Marocains et tombés pour la Belgique dans les années 40

9 novembre 2003 - 22h31 - Belgique - Ecrit par :

Marocains, ils sont venus se battre en Europe. A Gembloux, en 40, ils furent même les seuls à stopper un temps l’avancée nazie. Des comédiens « maroxellois » ravivent le souvenir sur scène.

Tout commence donc par une histoire. Ou plutôt l’Histoire. Non, mieux : la rencontre des deux. Ce jour-là, Ben Hamidou, comédien « maroxellois » comme il le dit lui-même, est au salon de thé. Tout le monde a le regard rivé sur l’écran de télé, branchée sur Al Jazeera. « Dans un coin, il y avait une table occupée par des vieux. En passant j’ai entendu l’un d’eux maugréer sur les Américains, comme quoi il n’y en avait que pour eux, les libérateurs, et tout ça. Mais nous, disait-il, on était là avant eux. A Gembloux en 40, c’était des Marocains qui étaient en première ligne.

Ben Hamidou n’a jamais entendu parler de cet épisode de la Seconde Guerre mondiale : l’unique victoire française de la campagne de 40. En mai, l’invasion allemande de la Belgique est fulgurante. Pour freiner l’avancée ennemie, des troupes de tirailleurs marocains sont envoyées en Belgique. Un point clé : Gembloux. La ville se trouve sur le chemin de fer reliant Namur et Wavre, dont le remblai sert de ligne défensive. Après près de trois jours de combat, l’objectif tactique est atteint, l’avance est stoppée, mais les pertes sont énormes.

Ben Hamidou apprend tout cela et commence alors à se renseigner, en parle à des camarades : Sam Touzani, Nacer Nafti, et Gennaro Pitisci du Broccoli Théâtre. « A partir de là, on a voulu imaginer un travail de fiction, sur base de documents historiques mais aussi de notre savoir-faire de raconteurs d’histoires », explique Gennaro Pitisci. « On a commencé à faire des recherches, continue Ben Hamidou. Mais il n’y avait pas une masse énorme de documentations. On a essayé de retrouver des survivants. Je me suis rendu par exemple dans le nord du riff, où j’ai pu discuter avec certains d’entre eux. »

Et ils racontent. A l’époque, le Maroc est un protectorat français. Les volontaires sont engagés pour 4 ans. Il s’agit souvent de Berbères, d’agriculteurs, de montagnards. « La plupart ont cette phrase pour expliquer leur engagement : « on courait après le pain ». Et puis il y a également l’appel du roi Mohammed V à s’engager aux côtés de la France, avec l’espoir caché de recevoir davantage d’indépendance en compensation. » Dans la lettre lue le 3 septembre 1939 dans toutes les mosquées du Royaume, Mohammed V lance ainsi : « A partir de ce jour et jusqu’à ce que l’étendard de la France et de ses alliés soit couronné de gloire, nous lui devons un concours sans réserve, ne lui marchander aucune de nos ressources et ne reculer devant aucun sacrifice ». Plus de 80.000 Marocains participeront au conflit.

A Gembloux, sont envoyés les 1er, 2e et 7e régiments de tirailleurs. Ils viennent de Kénitra, Marrakech et Meknès. Beaucoup n’y retourneront plus jamais. Concernant, par exemple, le 7e régiment, fort de 2.300 hommes, seule une cinquantaine d’entre eux reverront Meknès à la fin de la guerre. Après une journée de marche, certains seront confrontés directement aux Allemands, quatre heures à peine après leur arrivée, comme ce fut le cas des tirailleurs du 7e régiment. Les tirailleurs, planqués dans des trous individuels, feront face aux chars allemands, dans une lutte qui se terminera parfois par des combats au corps à corps. « On ne dit pas que les Marocains ont sauvé le monde, mais ils ont contribué au combat contre l’horreur du nazisme. Ce qu’on n’oublie parfois. Un vieux me disait encore que sur la ligne de front cela ne posait pas de problème qu’ils aient une barbe ou qu’ils lancent « Allah Akbar ». Alors qu’aujourd’ hui... » « Les enfants d’un autre, continue Gennaro Pitisci, habitent rue de Brabant. Lui est un ancien opérateur radio, il se promène toujours avec une valise dans laquelle se trouve ses médailles. Mais malgré cela, ils se sentent souvent oubliés. Ils ont la plupart du temps été privés de pension quand leur pays a obtenu l’indépendance, par exemple. »

Outil de valorisation

Alors que l’on discute intégration ou droit de vote des étrangers non-européens, le travail entamé sur la bataille de Gembloux prend évidemment encore un autre sens. Deux lectures ont par exemple été organisées au Parlement bruxellois le mois dernier. « Symboliquement, c’était très fort de faire ça dans un lieu pareil, raconte Ben Hamidou. A chaque fois on a dû refuser du monde. Surtout, on a eu un public très mélangé : aussi bien au niveau de l’âge que des origines... Il y avait notamment pas mal de jeunes des quartiers, belges d’origine immigrée. »

On devine aisément le rôle que peut jouer une telle pièce auprès d’une communauté souvent stigmatisée. Au-delà même du simple devoir de mémoire. « Pour les gens de la première génération, explique Gennaro Pitisci, c’est cela qui compte avant tout. Les jeunes le reçoivent différemment. Aujourd’hui, tout est de l’histoire ancienne. Alors faire remonter ce genre d’événement leur donne un outil de valorisation dont il manque très souvent. Ils sont très heureux de trouver ça. Tout le monde a besoin de ce genre de référents, mais les déracinés certainement plus que les autres. »

« En même temps, nous ne sommes pas là pour idéaliser le tirailleur, précise Ben Hamidou. Certains étaient de vrais mercenaires, sanguinaires. On le dit aussi. Le personnage de Mouloud est de ce type-là. » Car au bout du compte, il s’agit bien de la guerre, et de toute son horreur. La démarche ne s’arrête pas là. Elle se prolongera également dans les écoles. Celles du quartier d’abord, où est active l’asbl « Smoners » de Ben Hamidou, implantée en plein centre de Molenbeek. « Notre travail sur scène et celui dans la commune sont liées. Il y aura donc un dossier pédagogique, et des représentations dans les écoles auxquelles seront d’ailleurs invités les parents. » Culturel et citoyen à la fois.

Laurent Hoebrechts - La libre belgique

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Sujets associés : Belgique - Histoire - Anciens combattants - Guerre

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