Les Marocains de Guantanamo seront-ils extradés vers l’Espagne ?

1er février 2004 - 19h09 - Monde - Ecrit par :

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La demande d’extradition par le juge Baltasar Garzon de la Haute Cour espagnole de quatre détenus de Guantanamo dont au moins deux Marocains, Lahcen Ikassieren et Omar Deghayes ainsi que Hamed Abderrahmane et Djamel Abdoul Latif Ahmad, relance le débat sur le sort de quelque 660 prisonniers qui n’ont aucun statut reconnu par les chartes mondiales et internationales. Une occasion pour LGM de revenir sur ce camp d’internement high-tech et sur la vie des Marocains dans cette base-prison et le sort qui leur sera réservé.

Le juge Baltasar Garzon est très têtu. Il a décidé après la débâcle Pinochet de relancer les USA sur un chapitre de plus en plus douloureux pour le gouvernement de George W. Bush : les prisonniers de Guantanamo Baye, à Cuba. En janvier 2004, le juge espagnol a donc fait savoir aux autorités américaines qu’il avait besoin d’urgence d’au moins quatre détenus de la base américaine pour parachever ses enquêtes sur la cellule espagnole d’Al Qaïda, présidée par Imad Eddine Barakat Yarkas, estimée selon le juge espagnol, comme la base arrière des attentats du11 septembre 2001. Sur les quatre demandés, il y a le cas de Lahcen Ikassieren, un Marocain originaire de Nador et un certain Omar Deghayes qui jonglerait entre nationalités marocaine et algérienne.

Le bras de fer Madrid/Washington

Ouvrant un dossier aussi capital pour les USA dans leur lutte antiterroriste, le juge espagnol était loin de se douter qu’il allait essuyer un revers cuisant de la part de Washington qui estime que personne ne pourra légiférer ou s’immiscer dans les affaires relatives à la prison de Guantanamo et au sort réservé à ses locataires. Il s’était donc fait signifier lors d’une sortie très décontractée que ce dossier ne souffrait pour l’instant aucune transaction ni négociation avec qui que ce soit et qu’il fallait attendre comme la France, l’Angleterre ou d’autres pays la bonne volonté des Américains de desserrer l’étau ou de le rendre plus hermétique. Le juge Garzon qui devait prévoir une telle réaction n’est pas en reste dans ce long débat. Il a précisé il y a quelques jours que “contrairement aux autorités US, Guantanamo relève de la juridiction US et peut donc relever du traité d’extradition conclu en 1971 entre l’Espagne et les USA”. En bonne et due forme, le juge, qui a transmis sa requête au ministre de la Justice José Maria Michavila, accuse ces quatre hommes : Lahcen Ikassieren, Omar Deghayes ainsi que Hamed Abderrahmane et Djamel Abdoul Latif Ahmad, d’appartenir à la cellule de recrutement d’Al Qaïda en Europe et donc légitimement, il est en droit d’exiger des USA de lui laisser l’accès libre à ces individus dont le témoignage et les interrogatoires devraient révéler d’autres informations sur les ramifications de la nébuleuse de Ben Laden en Occident. Parmi les quatre détenus au moins deux sont Marocains (Ikassieren et Deghayes que l’on dit aussi Algérien). Mais dans l’attente que le gouvernement espagnol se prononce sur la poursuite éventuelle de la demande d’extradition, il faut rappeler que par le passé le même gouvernement de José Maria Aznar avait rejeté en août 2003 une requête similaire du juge Garzon pour l’extradition de 40 personnes qu’il accusait de génocide et de terrorisme au cours de la "sale guerre" en Argentine entre 1976 et 1983. Ce qui avait rendu le souvenir de la non extradition de l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet, encore plus pressant et lourd. Malgré ce flou artistique entretenu autour de cette affaire, la demande de Garzon a eu au moins le mérite de faire sortir de l’ombre la voix d’Ana Palacio, la responsable de la diplomatie espagnole, qui s’en est prise, ce qui est une chose rare, à la politique de Washington. Ana Palacio a fait savoir que la détention indéfinie de terroristes présumés sur la base US de Guantanamo était une “erreur capitale des USA”. Ce qui n’est pas une mince critique qui laisse planer le doute sur la bonne entente apparente entre Madrid et Washington d’un côté et qui fait dire à certains spécialistes d’autre part, que Ana Palacio “montre déjà des signes de désaccord avec Aznar en vue des prochaines élections en Espagne, histoire de marquer le terrain en vue d’un poste à garder”. Sur la chaîne de télévision Telecinco, la ministre espère que la Cour suprême des USA puisse “ouvrir la voie” et permettre aux prisonniers de Guantanamo de sortir de ces “limbes juridiques” incompatibles avec un État de droit digne de ce nom. Là aussi c’est une déclaration à prendre dans un double sens : d’un côté inciter les Américains à faciliter le transfert des individus impliqués dans le dossier espagnol d’Al Qaïda, de l’autre éviter le “Béniouiouisme” espagnol à l’égard de Washington. Ceci tombe à point nommé à un moment où la Cour suprême a accepté d’examiner l’appel interjeté par des détenus de Guantanamo contre leurs conditions de détention. Ce qui déterminera si ces étrangers ont le droit d’être jugés devant des tribunaux civils américains.
Toujours dans le même volet, Ana Palacio n’a pas hésité à signifier à l’opinion publique que Madrid était en contact avec un de ses ressortissants détenus à Guantanamo et poursuivait un “dialogue critique” avec les autorités US sur une “situation (qui) ne peut pas durer”.

