Dans la célèbre ruelle de Souika, à la Médina de Rabat, un monde fou s’est agglutiné devant de ce vendeur d’épices qui vient de transformer son commerce, pour l’occasion, en une véritable taverne d’Ali Baba, où l’on peut trouver tous les ingrédients nécessaires à la préparation de la fameuse soupe “H’rira”. “Une potion magique” qui donne du tonus après la rupture du jeun . Parmi ces nombreux clients, une bonne dame, accompagnée de sa petite fille, ne s’arrête pas de poser des questions sur les produits proposés. Irrité, le commerçant lui dit d’attendre. “Mais monsieur, je veux juste connaître les prix”, rétorque la dame. Sa réponse n’est même pas entendue puisqu’une autre voix s’élève, dans la foule, pour dire “donnez-moi ma monnaie, je suis pressé.” De fil en aiguille, la discussion prend de l’ampleur. Les esprits se chauffent et sans l’intervention d’un agent de police, le pire se serait produit. En effet, aucun des protagonistes ne veut céder. Une fois les discussions terminées, la bonne dame s’est empressée de dire “le carême n’a même pas commencé-puisqu’on est au début- et il ne peut même plus supporter les clients. Qu’en sera-t-il durant le reste du mois sacré ?.” Ce genre de scène est presque fréquent dans notre vie quotidienne. Car chaque Ramadan arrive avec son lot de spéculations, son cortège de discussions oiseuses et même parfois des bagarres. Mais vu que le ton de la discussion était bizarre, puisque le mois sacré n’est encore qu’à son commencement, je ne me suis pas empêché de demander à la femme, quand elle a quitté les lieux, les raisons de cette dispute. “Vous savez à l’approche du mois de Ramadan, beaucoup de commerçants peu scrupuleux se livrent à une hausse illicite des prix. Une famille, comme la mienne ne peut se permettre le luxe d’acheter chez le premier commerçant venu. Nous sommes obligés de faire le tour du marché et parfois même changer de quartier pour avoir une idée sur les différents prix pratiqués. Pour moi, le Ramadan est le mois le plus sacré mais aussi la période la plus difficile de l’année.” Son inquiétude est aussi partagée par un fonctionnaire à la retraite.
Les uns et les autres
“Quand je travaillais, les charges de Ramadan ne posaient pas autant de problèmes. Je parvenais, avec mon maigre salaire, à satisfaire les besoins de ma famille. Il m’arrivait même, de temps à autres, d’inviter des parents et des amis à rompre le jeun chez moi. Aujourd’hui, mes économies ne me permettent plus de refaire ces actes, surtout que j’ai quatre personnes à charge.” Au marché de gros, à Al Akkari, les transactions allaient bon train ce dimanche. Depuis 5 h du matin , les camions viennent décharger leurs cargaisons. Les intermédiaires s’activent devant un monde impatient. Les quelques particuliers sur les lieux peuvent passer leurs commandes. De l’avis de tous, les prix n’ont pas encore connu de variations vers la hausse. “Pour le moment, tout va bien. Les consignes sont respectées. Si ça continue de cette façon, je crois que nous allons passer un bon Ramadan”, explique ce père de famille, portant deux paniers remplis de légumes. Pour ce qui est des dattes ou des fruits secs, dans leur ensemble, seul le kilo des pois chiche a augmenté de quelques centimes. Mais ce bond de prix des pois chiche n’est pas encore généralisé. C’est le cas au marché de Yacoub El Mansour où visiblement les étalagistes de tous bords ont rendu les choses plus faciles. On trouve un peu de tout et pour toutes les bourses. Cependant, il y va autrement pour le lait, les œufs et les viandes rouge et blanche. Faute d’un contrôle adéquat des prix, la hausse risque d’être inévitable. D’ailleurs, certaines laiteries commencent à parler de rupture. Pourtant, concernant l’approvisionnement du marché en ces denrées ramadanesques, les pouvoirs publics ne sont pas partis du dos de la cuillère pour rassurer les consommateurs. Chiffres à l’appui. À cet égard, les statistiques fournies permettent de situer l’offre et la demande prévisionnelle d’approvisionnement du marché national en lait, viandes et œufs pendant ce mois de ramadan. Toutefois, pour faire face à la demande qui ne cesse de croître au mois de Ramadan, il faut souligner que la production nationale est complétée par les usines de transformation (appelée quantité usinée). Dans ce contexte, l’offre prévisionnelle au niveau des laiteries, durant le mois de Ramadan, est estimée entre 39 et 44 millions de litres alors que la demande est évaluée à 45 millions de litres. Ce qui dégagerait un déficit qui pourrait atteindre 6 millions de litres. Pour juguler ce déficit, le ministère de l’Agriculture rassure que des mesures spécifiques ont été prises en vue d’approvisionner correctement le marché dans les meilleures conditions. Concernant les œufs, leur consommation étant grande en ce mois béni, l’offre et la demande s’équivalent toujours et peuvent se situer à 180 millions d’unités au mois d’octobre contre 186 millions d’unités en novembre et 197 millions en décembre. Quant aux viandes, l’offre globale prévisionnelle des viandes bovines et ovines répondra largement aux besoins de la demande puisque le total dépasse les 22 800 tonnes pour le seul mois de novembre alors que l’offre se situe à 23 400 tonnes. Idem pour la viande blanche où le pic de la demande et de l’offre est de 19 900 pour le mois de novembre. Bref, l’ambiance du Ramadan s’est déjà installée dans les quartiers. Chaque famille y va de sa connaissance, en matière de mets, pour vivre comme il convient ce mois très attendu. Les “Chbakkia” et autres délices décoreront les tables tout au long des f’tor. Mais c’est chez les accrocs de tabacs et amateurs de “boissons” ou autres excitants que la journée est pénible. Comme quoi, le Ramadan est le mois de tous les contrastes.
La Nouvelle Tribune