Quelle place pour l’Islam dans la nouvelle Europe ?

6 avril 2005 - 09h02 - Maroc - Ecrit par :

Quand l’Eglise catholique met en avant le patrimoine chrétien de l’Europe et qu’elle revendique avoir construit l’Europe dans son identité culturelle originelle, Elle suscite, malgré tout l’apport incontestable qu’elle possède, le réveil de mémoires religieuses concurrentes ou souffrantes, de la part des Orthodoxes, des Protestants ou des Juifs.

Elle fait également réagir la communauté intellectuelle qui, à l’instar du philosophe Husserl, conçoit l’Europe comme l’espace réalisé de l’esprit critique non religieux. Revendiquer des racines musulmanes pour l’Europe susciterait un tollé beaucoup plus grave.

En appeler à l’histoire pour justifier d’une position à maintenir ou à acquérir, engendre des querelles stériles, des débats glissants où les mémoires antagonistes se mobilisent, alors que le système même de l’intégration européenne permet de les éviter.

Car l’Europe dans son système juridique actuel et futur, dans le cadre de sa Constitution, dépasse la question de l’ancienneté, de la majorité et de la minorité. Elle propose à tous participation et contribution. Et l’Islam a, avec l’Europe, la chance de pouvoir s’organiser sur un modèle qui n’existe pas ailleurs, celui du regroupement de ses diversités planétaires, de son Orient à son Occident, de son Sud africain à son Nord turcophone.

Jamais l’opportunité d’une telle rencontre transversale et transnationale, dans un cadre complètement pacifique, n’a eu lieu dans l’histoire musulmane. Et cette rencontre, si elle est clairement vécue comme telle, si elle s’organise dans des instances fédératives et représentatives à l’échelle du continent, permettra à la fois à la diversité de l’Islam de se continuer, et à la fois à cette diversité de s’européaniser c’est-à-dire de se dépasser dans le sentiment d’une véritable communion.

L’urgence de l’Islam aujourd’hui est de se retrouver et de s’accepter comme pluriel, pour faire front à la chape complexe des téléguidages étrangers, où les pays d’origine entendent utiliser le sentiment d’appartenance à leur profit, à la chape d’une lecture fixiste qui veut unifier artificiellement cette religion dans une centralité imaginaire, au profit d’un pays aux complaisances contradictoires, et pire encore à la chape mortelle de terroristes mondialisés, qui tétanisent les médias et rendent coupables tous les musulmans.

L’Islam européen peut gérer sa diversité européenne en interne, selon un processus d’organisation démocratique libératoire.
Ce que l’Islam européen va gagner dans le processus d’intégration en cours, c’est sa propre possibilité à exister comme religion autonome dans un vaste ensemble démocratique.

Avec l’Europe, l’Islam ne peut plus être utilisé comme opium du peuple ni comme solution facile à la misère et à l’incompétence, sur le dos de coupables désignés.

Dans le processus dialogique européen, consensuel et toujours porté à l’amélioration, la chance de l’Islam est double : tout d’abord sa tradition d’effort interprétatif se trouvera valorisée et stimulée, et enfin son insertion dans la mondialisation se transformera en participation positive, où chaque partie est amenée à contribuer à la pérennité d’un système pacifique.

L’apport des religions et de l’Islam à l’Europe :

Dans cette Europe qui se consolide et s’élargit, les religions accompagnent le mouvement.

Elles sont appelées à une attitude à la fois prospective et critique dont la légitimité est leur plénitude de sens. Rendues incapables d’imposer au droit commun leur propre normativité et leur vision morale, elles n’en ont pas moins le grand pouvoir d’interférer, de proposer et de donner du sens. Elles restent source de sens, dans un espace qui se veut raisonnable.

L’Islam dans cette posture, a une grande responsabilité. Toute sa diversité n’altère en rien la profondeur de ses valeurs universelles, le respect de la vie humaine, le respect de la famille comme lieu de transmission, de protection et d’amour, le respect de l’ordre public et le devoir justice. Avec les confessions chrétiennes, l’Islam partage le sens du bien commun à atteindre, le sens de la solidarité et de la redistribution, le souci de soulager les souffrances et la misère.

Sur les valeurs de miséricorde, d’altruisme, d’hospitalité et de fraternité, la tradition musulmane a une longue expérience qui ne peut que s’épanouir dans cet équilibre politique, tendu à préserver une vie collective harmonieuse, où les intérêts particuliers et les revendications catégorielles sont dépassés.
A la condition que l’Islam accepte, comme d’autres religions, de vivre dans un système juridique qu’Il n’inspire pas directement, et dans lequel nombre de lois et de philosophies sont contraires à sa loi transcendante, il Lui reste le meilleur de l’esprit religieux, c’est-à-dire l’interpellation critique et la participation sincère.

S’il l’accepte, s’il accepte que ses adeptes deviennent ou restent musulmans, non par crainte ni contrainte, mais par conviction profonde - ce qui l’oblige à admettre la distance ou le détachement de certains d’entre eux- alors l’Islam sera une force vive de la cohésion européenne.

Ainsi vécu, Il sera aussi un exemple et une force d’attraction pour les pays limitrophes ou plus lointains dont les populations sont musulmanes. Il pourra tordre le cou aux prophètes de malheur qui veulent que l’incompréhension triomphe et que chacun ne défende que son intérêt. L’Europe, reconstruite sur les ruines d’une guerre abominable il y a 50 ans, agrandie sur les ruines du communisme, est la preuve que la politique internationale n’est pas la gestion au coup par coup du chaos que l’on provoque, mais qu’elle est une volonté politique.

De même, l’Islam de demain en Europe, sera la preuve que le choc des civilisations n’est qu’une prison idéologique, démentie dans la réalité par une société européenne pacifique qui travaille chaque jour à sa sauvegarde.

Mohamed Bechari - est président de la Fédération nationale des musulmans de France

Source : Le Matin

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