Maroc : La ruée vers le luxe

23 janvier 2007 - 08h19 - Maroc - Ecrit par : L.A

Le luxe se porte à merveille au Maroc. Les enseignes prestigieuses se multiplient, soutenues par l’intérêt des classes aisées mais aussi d’une clientèle moins nantie. Qui consomme le luxe ? Comment le boom de cette industrie s’est-il manifesté et imposé ? Gros plan sur l’explosion du luxe, un phénomène relativement récent qui suscite autant l’intérêt des consommateurs que celui des commerçants.

ImageTrois jeunes femmes se présentent dans une bijouterie de luxe. Mal leur en prit, elles sont toisées de la tête aux pieds par les clientes et les vendeuses. Littéralement scannées. Il faut dire qu’avec leur modeste apparence, elles ne font visiblement pas partie de la cible de prédilection de la boutique. Elles n’arborent ni sac à main Louis Vuitton, ni carré de soie de chez Hermès, encore moins de Rolex au poignet. Les vendeuses les laissent poireauter quelques minutes, les gratifiant d’abord de regards méfiants, avant de daigner s’adresser à elles, air hautain et pincé de rigueur. Interloquées, les jeunes femmes ont l’impression de revivre le sale quart d’heure shopping de Julia Roberts dans “Pretty Woman”. Pourtant, elles ne sont ni à L.A. ni dans une boutique chic de la capitale française, sise place Vendôme ou encore Avenue Montaigne. La scène se déroule dans un des quartiers les plus chics de Casablanca, le Triangle d’or et plus précisément sur l’avenue Aïn Harrouda. Bienvenue dans la nouvelle Mecque du luxe au Maroc où la grande bourgeoisie présente une caractéristique sociologique qu’apprécient les maisons de luxe : elle voue un véritable culte aux produits griffés et aux sigles des grands couturiers, au risque de confondre parfois le bon goût et l’ostentation.

Cartier, Dior, Chopard, Kenzo, Lanvin, Louis Vuitton… Plus besoin de faire des kilomètres pour faire ses emplettes, s’offrir des produits haut de gamme et revenir parader avec au Maroc. Les enseignes luxueuses s’implantent de plus en plus à Casablanca, Rabat ou encore Marrakech. « Les mentalités ont changé », explique Kamal Sefrioui, propriétaire de la boutique de joaillerie et d’horlogerie Mystère. Selon lui, les Marocains aisés voyagent toujours autant, mais en achetant au Maroc ils ont, outre la garantie du service après-vente un service personnalisé qu’ils n’auraient pas à l’étranger. « Nous connaissons notre clientèle, nous la conseillons et nous accordons une grande importance à la relation de confiance qui nous unit ». Les Marocains consomment donc désormais du luxe dans leur pays, avec la garantie d’être reconnus et choyés lors de leurs emplettes. D’autant plus que les prix au Maroc sont alignés sur ceux pratiqués à l’étranger.

Leurs adresses favorites à Casablanca sont concentrées dans le triangle d’or. Depuis cinq ans, les marques prestigieuses y fleurissent. Là, Bulgari, Chopard et Chaumet affrontent d’autres griffes plus prestigieuses les unes que les autres, telles que Cartier et Dior, dont la première boutique ouvrira ses portes à Casablanca dans les jours qui viennent. Côté cosmétiques, Marionnaud ou encore Style de Vie offrent du haut de gamme : Kenzo, Versace, Roberto Cavalli ou encore Hugo Boss situé dans le même périmètre. Marrakech n’est pas en reste. Les magasins Louis Vuitton et Dior sont côte à côte dans l’un des plus prestigieux palaces Marrakchis, la Mamounia. En ce qui concerne la ville ocre, il est fort à parier que la « folie Marrakech » initiée il y a de cela quelques années, ayant aussi bien attiré une clientèle marocaine potentielle huppée que des étrangers aux portefeuilles garnis, est à l’origine du rush des enseignes. D’ailleurs, les deux magasins ont été inaugurés respectivement lors de la troisième et quatrième édition du Festival international du film de Marrakech, importante plateforme médiatique. Si à l’origine, ces enseignes étaient plus à la recherche d’une clientèle étrangère que marocaine, les responsables des deux magasins ont été agréablement surpris par l’engouement d’une clientèle rbatie et casablancaise, d’où la décision d’ouvrir d’autres points de vente à Casablanca.

