Sebta, la bombe à retardement

22 avril 2004 - 11h40 - Espagne - Ecrit par :

Sebta dans la tourmente. Les Sebtawas au pied du mur.
La contrebande bat de l’aile et les chiffres d’affaires des marchands qui font le passage journalier sont au plus bas depuis que l’Espagne a décidé de resserrer la frontière de Tarajal avec le Maroc. Une situation au bord de l’implosion où les Marocains sont les premiers à payer le lourd tribut à la politique populiste et sécuritaire de la ville occupée. Quand à tout ceci s’ajoutent des cadavres de Marocains canardés comme des lapins, des réseaux de trafic de drogue pour financer les attentats terroristes et des affaires de pédophilie, il y a urgence à réagir.

Depuis le 14 mars dernier, jour des élections législatives
en Espagne et à Sebta, la ville marocaine occupée par les Espagnols, les choses semblent avoir pris une tournure effrénée. Le
11 mars et les attentats de Madrid sont venus élargir le fossé qui existait entre les Marocains et les Espagnols.
Mais à Sebta, les discriminations et la haine anti-marocaines prennent d’autres visages. A Madrid, on intimide les gens, on les insulte, on les secoue, on en vient aux mains des fois, mais les choses n’ont pas dégénéré. Pas encore. Car au rythme que prennent les évènements, nous ne serions pas surpris de voir les Marocains lynchés en Espagne comme au temps des massacres d’El Ejido. A Sebta, la donne est tout autre. Au-delà des séparations claires, entre Marocains et Espagnols, nous en sommes aujourd’hui à un phénomène qui risque de devenir une réalité banale de tous les jours. Il s’agit de l’abattage systématique des Marocains à coups de fusil ou pistolet comme dans une partie de chasse macabre. C’est ce qui s’est passé le mardi 6 avril dernier quand un certain Mohamed Zoubeir est tombé raide mort suite à un tir de la Guardia civil qui patrouillait sur la frontière. (lire article consacré à Mohamed Zoubeir : page 12)

Le ras-le-bol d’une population aux abois

Pour comprendre ce qui se passe à Sebta, il faut aller chez les habitants dans les quartiers pauvres du préside occupé. C’est très simple. Sebta est une ville qui affiche de façon ostentatoire un double visage : la ville espagnole ou des Espagnols et les quartiers marocains ou des Marocains. Ce n’est pas l’apartheid, mais nous n’en sommes pas loin. Ce n’est pas le ghetto mais cela y ressemble. On arrive avec difficulté à s’expliquer cette dichotomie géographique. Ce jeu de cassure entre deux frontières au sein de la grande frontière. D’un côté “nous, les Moros” de l’autre côté, “eux, les fils du pays”.
On reprend ici les paroles d’un jeune père de famille du quartier Principe Alfonso, à flanc de colline où l’on se croit à Hay Attakadoum à Rabat ou dans la banlieue dégueulasse de Salé ; là où les maisons s’amoncellent comme des paquets de thé, des boites de sardines collées les unes aux autres dans un paysage urbain qui fait tache dans cette ville résolument européenne. Le même père de famille nous dira plus loin dans son jargon à lui comment il en est réduit aujourd’hui à souhaiter rentrer au pays, élire domicile “même à Fnideq, juste là à la sortie de Tarajal pour ne plus supporter les mensonges de tous ces minables qui nous gouvernent ici. Bordel de ####, ils oublient que c’est mon pays, que c’est ma terre Sebta. Ce sont eux les colons, les criminels, et pas le Marocain qu’ils ont tiré comme un animal dans une jungle”. Cet homme était au bord des larmes en parlant de la mort de son compatriote marocain. “Ne croyez pas que parce que nous sommes de l’autre côté de la frontière que nous avons oublié qui nous sommes et d’où nous venons. Non, je suis Marocain, Sebta est marocaine et un jour on finira par péter tout ce fourbi du diable. Ils tuent de sang froid un Marocain, vous imaginez ce que cela veut dire ? Et ce n’est pas la première fois. Déjà en octobre dernier, ils avaient abattu un autre . Comment expliquer cela ? Et qu’a fait le gouvernement marocain ? Sommes-nous oubliés ? Ils nous ont laissés aux Espagnols pour nous tirer comme du gibier ? Dites-moi, vous le journaliste, ce qu’il en est, car moi, je ne sais rien de ce qui se trame à Rabat, je ne sais pas ce que pensent les dirigeants marocains de ce qui se passe ici”. Ahmed fulmine et finit par claquer la porte en s’excusant. Il pleurait à chaudes larmes. Mais Ahmed n’est pas un cas isolé dans ce quartier paumé de la ville européenne du Maroc. Ils sont nombreux les jeunes et moins jeunes qui sont venus nous voir pour nous parler de ce qui ne va plus “à l’intérieur”, car c’est comme cela qu’il désigne l’autre bout de la frontière. Sebta, c’est le Maroc, et ce n’est pas le Maroc. Sebta, c’est déjà l’Europe, mais pas pour tous. Sebta est une ville au tissu social hybride qui mérite qu’on s’y arrête un peu pour tenter de comprendre. [...>

La Gazette du Maroc

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