Grâce à l’intervention du ministère de la Culture, de la Jeunesse et de la Communication, l’actrice marocaine Aïcha Mahmah a été admise à l’hôpital mardi pour recevoir un traitement et subir une opération.
Au Maroc, il est une star. Un Tom Cruise qui ne se cacherait pas de ses fans. Cet acteur dont le parcours est lié à l’essor du cinéma de son pays, incarne à la ville comme à l’écran le Maroc qui joue et gagne « à domicile ». Il est l’invité de la cinémathèque régionale, en février.
Il est arrivé que, dans la presse, on parle de vous comme le « Tom Cruise marocain ». Qu’est-ce que vous inspire cette comparaison ?
Ça me fait très plaisir... Mais je crois plutôt que je suis le Rachid El Ouali marocain. Le star-system au Maroc est totalement différent de celui qui peut exister à Hollywood, ou même en France, où une vedette est d’autant plus aimée qu’elle incarne le rêve, l’étoile inaccessible. Au Maroc, c’est tout le contraire : plus on est proche du public, plus on est aimé. Le public considère que tu fais partie de sa famille, il a besoin de connaître des petits détails de ta vie.
Et c’est le cas puisque, chose qu’on ne verrait jamais en France, tout le monde au Maroc connaît votre adresse, peut vous aborder pendant que vous faites vos courses, sans lunettes noires...
Oui, je ne me cache pas. Et je n’ai jamais eu à regretter de partager des choses avec mon public, parce que, tout en étant curieux, il respecte mon intimité. Il faut dire qu’au Maroc, le public est peut-être moins facile qu’ailleurs : on ne rit pas de n’importe quoi, on a une certaine réserve à faire connaître son avis, ses critiques. Lorsque des gens font un pas vers toi, pour te dire qu’ils aiment ce que tu fais ou qu’ils n’aiment pas ton dernier rôle, il faut aller vers eux. Et puis, pendant longtemps, on n’a pas eu de stars, alors que je crois qu’on en avait besoin. De même que nous avons été longtemps, pour le cinéma, une société de consommation qui achetait des films américains, français, égyptiens ou indiens. Aujourd’hui, le cinéma marocain produit entre dix et douze films par an, et les chaînes de télé produisent plusieurs dizaines de téléfilms. Chaque acteur a un message à transmettre. Moi, je voulais parler des Marocains aux Marocains, leur permettre de se voir à l’image, car je crois qu’ils l’attendaient. Et je pense que c’est ce qui a fait ma réussite au Maroc.
Au point que vous n’aspirez pas vraiment à une carrière internationale ?
Je n’ai jamais rêvé de ça. Il m’est arrivé de jouer dans des films étrangers, avec plaisir, mais mon rêve de comédien a toujours été lié au Maroc.
À propos de rôles, vous incarnez souvent des personnages positifs et votre public s’émeut si d’aventure vous jouez un « méchant »...
J’interprète des personnages pour combattre le mal. J’ai le plus souvent des rôles sympathiques, mais j’ai joué le rôle d’un homme brutal qui battait sa femme. On a apprécié mon jeu, pas mon personnage. Mais j’avais voulu le jouer justement pour dire que ces choses-là existent et qu’il faut briser certains tabous.
Vous êtes également réalisateur. Comment en êtes-vous venu à passer de l’autre côté de la caméra ?
En tant qu’acteur, je suis parfois frustré. Je ne peux attendre tout le temps qu’un film arrive pour dire ce que j’ai envie de dire. Depuis cinq ou six ans, déjà, je voulais devenir réalisateur. Mais j’ai préféré attendre d’être connu en tant qu’acteur.
Et vous avez débuté avec « Nini Ya Moumou », un court-métrage sur un sujet très sensible : celui du travail des enfants et plus précisément de ces fillettes qu’on appelle, au Maroc « les petites bonnes »...
