Prénoms : la troisième génération

4 novembre 2002 - 21h41 - Maroc - Ecrit par :

C’est l’explosion des Rayan. Des Yanis. Et des Inès. En cette fin d’année, en effectuant le recensement périodique des prénoms, les auteurs du très médiatique guide la Cote des prénoms ...

(1), sur lequel se jettent les futurs parents, ont constaté un boom des prénoms mélangés. Ainsi Rayan - dont l’origine est arabe (qui signifie « beau », « à la fleur de l’âge ») - est cette année le prénom le plus donné en Seine-Saint-Denis, dopé par la vogue anglo-saxonne du Ryan. Ces changements d’état civil, les pères de la Cote des prénoms les interprètent un peu rapidement comme « une victoire de l’intégration ». Sur les dernières décennies, on assiste en effet à un repli des prénoms arabes classiques dans les familles d’origine immigrée.

Dans les années 1970, les Karim, Mehdi, Mohamed, Samir, Kamel, Mustapha ou encore Rachid dominaient. D’autres émergent aujourd’hui : Nassim, Zaccaria, Yliès, Yanis, Bilal ou Amin deviennent à la mode. Les répertoires changent. En Seine-Saint-Denis en 1970, sur les 80 prénoms arabes les plus utilisés, Mohamed était donné dans 12,5 % des cas. En 2001, son score est tombé à 8 %. Dans le même temps, Rayan (sous différentes orthographes), qui n’était pas donné du tout en 1970, est attribué dans 8,2 % des cas en 2001. Quant à Yanis, d’origine grecque, il passe de 0 % en 1970 à 6 % en 2001.

Etape typique. « En retenant un prénom métissé, bon nombre de parents manifestent leur désir d’intégration », explique Guy Desplanques, démographe à l’Insee et coauteur du best-seller. Autre signe relevé par le statisticien, l’apparition de nombreux prénoms composés, comme des Yanis-Alexandre ou des Rachid-Nicolas. « Un prénom maghrébin associé à un autre : cela laisse la liberté de choisir, et donc de privilégier ou non sa communauté. Les parents n’ont pas voulu favoriser l’un ou l’autre. Cela aussi constitue une nouveauté. » Pour lui, il s’agit là d’une étape typique : « C’est toute la problématique de l’immigration : à un moment donné, il faut quitter sa culture. Et l’acculturation joue. »

« Nom qui fait du mal. » Pourtant, l’émergence de prénoms aux origines hybrides peut être interprétée autrement que comme « une victoire de l’intégration ». Pour Slah, père tunisien d’Amélia et Maëlle, il s’agit plutôt d’« une recherche de l’indifférence ». Pour ses deux filles, il a voulu éviter des prénoms « qui ne passent pas inaperçus dans un collège ». « On fait attention à l’apartheid social », dit-il. Devenu parent à une époque où le chômage était encore fort, il a écarté « un nom qui fait du mal ». « C’était délibéré de notre part de ne pas donner de prénoms à coucher dehors. Notre choix s’est porté sur ceux qui n’entraînent pas le moindre accrochage, surtout sur un CV. » Ces préventions restent le signe que des pratiques discriminatoires (dans l’accès au logement ou à l’emploi) persistent. Que « l’intégration » n’est pas toujours si victorieuse.

« De moins en moins, on assiste à des demandes de francisation des prénoms au moment de la naturalisation, analyse Nacira Guénif Souilamas, chercheuse au CNRS (2). Les descendants de migrants ne pensent plus que l’assimilation passe par l’acculturation. Et qu’il faille effacer toute référence à l’origine, au parcours migratoire. » La première génération a donné naissance sur le sol français ; les parents voulaient alors rattacher leurs enfants à un monde perdu, pétri de nostalgie. Ils leur ont donné des prénoms traditionnels. Leurs descendants, français pour la plupart, font preuve de plus d’imagination. « Ils renouent avec des références arabes, persanes, qui ne sont pas forcément liées à leur nationalité d’origine ou à l’histoire des parents. C’est une réinvention, une réinterprétation », estime la sociologue.

