Finie l’époque où divers clans faisaient transiter de la drogue via l’Andalousie, avec une préférence historique pour le détroit de Gibraltar, qui sépare deux pays (l’Espagne et le Maroc) et deux continents (l’Europe et l’Afrique) de tout juste quatorze kilomètres. Ces couloirs de transit sont aujourd’hui si sécurisés que les trafiquants de drogues ont trouvé un grand fleuve espagnol pour faire passer leurs marchandises. « On vient de nous livrer sept patrouilleurs Aister H360, robustes et rapides, et c’est bien. Mais l’adversaire demeure bien plus fort, il a désormais des armes de guerre, et il s’infiltre partout », se lamente Luis Baltar, du syndicat majoritaire Siat de la vigilance douanière auprès de Libération.
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Depuis l’automne 2024, les narco-lanchas ont changé de stratégie. Leurs bateaux devenus illégaux en Espagne et achetés au Portugal, « s’introduisent désormais via le Guadalquivir, le grand fleuve d’Andalousie, pour y introduire de la cocaïne exclusivement », rapporte le même media français. « Voyant que la zone de Gibraltar est plus contrôlée, les embarcations y entrent comme dans du beurre, en toute impunité », déplore Baltar, faisant savoir que les trafiquants « remontent ensuite les méandres du fleuve jusqu’à Séville. » À Coria del Río, jolie commune de 31 000 habitants avec son embarcadère à l’ancienne, le sujet alimente les conversations. En décembre, les policiers ont procédé à la saisie de sept tonnes de cocaïne et des mitrailleuses AK-47, à La Hermandad, une ferme en périphérie de la commune. Un record, précise-t-on.
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« Il y a un côté humiliant. Leurs navettes glissent à toute vitesse sous nos yeux à toute heure du jour et de la nuit. Récemment, les Sévillans ont vu des narco-lanchas passer à côté du stade La Cartuja, en plein centre-ville, sans être inquiétés », fulmine David Diaz, élu socialiste à l’énergie contagieuse, depuis le très animé bar El Puebla. Lisardo Capote, chef du service de vigilance douanière à Algesiras, sur la plage de Palmones, une des huit communes de la baie d’Algesiras, connaît leurs modus operandi. « Les cartels colombiens ont vu que le marché nord-américain sature mais pas encore l’Europe, et que le Guadalquivir et ses alentours sont une porte d’entrée idéale. Ils font affaire avec des clans locaux qui approvisionnent en essence leurs embarcations venues directement d’Amérique du Sud ou qui passent par l’Afrique occidentale », fait-il savoir.
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Il ajoutera : « Il y a aussi des mafias locales qui leur apportent des armes de guerre en mer, ou qui les briefent sur les mouvements des forces de sécurité espagnoles. C’est comme une multinationale avec ses filiales, ses avocats, ses indics… Essayez de lutter contre ça ! » David Díaz reprend : « Cela ne nous touche pas encore directement, c’est de la drogue qui passe, mais c’est préoccupant. À Coria del Río, on a 19 % de taux de chômage chez les jeunes, qui pourraient être tentés par un mode de vie facile et fastueux. »