C’est l’adaptation d’une oeuvre de Tchékhov, « L’Oreiller », que j’avais découverte pendant mes débuts au théâtre. J’avais très envie de parler de ce sujet. Rendez-vous compte... Tchékhov est mort en 1904, j’ai réalisé ce film en 2004 ! Cent après sa mort, au Maroc, nous vivions encore ce problème qu’il dénonçait en Russie, celui des petites bonnes. Bien sûr, depuis quelques années, on se soucie davantage de la condition de ces enfants, on dit qu’il faut bien les traiter. Mais ce que je voulais dire, c’était que même bien traitée, une petite fille n’a pas à faire la bonne chez des adultes. Ce n’est pas sa place. Sa place est à l’école et avec ses parents. Le film a été très bien accueilli, au Maroc et à l’étranger, dans des festivals, car le problème du travail des enfants est universel, il n’existe pas qu’au Maroc. C’est un court-métrage qui voyage beaucoup, et lorsque je le présente, j’essaie toujours de donner la parole à des enfants, des jeunes. Il faut travailler avec la jeunesse pour que la nouvelle génération ne tombe pas dans les mêmes pièges que la précédente.
Donner la parole aux enfants, dialoguer avec eux est une de vos préoccupations...
Oui. Et j’aimerais beaucoup réaliser un film sur les rapports père-fils. On a beaucoup parlé des rapports hommes-femmes, mais je pense qu’il serait intéressant de traiter les relations entre un père et ses fils. J’ai deux enfants et que je crois que la méthode d’éducation a changé, même si on est encore confronté à des contradictions incroyables.
Par exemple ?
Avant, on n’arrivait pas à parler à nos enfants de certains sujets, on leur apprenait seulement à obéir. Aujourd’hui, certains tabous tombent et c’est nécessaire parce qu’aucune société ne peut avancer si elle n’arrive pas à se débarrasser de ses tabous. C’est parfois difficile, à l’égard de l’Islam et des imams qui, par exemple, n’arrivent pas à parler de choses comme le SIDA ou du préservatif. Pourtant, on doit en parler aux jeunes.
Le magazine français "L’Express" vous citait parmi ceux qui « font bouger le Maroc ». Vous êtes un exemple du « Maroc qui réussit » et qui réussit au Maroc. Pour autant, bon nombre de Marocains émigrent vers l’Europe pour tenter d’y réussir...
Quand je voyage, je rencontre beaucoup de Marocains, je parle avec eux. Je vois bien que leur vie d’immigré n’est pas aussi belle qu’ils le racontent lorsqu’ils viennent pendant les vacances, avec la voiture, des belles fringues. Bien sûr, on a sa fierté, on ne veut pas faire de peine ou inquiéter les parents, les amis... Mais il ne faut pas donner d’illusions aux autres, les faire rêver de partir, parce qu’il n’y a rien à faire ailleurs. Peut-être qu’on va pouvoir s’acheter une plus belle voiture que celle qu’on aurait au Maroc, mais on va perdre sa vie pour des rêves qui ne se réaliseront jamais. Je dis que si on accepte de faire chez soi le même travail que celui qu’on fait à l’étranger, on ne peut que réussir. Et au moins on vit dignement.
Vous-même, avez-vous émigré à une époque de votre vie, ou été, même brièvement, tenté de le faire ?
Je n’ai jamais voulu quitter le Maroc.
• Un de vos films, « Ici et là-bas » de Mohamed Ismaïl, traite de cette question de l’émigration et du décalage qu’il peut engendrer...
Oui, c’est l’histoire d’un Marocain qui est installé en Belgique avec sa famille et décide de rentrer au Maroc. Le film parle de la difficulté d’être un émigré, aussi bien dans son pays d’accueil que dans son pays d’origine. Lorsque je suis venu en Corse, j’ai réalisé un petit documentaire avec de jeunes Marocains que j’y ai rencontré. Des jeunes qui se posent des questions, entre ici et là-bas : en Corse, on ne les voit pas comme des Corses, au Maroc, on les voit comme des émigrés marocains plus que comme des Marocains...
Quelles impressions gardez-vous de votre première venue en Corse ?
Cela m’a donné l’envie d’y revenir. Je ne me faisais pas une image de la Corse avant de m’y rendre. J’ai d’abord découvert des points communs, la similitude parfois des paysages, avec le Maroc. J’ai trouvé aussi que les Corses et les Marocains avaient un caractère assez proche, mais qu’il n’y avait pas beaucoup de communication entre eux. Je suis, bien sûr, mal placé pour dire qui en est responsable, mais je crois que d’un côté comme de l’autre, on ne fait pas le pas vers l’autre.
