Le ministre de l’Intérieur sait qu’il a peu de chance d’être entendu par tous : les divisions de la communauté sont telles qu’à moins de ne rien dire, son discours va nécessairement en fâcher certains. Le fait même que ce discours soit tenu dans la mosquée de Paris suffit par exemple à mécontenter l’U nion des organisations islamiques de France (l’UOIF), qui a fait savoir qu’elle n’irait pas l’entendre.
Multiplicité. La grande mosquée se pose en garant d’un islam républicain respectueux de la laïcité. Elle revendique une place de choix dans la future instance représentative des musulmans de France. Cette prétention se fonde sur le poids symbolique de la plus ancienne mosquée de France mais aussi, surtout, sur le fait que cet établissement partiellement financé par l’Etat algérien serait une référence naturelle pour les fidèles d’origine algérienne. L’UOIF conteste cette prétention. Cette fédération d’associations qui adhèrent à la pensée fondamentaliste des Frères musulmans a fait la preuve de son dynamisme. Ni marocaine, ni algérienne, elle insiste sur son indépendance et revendique le titre de véritable représentant de l’islam de France. Chaque année, son congrès attire des dizaines de milliers de fidèles dont beaucoup de jeunes nés en France et « réislamisés ». Elle incarne un islam militant qui soutient notamment le port du voile à l’école.
Nicolas Sarkozy, comme ses prédécesseurs, cherche l’instance qui saura faire cohabiter l’UOIF, la grande mosquée et encore une douzaine d’autres fédérations ou associations. Depuis 1988, tous les ministres de l’Intérieur ont fait le même constat : deuxième religion de France avec 4 à 5 millions de personnes qui s’en réclament, l’islam a besoin d’une représentation dans la société. Car aujourd’hui, la multiplicité des interlocuteurs est telle qu’à Marseille comme à Strasbourg, les projets de mosquées s’enlisent dans d’interminables polémiques (lire ci-contre). « Un maire réagit plus facilement à une demande exprimée par un évêque ou un président de consistoire que lorsqu’il est saisi par le président d’une association inconnue », rap pelle le ministre de l’Intérieur dans la revue musulmane la Médina.
A la veille de la présidentielle, le ministre socialiste Daniel Vaillant croyait avoir trouvé la bonne méthode. Un Conseil français du culte musulman (CFCM) devait être élu le 23 juin par des délégués des quelque 1 400 lieux de culte musulman recensés en France, le nombre de délégués devait être proportionnel à la surface des lieux de culte. Ce mode de scrutin aurait donné une forte majorité à l’UOIF, très présente sur le terrain. Quelques semaines après, Nicolas Sarkozy annonçait le report des élections en martelant qu’il ne laisserait pas « l’intégrisme s’asseoir à la table de la République ». Le ministre et ses conseillers ont consulté tout l’été pour préciser les statuts et le mode de désignation de l’improbable instance représentative. Un nouveau projet se dessine qui renforce le pouvoir des conseils régionaux et donne plus de place à des « personnalités qualifiées » reconnues pour leur « profondeur spirituelle », ce qui devrait satisfaire le théologien moderniste Soheib Bencheikh, bête noire de l’UOIF. En réduisant le poids des délégués des lieux de culte, le projet doit limiter l’influence de l’UOIF et renforcer celle de la mosquée de Paris.
Visas refusés. Interrogé par la Médina sur les influences étrangères, Nicolas Sarkozy assure qu’il trouve « normal que les gouvernements étrangers souhaitent que l’instance représentative du culte musulman de France soit représentative des familles de l’islam existant dans les pays d’origine ». Il ne pose qu’une limite, qui vise plus l’Arabie Saoudite que l’Algérie : « Il s’agit de représenter l’islam de France, pas l’islam en France ». Ces dernières semaines, le ministre est intervenu à plusieurs reprises pour refuser l’entrée en France « d’un certain nombre de prédicateurs ou d’imams qui ne parlent pas un mot de français et viennent alimenter un certain nombre de mosquées ou de lieux de culte avec des théories contraires aux valeurs de la République ».
Libération