Le mariage des mineures reste une réalité au Maroc

24 septembre 2008 - 16h44 - Maroc - Ecrit par :

Il porte un élégant complet noir. Elle, un foulard et un pull blancs sur une robe beige. Miloud, 29 ans, et Fatim-Zohra, 16 ans, attendent patiemment dans l’affairement des familles et les pleurs d’enfants, au premier étage du tribunal de Mohammedia, ville industrieuse à trente kilomètres au nord de Casablanca.

Salle 21 : c’est là, à huis clos, que le juge des mineurs s’apprête à les recevoir pour leur accorder, ou non, l’autorisation de se marier. Une sorte de dérogation puisque, depuis début 2004, l’âge légal du mariage, pour les filles, est passé de 15 à 18 ans.

Le couple, qui s’est rencontré il y a quatre mois, est confiant. La date de la cérémonie est déjà fixée : « février », annonce, tout sourire, la fiancée.

Questionnés au sujet de l’affaire Al Maghraoui, ce cheikh intégriste de Marrakech qui, début septembre, a mis en ligne sur son site une fatwa (avis religieux) autorisant le mariage des fillettes dès 9 ans, ils affichent leur dégoût. « Leur place est à l’école », s’indigne Fatim-Zohra qui, elle, a quitté le système scolaire depuis deux ans.

Me Mourad Bekkouri, un avocat de Rabat, a porté plainte contre le cheikh, un coup médiatique qui a pu amener les autorités à rompre leur silence : dimanche 21 septembre, le Conseil supérieur des oulémas, haute instance religieuse du Maroc, a dénoncé ce « mystificateur ».

10 % des mariages concernent des mineures

Mais près de cinq ans après l’entrée en vigueur du nouveau code de la famille, la moudawana, le mariage des mineures, représente encore 10 % des unions dans le pays.

« En 2006, près de 89 % des demandes de mariage de mineures ont été acceptées », évalue Nabila Jalal, 27 ans, assistante juridique à la Ligue démocratique pour les droits des femmes (LDDF), qui a mené sa propre enquête de terrain.

Afin de ménager les islamistes, le code de la famille a laissé une marge à la jurisprudence pour des « exceptions », sans fixer d’âge minimum.

Le cas de Fatim-Zohra est fréquent : « Je n’ai rien à faire à part travailler dans la cuisine avec ma mère. Je veux me marier, pourquoi attendre ? Un an et demi, c’est trop long. Ce n’est pas tous les jours qu’un mari se présente », justifie la jeune fille.

« Par superstition, repousser une demande, c’est risquer le châtiment de ne jamais se marier », explique la sociologue Soumaya Naâmane-Guessous. Fatim-Zohra n’aura pas à s’inquiéter : au bout d’une audience de cinq minutes entre le juge, elle-même, son père et son fiancé, leur demande est acceptée.

« Il nous a juste demandé si on était d’accord, où et de quoi on allait vivre », rapporte la future mariée, qui va s’installer dans la famille de Miloud, mécanicien.

Nabila Jalal déplore le laxisme des tribunaux : « Ils sont censés faire une enquête sociale, mais ne demandent pas même les fiches de paie. Quant à l’examen médical requis par la loi, il se réduit à un simple coup d’œil à la fille pour voir si elle est bien portante et peut avoir des bébés. »

Une plainte pour viol ou un mariage

Lahsen Nadane, juge des mineurs au tribunal de Mohammedia (qui, en 2006, a autorisé à se marier une fille de 13 ans et sept autres âgées de 14 ans), assure vouloir faire le bonheur des familles : « Une fois sur trois, elles se présentent à moi alors que la fête est prête, la fille a le henné sur les mains, parfois elle est déjà enceinte ! Que voulez-vous que je fasse ? »

Un cas fréquent : « Pour épargner à sa famille le déshonneur d’une grossesse illégitime, un père porte plainte contre son présumé gendre pour viol, assurant au juge qu’il est prêt à lui pardonner s’il épouse sa fille », explique Soumaya NaâmaneGuessous.

Dans certaines régions très pauvres et marginalisées du Maroc comme le Rif ou l’Atlas, où une fille, a fortiori déscolarisée, est considérée « jdate » (prête) dès la puberté, la majorité d’entre elles sont unies en toute illégalité dès 13 ou 14 ans, via le mariage dit « orfi » (coutumier).

« Cela se passe entre les familles, sans juge ni notaire, avec seulement la lecture de la fatiha (sourate du Coran), quelques cadeaux, un mouton, et les youyous pour prendre le voisinage à témoin », poursuit la sociologue. « Avec pour conséquences des “épouses” sans droits en cas de violence, de répudiation ou de décès du mari, des enfants sans papiers », déplore Najat Ikhich, présidente de la Fondation Ytto.

« Une situation qui n’arrive pas que chez les pauvres. Récemment une grande famille islamiste de Casablanca a marié le fils, pharmacien, à une fille de 14 ans », note Soumaya Naâmane-Guessous, qui récuse, cependant, tout « alarmisme » : « Le mariage des mineures n’est pas un fléau et a baissé à l’échelle du pays, où les femmes se marient maintenant à 30 ans en moyenne. La moudawana est là, c’est un énorme acquis. Mais son application est gangrénée par la corruption. »

Dans tout le Maroc, les militantes attendent avec hâte une évaluation rigoureuse. Tout comme elles attendent, toujours, une vraie campagne de sensibilisation.

« L’État a gaspillé des millions en spots télévisés alors que les villages les plus concernés n’ont même pas l’électricité » et n’ont donc pas pu être touchés, s’indigne Najat Ikhich.

Source : La Croix - Cerise Marechaud

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