La rue, domicile fixe !

6 janvier 2008 - 23h36 - Maroc - Ecrit par : L.A

« Ce n’est pas un sourire de compassion ni un soupir de tristesse dont nous avons besoin. Aidez-nous plutôt à sortir de cet enfer !", lance un SDF (sans domicile fixe) qui est visiblement rassuré d’avoir affaire seulement à des journalistes. Chaque nuit, c’est la même histoire qui se répète avec les flics et les autres sans-abri. Les patrouilles de police traquent, surtout dans les grandes artères, tous les SDF. Alors que ces derniers se livrent une rude concurrence parfois violente entre eux, c’est la loi du plus fort qui règne la nuit. Lutte, méfiance sont les maîtres mots pour survivre. Les plus costauds se réservent les coins protégés.

Bon nombre des sans-abri changent de place à plusieurs reprises avant de trouver un refuge. Il s’appelle Abdallah. Son visage porte déjà des petites rides, signes d’une vie très difficile qu’il mène au quotidien. Agé de trente ans, il a été refoulé d’Italie voilà plus de cinq ans. Depuis, il vit dans la rue. "Je sais très bien que vous êtes en train de me filmer. C’est super ! Je vais passer à la télé. Je vais répondre à toutes vos questions, mais donnez-moi seulement un peu d’argent, je n’ai rien mangé depuis ce matin", ajoute-il avant de prendre une gorgée d’une petite bouteille de "spirito" bien dissimilée sous ses habits.

Non loin de la gare ferroviaire Casa-port, il est déjà 21 heures.
Un froid glacial souffle sur les parages en raison de la proximité avec la mer. Avant de chercher un petit coin où il va passer la nuit, Abdallah doit d’abord quémander l’argent nécessaire pour son repas mais également pour acheter une bouteille
d’alcool.

Courez, "la raf"’ !

Les averses qui commencent à s’abattre sur la métropole ne semblent pas le dissuader. Sans se lasser, il attend impatiemment que le feu passe au rouge pour solliciter les automobilistes. Pas question de partir avant d’amasser une bonne somme d’argent.

L’alcool, explique t-il, est son seul moyen pour résister au froid. Cependant, il refuse d’être considéré comme un "alcolo". "Personne ne choisit volontairement de mener une telle existence. Le destin en a voulu ainsi". Abdallah en aura encore pour une ou deux heures. De toutes les manières, il ne parvient à trouver le sommeil qu’aux premières lueurs de l’aube. Dans un environnement où les agressions des "chamkara" ou des voleurs sont fréquentes, il doit rester sur ses gardes. Notre bonhomme prend la destination de la gare routière, l’un des refuges les plus sûrs pour les SDF.

D’ailleurs cette nuit, ils sont nombreux à avoir choisi ce lieu pour se protéger des intempéries ainsi que des risques de la rue. Il est 23 heures. La gare commencer à plonger dans sa torpeur nocturne habituelle.

Quelques courtiers, encore sur les lieux, sont aux aguets pour vendre les places qui leur restent aux derniers voyageurs. M’hamed "habite"’ à la gare routière de Casablanca depuis quelques mois. Originaire de la région de Marrakech, il a rencontré des problèmes familiaux avant de se retrouver dans la rue. Sans couverture ni même des bouts de carton pour se protéger, il dort à même le sol. Pour se réchauffer, pas d’autres moyens pour lui que de s’envelopper dans une veste défraîchie en cuir et des tricots (plusieurs) au point qu’il a du mal à se mouvoir.

Pas question d’enlever ses espadrilles de peur de ne plus les retrouver au réveil même si elles sont très usées et laissent entrevoir ces orteils. " J’ai essayé de trouver un travail à plusieurs reprises, mais en vain. Personne n’a envie d’embaucher un sans-abri. Les gens ont une idée très négative sur nous. Pourtant, on est des gens tranquilles ", martèle M’hamed en quittant le lieu sans terminer son témoignage, car la patrouill de police va passer dans quelques instants. C’est la brigade de police à la gare routière qui est chargée du contrôle de sécurité.

Au bout de quelques minutes, la rafle a lieu. A notre grande surprise, un officier de police nous demande de l’accompagner pour un contrôle d’identité. Au poste de police, quelques sans-abri sont assis. Ils attendent d’être déférés devant le tribunal. D’une manière générale, les sans-abri sont relâchés au bout de quelques jours de détention. Au pire, un SDF écope d’un PV pour vagabondage. C’est pour cette raison qu’ils paraissent sereins, car ils sont sûrs d’être relâchés. Et puis, ils se sentent en sécurité en présence des policiers. Le contrôle d’identité terminé, l’officier nous autorise à nous disposer. Il met également à notre disposition trois policiers qui vont nous accompagner pour le reste de la visite.