Les chameliers

Les Marocains de Gitmo (Guantanamo pour les intimes) ainsi que tous les autres compères qui logent à la base devenue forteresse sont considérés comme des “chameliers” : “chameliers, têtes de clodos” (“Raghead”). Ce sont les noms d’oiseaux par lesquels les gardiens de Guantanamo interpellent les détenus. C’est suite à une lettre de Shafiq Rasul, un détenu britannique, à son frère Habib, que le monde a pu découvrir avec quel racisme et quel mépris les prisonniers sont traités au quotidien. Pourtant la version américaine, elle, voudrait que les soldats chargés de garder les détenus reçoivent une formation pour apprendre à “travailler avec des détenus musulmans” et les “commentaires raciaux ne sont pas tolérés”. Ceci dit il n’en reste pas moins que ces qualificatifs “sont des termes notoirement racistes et islamophobes”. Pour ceux qui ont suivi les débats autour de la base de Gitmo, il est clair que les conditions de détention sont des plus inhumaines, ce qui a poussé un nombre important de détenus au suicide. En une semaine, il a été enregistré 31 tentatives de suicide, commises par 21 détenus, dont certains à plusieurs reprises. Aucun détenu n’en est mort, mais l’un d’eux en garde de graves séquelles. Dans le tas, il y aurait trois Marocains qui voulaient en finir “parce qu’ils avaient craqué et atteint le chemin de non-retour”. Ceci arrive à un moment où les autorités américaines sont dépassées par ce qui se passe sur le terrain des opérations. Aujourd’hui, elles doivent aussi faire face à des gardiens convertis à l’Islam par les détenus. Un certain nombre de gardiens du camp de Guantanamo se sont convertis à l’Islam suite à leur contact quotidien avec les détenus. C’est ce qu’a affirmé au Caire, lors d’un séminaire, le député algérien du parti El Islah, Hassan Aribi. C’est là une information qui émane des détenus algériens libérés de Guantanamo et qui a très vite été mise sur le compte de la propagande. Pour mémoire, rappelons que le même Aribi avait obtenu la libération de 18 détenus, dont 8 Algériens, à la veille de la guerre contre l’Iraq. Si l’on en croit ce responsable algérien, 90% des détenus de Guantanamo n’avaient aucun lien avec Al Qaïda ou avec les Talibans : “Ils travaillaient avec des agences humanitaires et n’ont été arrêtés que dans le cadre d’une campagne US contre de possibles suspects.” D’un autre côté, il faudra
peut-être lier ces suicides et cette crainte de la direction au Pentagone avec le dossier du capitaine Youssef Yee qui a été arrêté le 10 septembre 2003. Yee était l’aumônier des Musulmans, soupçonné d’espionnage par les autorités militaires qui l’on relevé de ses fonctions. Selon un porte-parole du Pentagone, il n’est pas question de le remplacer, les détenus s’en sortant très bien entre eux. Le capitaine Khalid Shabazz, qui a remplacé Youssef Yee, s’occupe uniquement des membres musulmans du personnel et n’a aucun contact avec les détenus. Ce qui laisse les détenus sans aumônier.
Les interprètes marocains
C’est le grand handicap de la direction américaine dans cette vaste opération menée tambour battant contre le terrorisme. Rien qu’à Guantanamo, ce sont plus de 6 000 interrogatoires de détenus qui ont été menés depuis janvier 2002. Une tâche immense qui a nécessité l’emploi de presque 70 traducteurs-interprètes qui devaient jongler avec les dialectes, les idiomes et les baragouinement de détenus blasés et surchauffés. Une partie est constituée de militaires et l’autre de civils recrutés par des entreprises sous-traitantes. Jusqu’à présent aucun document officiel n’a été rendu public pour dévoiler les nationalités des traducteurs embauchés à Guantanamo, mais selon certaines sources, il y aurait dans le tas plusieurs Marocains qui ont servi sur la base américaine en déployant leur talent de connaisseurs du dialecte marocain. Ils auraient même servi à définir de quelles nationalités étaient certains détenus qui avaient menti sur leurs pays d’origine. C’est ainsi que les responsables ont pu identifier beaucoup d’Algériens qui s’étaient cachés sous des origines marocaines. L’inverse est tout aussi vrai puisqu’il y aurait au moins six Marocains qui avaient déclaré lors des premiers interrogatoires qu’ils étaient Syriens ou même Tunisiens. Ce n’est qu’après l’arrivée sur la base d’interprètes marocains que les autorités militaires ont pu dresser des listes qui serviraient, dit-on, à d’éventuels transferts vers les pays d’origine.

La Gazette Du Maroc

Sujets associés : États-Unis - Terrorisme - Extradition - Guantanamo

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