu sur terre. D’ailleurs, la "sacralité" de la personne du roi est inscrite dans la Constitution. Et si, par malheur, nous nous mettions en tête un jour de contester cette "réalité", nous risquerions jusqu’à cinq ans de prison ferme. Le Maroc est ainsi fait. Et sa structure féodale est acceptée par de grandes démocraties comme la France ou les Etats-Unis. D’où peut-être la nécessité d’oser évoquer, puisque aucun parti politique ne le fait, la nécessaire réforme de la Constitution. Il faut s’aventurer à souhaiter une nouvelle charte qui établisse de façon claire la séparation des pouvoirs entre le Palais et l’exécutif, entre ce dernier et le législatif, et, enfin, entre tous ces pouvoirs et le judiciaire – une Constitution qui établisse que la souveraineté émane du peuple et que c’est au gouvernement, fort du mandat du peuple, de gérer les affaires de la nation, un gouvernement qui serait comptable de son action devant le Parlement, et non devant le cabinet de l’ombre du Palais. Le jour où les députés pourront discuter de la liste civile du roi, du budget de l’armée et de toute chose qui a trait à la vie de la nation, sans peur, mais en restant tout de même respectueux de l’institution monarchique, ce jour-là, nous pourrons dire que le Maroc a enfin changé."
Le Monde