Au Maroc, certains présidents de commune, candidats à leur succession à l’occasion de la session d’octobre, sont accusés d’avoir commencé à acheter les voix de certains élus pour garantir leur réélection.
Sociologue de formation, installé en France depuis de longues années, Driss Ajbali se présente comme un acteur dans la vie associative et politique. Son domaine de spécialité est l’immigration, la ville et la violence. Auteur de plusieurs articles sur ces questions, il est également président d’une association qui œuvre depuis 1952 dans le domaine des flux migratoires.
Connu par le public marocain à travers ses chroniques dans la presse, Driss Ajbali est porté aux devant de l’actualité grâce à l’ouvrage qu’il a co-écrit avec Daniel Riaut : « Ben Laden n’est pas dans l’ascenseur ». Driss Ajbali est, enfin, membre nouvellement désigné du Conseil consultatif des droits de l’homme. Au CCDH, il entend apporter « une certaine sensibilité », mais surtout se mettre « au service des droits de tous les Marocains y compris les MRE ». Dans l’entretien qu’il a accordé à notre journal, il fait avec nous le tour sur les questions de l’immigration et porte un regard de connaisseur sur des événements liés à la question.
Le Matin du Sahara et du Maghreb : Dans la structure du gouvernement nouvellement installé au Maroc, on note la présence d’un ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger. Quelle est votre analyse personnelle de l’événement et quel apport pour ce département au vu de l’échec d’expériences précédentes souligné par nombre d’observateurs ?
Driss Ajbalou : Ce que je retiens de prime abord, c’est la volonté affichée, par le nouveau gouvernement, de traduire la prise en compte des Marocains de l’étranger et la priorité que donne Sa Majesté à cette question. Dés lors, je ne permettrai pas de préjuger de ses objectifs. Comme beaucoup de MRE, je jugerai sur pièce. Mais, je peux dire, tout de même, qu’en la matière, si les nouveaux responsables du dossier ne savent pas ce qu’ils doivent faire, ils sont tenus de ne pas méconnaître ce qu’ils ne doivent pas faire en tirant enseignement des imperfections passées. Vous parler d’échec des expériences précédentes ? Le mot échec est peut-être approprié, mais elles avaient, ces expériences, la difficulté de tout construire, et peut-être se sont-ils trompés de bâtisseurs et de maçons. Cependant, la situation d’aujourd’hui est sensiblement différente. L’immigration marocaine à l’étranger est plus riche d’acteurs et de vecteurs plus sains, plus dynamiques, et surtout plus politiques. Elle porte en elle des éléments qui veulent plus sincèrement et de manière désintéressée, et les mots ne sont pas ici de trop, œuvrer pour un renforcement efficace entre le Maroc et un morceau de son peuple qui vit sous d’autres cieux. Il faudra savoir les mettre à contribution.
L’actualité des précédentes élections législatives avait fait monter à la surface le débat sur le droit de vote et d’éligibilité des Marocains résidant à l’étranger. Quel regard portez-vous sur cette question précise ?
Cette question mérite encore d’être posée. Tout le problème sera dans quels temres il faudra la traduire. D’abord, c’est une erreur que de parler de droit de vote pour des Marocains. Le vote est consubstantiel à la nationalité. Et comme la nationalité marocaine ne se perd jamais, il y a tout lieu de penser que tous les Marocains de l’étranger, y compris ceux qui ont une autre nationalité, sont possesseurs de ce droit. Qu’on parle, dés lors, des modalités de participation des MRE à un certain nombre de scrutins est une chose ! Qu’on suggère qu’ils soient exclus de l’accès à ce droit est non seulement un abus de langage mais une tromperie ! Les MRE ne sont tout de même pas dans la situation des noirs américains et n’ont pas besoin d’un Martin Luther King. Mais lorsqu’on aborde sérieusement cette question, on réalise qu’elle n’est pas si simple. Tous les scrutins, par exemple, ne sont pas commodes pour solliciter le vote des MRE. Les communales, pour ne citer que ce scrutin, posent un vrai problème d’organisation et pas simplement un problème d’équité. En revanche, les élections nationales énoncent d’abord des questions d’équité et d’égalités des Marocains de l’étranger. La question de la représentation, dans ce cas, mérite réflexion. Et il suffit de rentrer dans les détails pour que les choses se compliquent. Tous les MRE étant égaux devant la loi, il y a la difficulté de garantir cette égalité dans l’organisation du scrutin entre les 140 Marocains du Luxembourg et les 900 000 de France, par exemple. Je ne parle pas de ceux qui sont Australie ou en Chine. Pour contourner cette difficulté, rien n’empêche l’organisation d’une représentation à travers la deuxième chambre à l’image de la représentation des français de l’Etranger au sénat. Des modèles existent par le monde. Ils peuvent nous inspirer.
La communauté des Marocains résidant à l’étranger dispose désormais de représentants au sein de certaines institutions, notamment le Conseil consultatif des droits de l’homme. Quel serait leur apport particulier pour le pays ?
Je ne pense pas que les personnes ( on est deux avec Mehdi Qotbi) qui sont dans le CCDH ont la prétention de représenter les MRE. Non pas qu’on n’en serait pas fier. Mais pour moi, et cela n’engage que moi, la représentation est l’aboutissement d’un processus qui n’a jamais eu lieu. Qu’il faille l’imaginer, le concevoir et le construire, c’est une chose. Le confisquer, ce n’est ni dans le style de Qotbi, d’après le peu que j’en connaisse, ni dans le mien. En revanche, on peut apporter, et lui et moi, une certaine sensibilité. Mais je rappelle qu’au CCDH, nous sommes au service des droits de tous les Marocains, y compris les MRE.