Les SDF ont déjà repris leurs places. Certains dorment déjà alors que d’autres gardent toujours les yeux ouverts observant les quelques individus qui sillonnent encore la gare. Hussein est âgé de 65 ans. Il vivote dans la rue depuis longtemps. Interrogé à plusieurs reprises sur la durée qu’il a passée dans la rue, il ne donne pas de réponse. Il ne compte plus les jours ou les mois. Pour lui, la notion du temps n’a plus de sens. " Je suis originaire de la ville d’Essaouira. J’ai quitté ma famille depuis longtemps. Certains bienfaiteurs me donnent un peu d’argent et des habits. Tout le monde sait que les SDF vivent dans des conditions très difficiles. Hamdollilah, je me plains pas " témoigne Hussein. Aberrante sinon scandaleuse est la situation dans laquelle se trouve Hussein.

Livré à lui-même dans des conditions très précaires, il tente tant bien que mal de subsister. A la gare, il y a également des femmes. Mina est la seule rencontrée lors de la visite. Coiffée d’un foulard dépigmenté, elle met un manteau pour homme. Portant des sandales en plastique et sans chaussettes, ces pieds ont pris une couleur bleuâtre sous l’effet du froid. " Je préfère vendre des cigarettes aux voyageurs au lieu de demander l’aumône aux passants ", déclare-t-elle. Cette dernière bénéficie de la protection des courtiers. Au fil des mois, elle est devenue très connue. Mina travaille la nuit et préfère dormir le jour pour prévenir tout risque d’agression.

Amalgame

Vivant à la marge de la société, les SDF souffrent de nombreuses maladies. Rhumatisme, bronchite ou autres maladies respiratoires sont très répandus parmi eux. Souvent, ils sont considérés comme des "chamkara" ou des clochards, des appellations toujours utilisées dans la société marocaine pour désigner cette catégorie de personnes. Ils éprouvent donc une grande difficulté à se soigner. " Chaque jours, nos agents arrêtent une vingtaine de sans-abri.

Après les procédures de routine, certains sont relâchés d’autres sont traduits devant le procureur. Bien évidemment, il existe une différence entre les SDF et les autres criminels. D’une manière générale, les sans-abri ne représentent pas un danger. Ces dernières années, on constate que le nombre des personnes sans domicile fixe augmente continuellement ", informe un officier de police. Les enfants et les jeunes arrêtés par les forces de l’ordre seront placés dans les centres de protection de l’enfance de Tit Mellil ou de Berrechid. Les plus âgés vont se retrouver dans l’enfer de la rue.

" Tous les Marocains ont une idée sur les conditions difficiles dans lesquelles nous vivons. Mais rien ne se fait ", déclare l’un des SDF rencontrés. Quelques heures après la fin du reportage, des images sur ces personnes dormant à même le sol revenaient à l’esprit à plusieurs reprises. Pour combien de temps encore seront-ils marginalisés au Maroc ? Abdallah, Hussein et les autres, que sont-ils devenus ? Seront-ils condamnés à vivre en marge de la société pour le restant de leurs jours ? Une chose est sûre, ces personnes gardent toujours espoir de voir une main tendue pour les sauver. En attendant, ils vont continuer leur vie… dans la rue et le froid.

Clochard, SDF, ou sans-abri ?

SDF est une dénomination donnée en France aux personnes qui dorment dans la rue depuis le milieu des années 80. On parle également de sans-abri ou d’itinérant. Avant, on qualifiait ces gens de vagabond, chemineau ou même clochard. Aujourd’hui, ces appellations ont tendance à tomber en désuétude en raison de leurs connotations péjoratives. Les sans-abri se trouvent souvent dans une situation d’exclusion sociale.

En effet, personne n’est à l’abri. N’importe qui peut, du jour au lendemain, se retrouver dans la rue, sans logement, sans ressources, sans aides, livré à lui-même, dans l’indifférence générale. Classiquement, on recense plusieurs causes provoquant cette situation. Ainsi, une maladie, un divorce ou le décès d’un ou des deux parents peuvent amener une personne à devenir un SDF. Dans certain cas, les relations familiales malsaines, la perte d’un emploi ou le surendettement peuvent également être à l’origine de cette situation. Au Maroc, les SDF sont souvent confondus avec des "chamkaras". Les centres d’accueil pour sans-abri sont quasi-inexistants. La rue est donc le domicile fixe des SDF marocains.

SDF et vague de froid

Rafales de vent, fortes précipitations, baisse de température, orages, chute de neige et mer très agitée : depuis la semaine dernière, le Royaume connaît de fortes perturbations météorologiques.

Les conditions de vie des sans-abri vont devenir de facto plus difficiles. Selon les prévisions de la Direction de la météorologie nationale à Casablanca, la température minimale pendant la nuit variera entre un et six degrés sur l’intérieur des régions au nord d’Agadir et entre cinq et onze degrés près des côtes nord avec des valeurs négatives en montagne et sur les plateaux de l’Oriental. "Le passage des masse d’air par la mer a adouci la température. Cette dernière aurait pu baisser davantage si les masses d’air provenaient de l’Europe.

En effet, le passage de ces masses par le continent peut les rendre plus sèches et plus froides encore", explique Mohamed Bellaouchi, chargé de mission communication et relations publics à la Direction de la météorologie nationale.

Le Matin - Mohamed Badrane

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