Les Marocaines préfèrent la pilule

8 janvier 2008 - 13h07 - Maroc - Ecrit par : L.A

La conception qui avait cours au Maroc d’une femme vouée au foyer, sans autre fonction que de procréer, est quasiment révolue. La fécondité est passée en effet de 7 enfants en 1962 à 2 à 3 enfants actuellement. A la base de cette réduction spectaculaire de ma natalité, il y a l’utilisation massive des moyens contraceptifs, aussi variés qu’efficaces, parmi lesquels la pilule occupe une place prépondarante.

Younes S., quadragénaire, né dans une famille nombreuse, raconte comment sa mère a décidé un jour de ne plus avoir d’enfants. « Depuis son mariage, dit-il, ma mère était souvent tombée enceinte et, à 35 ans, elle avait déjà mis au monde neuf enfants. Le dernier, c’était moi, en 1970. Lors de ce dernier accouchement, elle avait failli mourir, et le médecin avait été catégorique : si elle tombait encore enceinte, elle risquait « d’y rester ». Il lui a alors conseillé la contraception, de préférence une ligature des trompes, ce qui signifiait pour elle une stérilité définitive ». Cette jeune femme, malgré sa ribambelle d’enfants et le risque mortel qu’elle encourait, ne voulait pas entendre parler de stérilité irréversible. « L’idée de ne plus accoucher l’effrayait, le seul fait d’y penser lui donnait des insomnies, et c’est ainsi qu’elle a fini par choisir ‘‘el fanid’’ », ajoute son fils.

La ligature des trompes est peu utilisée pour son caractère irréversible
C’était au début des années 70, l’utilisation de la pilule comme moyen contraceptif n’était pas alors une pratique très courante, même si, au milieu des années 60, elle était déjà en vente au Maroc. L’Association marocaine de planification familiale (AMPF) venait de commencer ses activités en tant que première ONG au Maroc à faire de la promotion des moyens contraceptifs pour inciter les femmes à espacer les naissances son cheval de bataille. Son président actuel, Mohamed Graigaâ, se souvient de cette époque. « Les Marocains étaient encore rétifs à l’utilisation de moyens contraceptifs pour avoir moins d’enfants ou tout au moins espacer les naissances. Le courant dominant voulait que l’on ait une progéniture nombreuse, sous prétexte que chaque bébé “apporte avec lui son rezk”. Il fallait en outre convaincre les réfractaires que la religion n’interdit pas l’utilisation du contraceptif ». D’ailleurs, la première action de l’association, juste après sa création, en 1971, fut d’organiser une conférence internationale sous le thème « L’islam et la planification familiale », à laquelle avaient participé oulémas, scientifiques et médecins du Maroc et d’autres pays. Un rapport de deux volumes de 340 pages chacun a été produit sur la vision de l’islam quant à cette question. Qu’en avaient dit les oulémas, à l’époque ? « Que la religion musulmane, versets à l’appui, est très attentive à la planification familiale », répond M. Graigaâ.

Méthode contraceptive radicale et efficace pour les femmes qui ont eu le nombre d’enfants souhaité, la stérilisation définitive par ligature des trompes de Fallope est peu utilisée par les Marocaines. La raison ? Elle est psychologique et sociologique, répond Mohamed El Aouad, sociologue qui a travaillé sur l’acceptabilité des différentes méthodes contraceptives par les Marocaines, et qui a accompagné, depuis les années 1990, le travail du ministère de la santé relatif à la planification familiale. La stérilité, selon lui, « est un mot qui effraie la femme, puisqu’il renvoie à l’infertilité, et en y recourant, la femme avance l’âge de sa ménopause. Elle est donc considérée comme vieille parce que infertile ».

Quels sont les moyens de contraception utilisés au Maroc ? Et quel est justement leur degré d’acceptabilité par les Marocains ? Les études réalisées par la Société marocaine de fertilité et de contraception (SMFC) placent la pilule en tête des méthodes de contraception utilisées par les Marocaines. 67% des femmes mariées ayant recours à un moyen contraceptif, dont l’âge varie entre 15 et 49 ans, la préfèrent aux autres moyens contraceptifs. Cette préférence ne date pas d’aujourd’hui mais déjà des années 70. Cela prouve, argumente le Pr Naïma Samouh, chef du service de gynécologie obstétrique à la maternité Lalla Meryem du CHU Ibn Rochd, que « la femme marocaine aime bien avoir le contrôle de sa fertilité, sans avoir besoin de l’assistance d’un médecin, comme c’est le cas pour le stérilet qui nécessite l’intervention d’un spécialiste pour sa pose et pour son retrait ». Moyen efficace, pratique, discret, simple et bon marché (de 10 à 100 DH la plaquette), la pilule est en outre le moyen contraceptif pour lequel le ministère de la santé et l’AMPF se sont le plus mobilisés. L’éventail des marques est très large, et plusieurs générations de pilules ont vu le jour depuis la mise au point de ce moyen contraceptif en 1954. « Toutes ces marques se valent, commente le Dr Samouh, la difficulté principale à laquelle ont été confrontés les scientifiques du XXe siècle ayant été de conserver l’efficacité contraceptive de la pilule tout en diminuant, voire en faisant complètement disparaître ses effets secondaires, dont le principal est la prise de poids ». Il semble que la communauté scientifique a réussi ce défi : la dernière génération est la pilule « Jasmine » qui vient de sortir et qui est commercialisée au Maroc depuis peu. Ses effets secondaires sont quasiment nuls, informe le Dr Samouh.