Depuis le temps que la communauté européenne parle de la nécessité d’une politique commune à l’égard de l’immigration aucune mesure concrète n’a été prise dans ce sens. Personnellement, êtes-vous pour ou contre une telle décision ? Quels sont vos arguments dans un cas ou l’autre ?
Je plaide pour ma part pour une gestion européenne des questions de l’immigration.
Voyez-vous, l’immigration marocaine a, et avec un degré moindre l’immigration turque, une vraie réalité européenne. De ce point de vue, l’immigré marocain est le révélateur des incohérences des droits des migrants en Europe.
Un immigré marocain de Hollande ou de Belgique a une visibilité politique supérieure à des immigrés de France qui ont, eux-mêmes, des droits sociaux plus accrus que ceux d’Espagne ou d’Italie. Or l’avenir de tous ces gens est en Europe. Si le Maroc est leur pays de toujours, la réalité européenne est leur pays de chaque jour.
Les événements du 11 septembre, auxquels vous consacrez votre dernier ouvrage, ont eu pour répercussions directes un durcissement des politiques de l’immigration, particulièrement dans les pays de l’Europe où les populations maghrébines et arabes sont particulièrement ciblées par les mesures drastiques. Quelle position adopter face à cette situation ?
Il s’agit plus d’un renforcement de préjugés, de suspicion et de peur. Or là, on est dans le domaine de l’irrationnel. Cela demandera un effort supplémentaire de pédagogie mais aussi de combat politique pour les militants de l’intégration.
Vous soulignez dans un récent entretien à la presse qu’il y a autant de Français issus de l’immigration dans les prisons de France qu’il y en a dans l’équipe française de foot, en temre de pourcentage. La seule déduction à faire en est l’échec de la politique d’intégration pourtant prônée par tous les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir ces dernières décennies.
Le débat français est, depuis une dizaine d’années, littéralement obsédé par les conséquences, non pas de l’échec de l’intégration mais, de ce qu’on pourrait qualifier de désagrégation. L’élément le plus saillant et le plus significatif demeure la prégnance des questions de sécurité. En réalité, quand on analyse de prés la forte demande de sécurité de l’opinion, on reste frappé par le fait qu’elle repose en grande partie sur l’association entre les problèmes de la ville, la peur de la jeunesse et la responsabilité fantasmée de l’immigration.
Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin compte parmi ses membres des jeunes issus de l’immigration. Quel crédit accorder à une telle entreprise, l’intégration politique des immigrés, particulièrement Maghrébins, étant très difficile ?
Je ne vais pas faire preuve de mesquinerie sémantique, mais la nomination de deux ministres d’origine immigrée ne concerne pas que des personnes issues de l’immigration. Monsieur Hamlaoui Mekachera est un pur produit des Français musulmans qui est une spécificité de l’histoire algérienne de la France. Madame Tokia Sofia, elle, est une vraie résultante des mouvements migratoires. Mais j’apporte toutefois deux remarques. Ces deux ministres sont tous deux d’origine algérienne alors que l’immigration est bien plus plurielle que cela. Ensuite ils sont tous deux le produit d’un système de cooptation qui n’enlèvera rien au fait que la France plurielle est incarnée par une classe politique et surtout par deux chambres parlementaires monocolores. Enfin, si dans l’équipe de France le talent a fait Zidane, je ne suis pas tout à fait sûr que l’arabité serait, à elle seule, un gage d’efficacité ou de compétence dés lors qu’on se retrouve dans le champ politique. Mais il faut admettre que Jacques Chirac, ce faisant, a donné un signal fort et sans précédant dans l’histoire de la cinquième République, mis à part la nomination, par Mitterrand, de Kofi Yamgnane.
Vous parlez de « désintégration identitaire » en expliquant les raisons de la violence et du radicalisme dans les cités, faut-il se contenter d’un tel constat ?
La désintégration identitaire est une des causes incontestables de la culture de la violence. Mais elle demeure insuffisante sans la présence d’autres ingrédients qui composent l’humus que constitue la fracture sociale. Elle concourt, en tous les cas et fortement, au ralentissement du processus d’intégration. Elle démontre, par ailleurs, les difficultés que rencontre le moule d’intégration à la française dans son rendez-vous avec des cultures porteuses d’une autre conviction religieuse comme l’Islam. Autant pour les Polonais, les Italiens ou les Espagnols, l’intégration, bien qu’elle fût difficile, s’opéra in fine. Il arrive souvent qu’aujourd’hui, ces exemples soient brandis commodément pour justifier la puissance du modèle d’intégration à la française. Autant ce modèle donne les signes d’un grippage dans sa rencontre avec l’Islam. Maintenant, toute la question qui se pose, c’est de savoir s’il faut adapter l’islam ou adapter le moule d’intégration.
Le conseil du culte musulman, installé par Nicolas Sarkozy, peut-il contenir ces problèmes de radicalisation ? En quoi peut-il constituer un interlocuteur valable qui représente une communauté aux intérêts, sinon d’idéologies ( et là je fais référence au culte chiite et sunnite) disparates ?
La France a peiné à organiser l’Islam (de) ou (en) France pour qu’on ne se réjouisse pas d’une telle avancée, même si elle reste sujette à caution. Monsieur Sarkozy poursuit, dans ce dossier, un processus entamé depuis longtemps par ses prédécesseurs. J’espère qu’il réussira. Mais je reste sceptique tant l’islam est devenu un instrument de volonté de puissance de certains qui se croient définitivement propriétaires de cette religion en France. Je ne veux citer personne, mais les tentatives hégémoniques de certains acteurs a une nature politique plus qu’elle n’est religieuse. Car, ils pensent et ils ne s’en cachent pas, que celui qui détient le leadership sur la religion musulmane détiendra le leadership politique sur l’immigration dans son entier.
Entretien réalisé par Khadija Ridouane
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