Prisons surpeuplées et conditions difficiles

7 janvier 2003 - 10h27 - Maroc - Ecrit par :

« Il y a trop de monde en prison. C’est vrai qu’il y a surpeuplement comme il est tout aussi vrai que les juges marocains peuvent être d’une grande sévérité face à des délits mineurs ».

Dans la bouche de cet officiel qui a découvert avec stupeur et émoi l’univers de l’incarcération, cette déclaration résume à elle seule la condition de prisonniers en terre marocaine. Derrière l’expression cache-misère, « la situation dans les prisons du Maroc », se nichent trop souvent l’insoutenable et l’indicible.

Il y a quelques jours, le nouveau locataire du ministère de la justice, l’Usfpéiste Mohamed Bouzoubaâ livrait à l’opinion publique le nombre de détenus que comptent les 46 établissements pénitentiaires du pays. Ils sont 53 000 hommes et femmes à être derrière les barreaux pour une capacité d’accueil carcérale qui ne dépasse pas les 32 000 places, affirmait très officiellement le ministre -avocat dans le civil- comme pour mieux signifier qu’il y a péril en la demeure. Trop de monde en prison... Pour un gramme de cannabis, une bagarre qui a mal tourné, un larcin. C’est désormais un exercice- tradition. Tous les ans, l’Observatoire marocain des prisons publie un rapport sur la situation des prisons marocaines. Il recensait en cette année qui vient de s’écouler une augmentation de 5000 détenus depuis son dernier rapport. « C’est tout un travail à mener. Il est immense, il est surtout multiforme. Il est impératif d’agir sur les mentalités. Au Maroc, on n’imagine pas de sanction sans emprisonnement. On n’imagine pas de justice sans enfermement même si on n’hésite pas à décrier cette même justice », explique un sociologue.

La menace est récurrente. Elle est aussi significative d’un état d’esprit n’en finissant pas aujourd’hui de peser sur toute une société qui a mal à ses prisons. “ Je vais t’envoyer en prison ”, menace le voisin au locataire du troisième qui fait trop de bruit , hurle le client au garagiste, tonne le petit agriculteur à l’adresse de son journalier.

L’après-El Jadida et la mobilisation

“ Le Maroc n’a pas la capacité de gérer 53 000 détenus. Nous n’avons ni les moyens financiers ni les moyens humains pour ce faire. Je vais vous donner un seul exemple : alors que la France compte 25 000 gardiens pour une population carcérale d’environ 52 000 personnes, le Maroc a lui 4000 gardiens pour presque autant de détenus ”, déclare cet officiel.
Depuis El Jadida, ses morts et ses prisonniers brûlés, la prise de conscience est devenue, après l’indignation, un exercice salutaire. A l’unisson, gouvernement et associations de défense des droits humains ont crié “ plus jamais ça ”. C’est-à-dire, et pour mémoire, plus jamais 50 prisonniers partageant la même cellule, et le même espace exigu, qui perdront la vie, après avoir perdu la liberté, victime de flammes, d’un court-circuit assassin et surtout de portes qui restaient désespérément fermées pour d’obscures raisons de sécurité.
Le tocsin de la mobilisation avait sonné une fois les morts enterrés, même si les plaies de familles restaient béantes. Que faire face à ce surpeuplement ? L’interrogation est désormais lancinante. Elle est partout. Dans les conférences de presse, les conférences, les interviews. Faut-il construire plus de prisons ? se demandent certains, l’œil rivé sur l’exemple français et son secrétariat d’Etat à la construction des prisons. Faut-il aussi plus simplement, plus normalement, plus sainement mettre moins les gens en prison ? Ailleurs on a appelé cela les peines alternatives et les travaux d’intérêt général. Pour le secrétaire général de l’Observatoire marocain des prisons, Abderrahim Jamaï, “ la peine alternative est la philosophie moderne de la sanction ”. “ Cette vision est actuellement en vigueur dans de nombreux pays européens et africains. Le travail d’intérêt général est appliqué ailleurs. Au Maroc, nous avons la liberté conditionnelle mais elle n’est pas appliquée. La procédure de la grâce doit être transparente. Il faut donner leurs chances aux catégories les plus vulnérables, c’est-à-dire les femmes et les enfants emprisonnés. Je pense également aux personnes âgées ou gravement malades. Il est également important que nos décideurs statuent sur les peines alternatives, des travaux d’intérêt général au contrôle électronique. Bref, la prison doit être utilisée pour ce qu’elle est, un lieu où les citoyens effectuent une peine privative de liberté et rien d’autre. Elle n’est pas un lieu de vengeance ou un espace où les détenus s’organisent en bandes criminelles ”.
Et parce qu’il y a désormais un “ avant ” et un “ après ” El Jadida, trois associations -l’Observatoire marocain des prisons, l’Organisation marocaine des droits humains et l’association marocaine des droits de l’homme- travaillent en collectif sur une plate-forme de propositions urgentes sur les conditions d’incarcération et le système judiciaire.