Enfin, dernière invention, la « pilule du lendemain », contraceptif oral que la femme peut prendre en cas d’oubli. Non encore commercialisée au Maroc, elle est utile en cas de rapport sexuel sans protection. Prise dans les 72 heures au maximum après le rapport, elle empêche la femme de tomber enceinte. « C’est plutôt un moyen pour lutter contre l’échec d’utilisation de la contraception ordinaire qu’un moyen contraceptif », nuance M. Graigaâ.

La pilule est-elle également le contraceptif le plus utilisé dans le milieu rural ? Oui, affirme M. El Aouad, « sauf que les femmes rurales ne comprennent pas encore que la pilule doit se prendre chaque jour. Elles la prennent souvent soit avant soit après le rapport sexuel. L’échec de la contraception est donc assuré ».

La prévalence de la pilule n’est citée dans les études sur la contraception faites au Maroc que pour les femmes mariées. Qu’en est-il des autres, célibataires ou divorcées ? « Difficile d’avoir des statistiques pour le vérifier, mais la pilule est la méthode la plus utilisée aussi », répond un médecin du secteur privé. Cela est d’autant plus vrai que l’âge du mariage pour la femme s’est élevé tant dans le milieu rural qu’en milieu urbain : il est passé, avec une légère différence entre le premier et le second, de 17 ans dans les années 1960 à 28 ans dans les années 2000. L’on imagine mal ces centaines de milliers de femmes qui ne se marient pas, ou se marient tardivement, renoncer à toute vie sexuelle. Seul hic : nombre de ces femmes, par ignorance, par erreur ou oubli de la prise quotidienne, tombent enceintes. Ce sont ces « grossesses de la honte » dont parlent les sociologues Soumia Naâman Guessous et Chakib Guessous dans leur livre au titre éponyme sorti en 2005. Des milliers de ces femmes, face au rejet violent par la société des grossesses hors-mariage, recourent à des avortements clandestins, donc à risque.

Le stérilet boudé par les femmes et peu apprécié par le conjoint
Le deuxième moyen contraceptif moderne utilisé par les Marocaines est le dispositif intra-utérin (DIU) ou stérilet. Mais elles sont peu nombreuses à l’utiliser (moins de 5% des femmes utilisant un contraceptif). Là encore, il y a une double raison. Le stérilet, même s’il est aussi efficace que la pilule, n’est pas d’utilisation pratique : le recours à un médecin est nécessaire, et son coût est plus élevé (jusqu’à 1 200 DH, non remboursables par les assurances). Deuxième raison : les femmes ne tolèrent pas, selon M. El Aouad, « l’image de l’introduction d’un corps étranger dans une partie intime de leur corps, et leurs maris, selon elles, n’apprécient pas beaucoup cette idée ».

Ils n’apprécient pas le préservatif non plus d’ailleurs : pas plus de 5% des hommes mariés recensés par des études de l’AMFC l’utilisent. Moyen de contraception par excellence pour se prémunir contre les maladies vénériennes et le sida, il est peu apprécié par les couples mariés comme moyen de contraception. Dans les relations extraconjugales, il l’est davantage.

Les deux autres méthodes contraceptives appartiennent au registre traditionnel : le retrait et la continence périodique. Outre qu’elles sont peu pratiquées (moins de 10%), et plus dans le milieu rural que dans le milieu urbain, les deux méthodes se révèlent peu efficaces : les femmes, indique M. El Aouad, « essayent d’éviter les relations sexuelles pendant la période d’ovulation mais elles n’arrivent pas à la calculer elles-mêmes lors d’un dérèglement de la menstruation. Elles finissent donc par tomber enceintes ».

Selon le président de l’AMPF, en matière de contraception, le Maroc a accompli un pas de géant, si bien que la stratégie d’incitation à l’espacement des naissances, mise en œuvre par son association à ses débuts, n’est plus à l’ordre du jour. Ce qui prime aujourd’hui pour l’AMPF, c’est la préservation de la santé de la mère et de l’enfant. La mortalité maternelle reste en effet élevée : 227 décès pour 100 000 naissances vivantes, malgré toutes les infrastructures sanitaires et les efforts déployés. Avec ce chiffre, le Maroc reste plus près des pays sous-développés que des pays émergents. En Mauritanie, la mortalité est de 332 pour 100 000. C’est pourquoi, aujourd’hui, l’association parle plutôt de maternité sans risque que de contraception.

Autre problématique, dont peu de médecins parlent puisque l’acte est pratiqué dans l’illégalité : les avortements à risque. Le risque est en effet très important pour les jeunes femmes de 15 à 30 ans, mariées ou non, qui vivent une grossesse non désirée. « L’avortement n’est pas un moyen de contraception mais il est la manifestation de l’échec de la contraception, car c’est le dernier recours d’une femme qui n’a pas su ou voulu prévenir la grossesse par la contraception. ».

La vie éco - Jaouad Mdidech

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