D’autres marques tout aussi luxueuses ne connaissent pourtant pas le même engouement. Installé en septembre 2005 et commercialisant des marques prestigieuses (Givenchy, Gucci, Versace, Gianfranco Ferré…), le centre commercial haut de gamme O’gallery peine à attirer la clientèle du luxe. « On a l’impression d’être dans un supermarché du luxe. Quand une vendeuse vous tutoie en vous expliquant qu’à partir de 1000 Dhs d’achat, vous avez une réduction de 250 Dhs vous avez plus l’impression d’être dans un souk », ironise cette cliente.

Gardiens du temple

Toujours est-il qu’en pleine expansion, le luxe n’est plus l’apanage de cette classe bourgeoise. « La clientèle est de plus en plus atomisée, avec des différences culturelles très fortes », explique la gérante d’une boutique de luxe. Trois catégories se distinguent dans la masse de ces nouveaux accros du luxe. Les familles bourgeoises aristocratiques, clientèle traditionnelle des marques de luxe. Des connaisseurs qui entretiennent avec elles une relation de fidélité. Il faut avant tout qu’ils se retrouvent dans l’offre de produits. En même temps, ils n’aiment pas qu’une marque se galvaude. « Si j’achète un manteau Versace à 25 ou 30000 Dhs ou encore un sac Fendi, c’est bien pour être la seule à les porter », témoigne Nahla, dont le mari, un richissime textilien, se plie aux innombrables caprices. À côté de ce noyau dur de fidèles se trouvent les « status-seekers », les statutaires. Derrière cette appellation se profilent différentes populations : depuis les nouveaux riches à la recherche d’ostentatoire, en passant par le cadre moyen ou encore l’assistante de direction qui va claquer son salaire pour s’offrir les dernières lunettes Chanel. « Tout mon salaire y passe et je suis même criblée de dettes », avoue sans fausse honte Siham, cadre bancaire. Cette catégorie de clientèle n’a pas de relation historique à la marque. En s’offrant du luxe, ils dévoilent leur désir d’appartenir à l’élite ou encore une fierté d’y avoir accédé. Enfin, les prostituées de luxe. Très dépensières, elles constituent aujourd’hui le coeur du business à Casablanca. Elles n’hésitent pas à l’occasion à pousser les portes des plus prestigieuses enseignes pour consommer à outrance et sans compter. Ces différentes cibles partagent une relation au luxe décomplexée. Aujourd’hui, même si on ne fait pas partie d’une clientèle à hauts revenus, on n’hésite plus à s’offrir un week-end dans un grand hôtel ou à aller manger dans un restaurant chic. Ça peut être ça aussi, le luxe qui n’est plus symptomatique d’une séparation de classe. Malgré tout, dans le circuit de distribution, il reste des efforts à faire. Ces consommateurs de luxe occasionnels ne se sentent pas dans leur élément dans ces magasins de luxe.

Envolée soutenue

Il n’en demeure pas moins qu’ils sont nombreux à rêver de luxe et à dégainer leur chéquier pour satisfaire leurs désirs. On comprend par conséquent que le luxe ne fasse pas rêver uniquement les consommateurs mais suscite aussi l’intérêt des commerçants.
Les enseignes prestigieuses, proposant leurs services à une clientèle marocaine friande de luxe et d’apparat, augmentent de manière exponentielle. Après les boutiques proposant différentes marques de luxe (Rive Bleue commercialisant par exemple Dolce & Gabbana, Prada, Kenzo ou encore Sonia Rykiel), place depuis quelques années aux boutiques exclusives. Certaines sont installées depuis des années et songent désormais à ouvrir de nouveaux points de vente dans d’autres villes marocaines, à l’instar de Dior ou, pour changer de la haute couture, Lenôtre. Pourtant, le succès au Maroc de cette enseigne, d’abord installée à Rabat, est tout récent. « Nous avons passé huit années de vaches maigres », rappelle Tawfiq El Aoufir, administrateur de Lenôtre.

