« Diplomatie populaire », « lobbying », voire « lobbying de guerre »... La semaine passée, l’Alliance des Marocains de l’étranger a utilisé des termes et affiché des intentions rarement entendus, côté marocain, sur la question du Sahara. Jusqu’à l’avènement du Roi Mohamed VI, en juillet 1999, le dossier était la chasse gardée du Palais et de l’omnipotent ministre de l’Intérieur, Driss Basri, finalement limogé en novembre 1999. L’idée de l’Alliance, un collectif d’associations de Marocains venus des quatre coins du monde, était de réaliser trente ans après, en bus, ce que leurs parents avaient accompli à pied. Le 6 novembre 1975, 350 000 hommes et femmes sont partis de Tarfaya pour entrer au Sahara un coran à la main pour seule arme. Les Espagnols, encore sur le terrain, avaient annoncé leur prochain retrait sans attendre le règlement par l’Organisation des Nations Unies (Onu) du différent qui les opposait au Maroc sur cette zone.
Le message de l’Alliance, adressé à l’Algérie : ouvrez les frontières afin que les « séquestrés » de Tindouf - l’Alliance ne les considère pas comme des « réfugiés » - rejoignent librement le Maroc s’ils le souhaitent. Elle demande également à ce que des enfants de Sahraouis - dont ils ignorent le nombre - envoyés à Cuba dès leur enfance pour y être formés soient rapatriés. Ce premier fait d’arme fondateur intervient alors que le Royaume chérifien a récemment accordé le droit de vote ainsi que le droit de choisir un député aux résidents marocains de l’étranger (RME). L’ambition de l’un des organisateurs de la caravane, Mimoune Houbaine, est d’ailleurs de faire de cette coalition un parti politique. Un objectif que les associations des femmes marocaines, de défense des adolescents immigrés en Espagne ou encore de médecins ne visent pas forcément.
« Diplomatie populaire »
Le 6 mars 2005, entre 10 et 20 000 personnes avaient déjà défilé à Rabat, à l’appel de l’association Watanouna (Notre patrie), pour demander la libération des derniers prisonniers de guerre marocains détenus dans le Sud-Ouest algérien. En particulier sur ce dossier douloureux que le Royaume a longtemps délaissé. Suite à la libération des 404 derniers prisonniers détenus à Tindouf et face à cette diplomatie officielle en apparence inerte, est apparue l’expression de « diplomatie populaire », reprise par la caravane.
Mercredi 16 novembre, la caravane s’est ébranlée sous escorte, depuis Agadir, les drapeaux marocains dépassant des fenêtres et les banderoles aux slogans unitaires étalées le long des bus. Goulimine, Tarfaya puis Taha, qui marque la limite entre le Maroc et le Sahara, la délégation est à chaque étape reçue avec faste par les autorités locales. De quelques centaines d’âmes en 1975, Laâyoune affiche aujourd’hui près de 200 000 habitants. Depuis le Nord, l’accès à la capitale de la Saguia el Hamra se fait par le pont de la Marche verte, qui la transperce comme une flèche. Mais la caravane rate sa cible.
Laâyoune la coquette
Pour les participants à la caravane, Laâyoune se limitera à la visite du Palais des Congrès et à la place du Mechouar (deux fois), à un passage dans une usine de dessalement d’eau de mer et dans le port militaire, derrière les vitres des autobus, à un aller-retour sur une avenue périphérique du quartier administratif et ministériel et à une nuit dans un hôtel situé à 25 Km de la ville... Laâyoune, « les yeux », c’est aussi le « camp al wahda (de l’unité) », où sont réunies les populations démunies du Nord du pays descendues à l’appel du Roi, à partir de 1991, pour gonfler les listes du référendum d’autodétermination promis depuis des décennies par l’Onu. C’est aussi le « camp al aouda (du retour) », où vivent des Sahraouis ex-Polisario qui ont rejoint le camp pro-marocain.
« Il n’y a rien à cacher », répètent pourtant à l’envi les agents de sécurité aux journalistes qui tentent de photographier et de filmer en dehors du périmètre emprunté par la caravane. Même les journalistes marocains avouent ne pas avoir pu réaliser leurs reportages et avoir dû se contenter de « contacts téléphoniques » sur place. « Il n’y a rien à cacher, mais il faut rester en groupe par mesures de sécurité. » Une sécurité « trop présente », au goût de certains membres de la caravane. D’autres, plus anciens, préfèrent insister sur ce « premier pas », ainsi que sur l’écart d’infrastructure immobilière et routière entre le Laâyoune de leur jeunesse et celui, partiel, qui s’étale sous leurs yeux. En mai 2005, rappelle l’hebdomadaire Tel Quel, un journaliste d’Assahifa (Le journal) et une équipe d’Al Jazeera, qui tourne en boucle dans les foyers et les cafés du monde arabe, ont été refoulés dès leur arrivée à l’aéroport de Laâyoune. Un voyage de presse officiel a par la suite été organisé.
Saïd Aït-Hatrit - Afrik.com