Est-ce pour cela que, lors de votre passage à Porto Vecchio, en 2003, vous aviez dit aux Marocains venus spécialement vous voir qu’ils devaient revenir à la cinémathèque pour regarder d’autres films ?
Oui. Des dizaines d’émigrés marocains sont venus à la cinémathèque pour moi, et m’ont dit que c’était la première fois qu’ils y mettaient les pieds. Et c’est vrai que j’ai répondu : « Reviens ! Tu te sens marginalisé, tu as besoin de sentir que tu existes ici, mais alors va vers les autres ! »
Croyez-vous que ce conseil a été suivi ?
Oui. Je crois que certains l’ont fait. Ils ne sont sans doute pas nombreux, mais peu importe, c’est toujours un début. Le premier pas, c’est ce qu’il y a de plus important.
Après votre venue, la Corse s’est retrouvée à la Une de l’actualité, présentée dans la presse française comme la région la plus raciste de France. On s’en est beaucoup ému au Maroc. Qu’avez-vous pensé, pour votre part ?
J’avais, c’est vrai, ressenti qu’il y avait un malaise, un manque de communication et qu’il fallait que vienne le temps d’en parler, que quelque chose devait éclater un jour ou l’autre. Je n’ai donc pas été complètement surpris, même si je pense qu’on a exagéré. Ce n’est pas un phénomène qui est spécial à la Corse. C’est le même problème ailleurs. Vous savez, au Maroc, on ne voit pas les étrangers comme des envahisseurs, mais c’est peut-être parce que nous ne nous sentons pas en danger. Le chômage, les problèmes sociaux et économiques, l’insécurité, tout ça rend plus méfiant, fait que tout le monde a peur de l’autre. Et en tout cas, même si j’ai pu être ému lorsqu’on a commencé à parler du racisme en Corse, je n’ai pas dit « Je ne remettrai jamais les pieds là-bas ! » Les racistes sont une minorité, il ne faut donc pas les laisser gagner en leur laissant le terrain. Il faut, au contraire, rester au contact. J’attendais donc une occasion de revenir.
Vous êtes assez proche de Sa Majesté Mohamed VI. Avez-vous parlé de la situation en Corse ?
Sincèrement non, nous n’en avons jamais parlé.
La cinémathèque de Porto Vecchio est le point de convergence de nombreux jeunes cinéastes corses que vous allez sans doute avoir l’occasion de rencontrer. Pensez-vous que des collaborations seraient possibles ?
Ah oui ! Je ne demande pas mieux. On est jeune, on a des choses à dire, on a des cultures qui sur bien des points sont proches... Je crois qu’il serait possible de coproduire des films. Comme je pense qu’il serait tout à fait possible d’inviter des réalisateurs corses au Maroc pour présenter leurs oeuvres. Ce serait une bonne chose.
De même, il y a déjà, en Corse, une ouverture sur le cinéma méditerranéen, au travers de plusieurs festivals : film espagnol, italien, etc. Si d’aventure s’y dessinait le projet d’un festival du film marocain, seriez-vous prêt à l’appuyer ?
Je serais partant, sans hésitation ! Le cinéma est parmi les choses qui permettent de réunir les gens, de faire passer des messages plus facilement que la politique. Le public corse serait étonné, je crois, de notre production cinématographique. Cela dit, il n’y a pas qu’en Corse qu’on ne connaît pas bien le Maroc. Il y a aussi des Marocains pour qui le Maroc d’aujourd’hui reste à découvrir.
Qu’attendez-vous de ce nouveau séjour en Corse ?
De belles rencontres. Pouvoir discuter avec beaucoup de gens.
Vous arrivez, de votre côté, avec deux cadeaux...
Oui, je termine le montage de mes deux derniers courts-métrages, « La Veuve » et « L’aube ». Ils n’ont encore jamais été projetés, j’espère pouvoir les présenter pour la première fois en Corse. Ce sera mon cadeau à tout le public corse. Ce sont des courts-métrages sans paroles, donc sans barrière de la langue, accessibles à tous.
Elisabeth Milleliri - Club-corsica.com
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