Yasmina a ainsi choisi Nawelle, un mélange de breton et d’arabe. Christophe a donné un prénom français et un deuxième, arabe, à sa fille : « On ne voulait pas imposer un marquage trop fort, mais en même temps on souhaitait lui signifier qu’elle vient de quelque part. » Mimi, elle, a plongé dans son enfance algérienne : « Quand j’étais là-bas, il y avait un vieux monsieur, immense, plein d’aura... un homme magnifique. Un médecin. Je me suis toujours dit que quand j’aurai un garçon, je l’appellerai Rayan, comme lui. »

Origines multiples. Il s’agit de prénoms plus faciles, aux consonances fondues, acceptables ici... Et là-bas. « On voulait un prénom qui ne soit pas Mohamed, pas trop marqué arabe mais pas trop français non plus comme Paul », raconte encore une jeune mère. « On a trouvé Ilian. C’est seulement après que l’on a recherché les origines. Elles sont multiples : russe, arabe, germanique, latine. C’est un prénom original, et puis les parents de mon compagnon, marocains, peuvent le prononcer. » Bref, présentable aux familles restées au pays et plus lisse pour la société française. « Amélia : ça fait arabe, ça fait italien, ça fait chic », dit ainsi son père. A elle de choisir. « Ces prénoms hybrides sont la marque d’une appartenance multiple, ajoute Nacira Guénif Souilamas. Comme une boîte à outils identitaire », où l’enfant pourra piocher.

(1) Philippe Besnard et Guy Desplanques : la Cote des prénoms en 2003, guides Balland.

(2) Nacira Guénif Souilamas : Des beurettes aux descendantes d’immigrants nord-africains (Grasset).

Libération du 04/11/02

Bladi.net Google News Suivez bladi.net sur Google News

Bladi.net sur WhatsApp Suivez bladi.net sur WhatsApp

Sujets associés : Administration - Famille - Enfant

Ces articles devraient vous intéresser :

Maroc : des visites mystères dans les hôtels

Au Maroc, les professionnels de l’hôtellerie ont bien accueilli la décision d’organiser des visites mystères dans tous les établissements touristiques, conformément aux dispositions de la nouvelle loi 80-14 visant à renforcer la qualité et la gestion...

Ce que gagnent les fonctionnaires marocains

Au Maroc, le salaire net moyen des fonctionnaires a connu une forte hausse en dix ans, passant de 7 300 dirhams en 2014 à 9 500 dirhams en 2024, révèle le rapport sur les ressources humaines annexé au projet de loi de finances 2025.

Maroc : les taxis refusant des clients seront sanctionnés

Les chauffeurs de taxi qui refusent de transporter les usagers sont désormais dans le viseur du ministère de la Justice. Ce dernier prévoit de qualifier ce refus comme un délit ou une infraction. Une nouvelle qui réjouit les clients, mais met en...

Au Maroc, les élèves fêtent la fin d’année scolaire en déchirant leurs cahiers

Au Maroc, des scènes des élèves déchirant leurs cahiers et livres pour annoncer la fin de l’année scolaire, se sont reproduites.

Trop d’impôts au Maroc ?

Au Maroc, alors que la pression fiscale est excessive, les citoyens et les entreprises ne perçoivent pas toujours les effets concrets des prélèvements d’impôts dans l’amélioration des services publics et des infrastructures.

Maroc : les parlementaires traqués

Au Maroc, le bureau de la Chambre des représentants renforce la traque contre les députés absentéistes en faisant installer des caméras de nouvelle génération dans l’enceinte de l’institution.

Marocains, le temps presse pour la déclaration des avoirs à l’étranger

La régularisation des contribuables, ainsi que la déclaration des avoirs liquides détenus à l’étranger, touchent à sa fin. Ces deux opérations avaient été lancées par l’Office des changes et de la Direction générale des Impôts (DGI).

Les chrétiens marocains demandent des changements majeurs

L’Union des chrétiens marocains plaide pour la reconnaissance juridique de la composante chrétienne dans le tissu religieux marocain, et la garantie de sa présence dans les débats publics relatifs à la liberté de religion et de croyance dans le...