Les peines alternatives au cœur du débat

Ahmed Ghayet, président de Maillages, ce réseau d’associations en France qui a fait des émules dans les quartiers populaires de plusieurs villes à travers le Maroc, en est encore tout retourné. Le 14 décembre dernier, quatre jours après la célébration de la journée mondiale des droits de l’Homme et en plein Ramadan, il organisait une rencontre entre jeunes associatifs du Maillage et les détenus mineurs du centre de réforme de Oukacha, à Casablanca. “ Dans ce centre -on m’a bien spécifié qu’il ne fallait pas dire prison- il y avait 600 détenus mineurs. Ils sont parfois jusqu’à 60 dans une même cellule. J’étais très frappé par leur jeune âge. Ma première réaction était de l’incompréhension. Pourquoi autant de jeunes privés de liberté ? Méritaient-ils tous vraiment d’être derrière les barreaux ? Pourquoi ne condamne-t-on pas ceux qui sont auteurs de délits mineurs à des travaux d’intérêt général ? ”. Ahmed Ghayet en est convaincu : en prison, la jeunesse est enfermée dans la délinquance.
Face à une réinsertion jamais préparée, le prisonnier qui coûtait en 2001 un peu moins de 3,5 dirhams à l’Etat est-il finalement condamné à la récidive car il ne peut en être autrement ? L’interrogation n’en finit pas de planer. La prison est-elle un espace de sanction ou une école de la délinquance ? “ Les établissements pénitentiaires produisent de la délinquance, et de manière très sophistiquée, d’autres formes de crimes. Des habitués des lieux essaient par tous les moyens de faire naître des vocations à leur image ”, témoigne un rescapé de la détention.
La colère de Abderrahim Jamaï est alors compréhensible. Cet avocat passionné de justice n’en finit pas d’explorer les voies et moyens pour que soient préservés les droits humains de ces hommes et femmes derrière les barreaux. “ Le prisonnier est d’abord un citoyen qui a droit à sa dignité. Qu’est-ce qu’un détenu ? C’est un citoyen privé de sa liberté, incarcéré dans un endroit appelé prison pour une durée déterminée. La vision moderne veut que pendant l’exécution de la peine tout est mis en œuvre pour la réinsertion de citoyen. On ne peut pas penser à une politique de réinsertion dans un climat où les abus sont partout et de toutes sortes, émanant parfois de quelques prisonniers privilégiés. Le détenu est d’abord un citoyen qui revendique son droit à la dignité ”.
Certes, la loi relative à l’organisation et au fonctionnement des établissements pénitentiaires reflète tous les principes internationaux concernant les règles minima des conditions de détention telles que fixées par les Nations unies. Et si les textes rédigés depuis les années 1920 ont été abrogés, en prison, les comportements sont loin de changer. “ Le changement ne se fait pas uniquement au niveau des textes. La loi n’étant qu’un outil de travail, il reste à changer les esprits, à prendre une décision politique claire pour mettre fin à tout ce qui se passe à l’intérieur des prisons. Si les textes ont changé, les comportements non ”, affirme un défenseur des droits humains. “ Nous plaidons pour une réforme qui touche le fondement de la politique pénale et judiciaire où l’exécution de la peine, la liberté conditionnelle, le juge de l’application des peines ne serait pas de vains mots mais une réalité ”, renchérit M. Jamaï .
Dans l’univers carcéral, là où les détenus ne vivent plus mais tentent seulement de survivre, il y a parfois comme un rayon de soleil. Visiteuse de prison, Fatna El Bouih en est justement un. Pouvait-il en être autrement lorsque l’on sait que cette jeune femme qui n’a jamais pu supporter l’injustice et la dignité humaine constamment bafouée est elle-même une ancienne détenue politique. Bénévole par passion et combative “ par nature ”, elle est visiteuse de prison, poursuivie jusque dans l’univers carcéral par son sacerdoce en faveur des droits des Marocaines. En prison, les droits des femmes sont encore plus bafoués et sa dignité plus malmenée. Ces femmes prisonnières dont les rapports et enquêtes officiels ne parlent jamais ou si peu représentent environ 4% de la population carcérale, sachant qu’elles étaient 16 448 à être détenues en 2001. Forcément, elles sont les oubliées des pouvoirs publics. Deux établissements pénitentiaires seulement (Salé et Oukacha) sont dotés de crèches destinées aux enfants des détenues. Celle-là même qui avoue avoir mis des années à panser ses plaies pour s’adapter à la vie “ du dehors ” est profondément convaincue que le plus dur n’est pas l’emprisonnement mais la réinsertion...

le matin 07/01/2003

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