Depuis quelques mois, les affaires vont mieux et ont encouragé l’enseigne à s’implanter dans d’autres villes. Après Rabat, ce sont Casablanca en mai prochain, puis Marrakech et Tanger qui devraient accueillir l’enseigne française. Selon Tawfiq El Aoufir, ce récent succès s’explique, certes, par un temps nécessaire au bouche-à-oreille de s’installer efficacement, mais aussi par un essor général au Maroc, qui comprend plus spécifiquement l’industrie du luxe.

Même son de cloche pour Loïc Roix, directeur commercial des marques Porsche et Audi au sein de la Centrale automobile chérifienne : la demande est de plus en plus importante pour les produits de luxe. « C’est une tendance mondiale mais le marché du luxe au Maroc est aussi plein essor », analyse-t-il. Les voitures de luxe qu’il commercialise connaissent un grand succès, L’Audi Q7 ou encore la célèbre Porsche Cayenne se vendant comme des petits pains… à plus de 800.000 Dhs l’unité. « L’Audi Q7, le nouveau 4x4 que nous commercialisons depuis juillet 2006, a explosé les compteurs, à tel point que nous n’arrivons pas à contenter toutes les demandes ». En effet, pour rester sélectif et être en phase avec l’image haut de gamme de ces voitures de luxe, la maison mère établit un quota de vente pour chaque pays. Toute règle ayant des exceptions, face à l’importante demande du marché marocain, la Centrale automobile chérifienne a pu piocher sur le quota d’autres pays. Au final, ce ne sont pas 40 Audi Q7 initialement prévues qui seront vendues (prix unitaire moyen de 800.000 Dhs), mais bien 80, en moins de six mois. La Porsche Cayenne connaît le même succès, avec des prix variant selon les motorisations de 820.000 à 1.720.000 Dhs. Quand on aime, on ne compte pas.

Si la demande des consommateurs marocains est à la hauteur des espérances, ce succès n’est pas seul à expliquer l’intérêt des enseignes étrangères de luxe pour le Maroc. Pour Kamal Sefrioui, ces marques sont significativement encouragées par la baisse des droits de douane et l’exonération des taxes. Ainsi, pour l’ouverture de la Mamounia, prévue en juin prochain, la boutique Mystère et ses partenaires de luxe (Breitling, Boucheron, Harry Wiston pour ne citer qu’eux) seront au rendez-vous. Avec une ouverture au sein du palace et grâce à la détaxe, Mystère compte bien séduire une clientèle étrangère plus importante. Il faut dire que la boutique casablancaise séduit déjà des acheteurs des pays du Golfe.

Encouragées par les bons résultats de concurrents opérant dans le luxe, de nouvelles enseignes s’apprêtent à faire leurs premiers pas dans le marché marocain : la marque italienne Furla ouvrira très prochainement son premier point de vente à Rabat, tandis que Gucci s’apprête à rejoindre la ville blanche. Il est vrai que le marché présente dans son ensemble des signes de bonne santé encourageants, les professionnels de ce secteur allant même jusqu’à pronostiquer de manière optimiste un prolongement de ce récent essor. Dans cette optique, Loïc Roix compte bien développer l’offre des voitures de luxe. Sans pour autant préciser les marques concernées, il annonce pour un avenir proche la commercialisation d’autres voitures haut de gamme. Des concurrentes de plus pour les produits haut de gammes BMW, Mercedes et autres Jaguar déjà implantées au Maroc.

Intérêts parallèles

Pour accompagner la déferlante luxe, d’autres acteurs n’hésitent pas à surfer sur la vague. La toute jeune agence Shop com & the CITY, spécialisée dans le conseil aux points de vente a ainsi créé la vitrine de la boutique Nadoushka qui commercialise des marques haut de gamme comme Ungaro. Si Shop com & the CITY n’a pas six mois d’existence, sa fondatrice Myriem Kettani est consciente du développement du secteur du luxe et n’exclut évidemment pas de réitérer à l’avenir l’expérience avec d’autres enseignes.

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Le Journal Hebdomadaire

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