La Méditerranée, notre horizon

15 avril 2007 - 00h32 - Monde - Ecrit par : L.A

Plus d’une décennie nous sépare désormais de la vibrante déclaration de Barcelone, qui promettait, en 1995, une progressive intégration régionale euroméditerranéenne. Aujourd’hui, cette perspective s’éloigne et ce projet apparaît bien fragile : le panorama régional s’est profondément transformé au cours des dernières années.

D’un côté, la panne de l’Europe politique précipite l’érosion de l’influence européenne dans le monde. Or l’Euro-Méditerranée ne saurait se construire sans une Europe forte et déterminée. De l’autre côté, les pays méditerranéens du Sud ne sont pas au rendez-vous de l’ouverture politique et des réformes. Cependant, les mutations sociétales profondes qui s’y opèrent suscitent des aspirations nouvelles au sein des populations. En dépit des ambitions formulées à Barcelone, le bassin méditerranéen n’est aujourd’hui ni plus stable ni plus prospère. Il concentre au contraire toutes les grandes fractures planétaires. L’accélération de la mondialisation et la recomposition des équilibres géo-économiques internationaux, induite, pour une part par le décollage de l’Asie, révèlent et aggravent la divergence des deux rives de la Méditerranée. Et cet espace, miné par les peurs et les passions, paraît s’enfoncer dans les conflits, ou se murer dans le repli.

Ce tableau pessimiste appelle deux observations. Il faut d’abord souligner, contrairement à une représentation courante mais trompeuse, que la Méditerranée n’est pas pour autant, loin s’en faut, coupée du cours global de la mondialisation. Ses économies, ses sociétés et les politiques qui s’y développent participent à la globalisation des échanges, à la circulation des idées et au jeu diplomatique international. Mais les acteurs méditerranéens demeurent le plus souvent les spectateurs désorientés et fragilisés d’un mouvement qu’ils subissent, alors qu’ils furent la force motrice de plusieurs des mondialisations du passé.

Une seconde observation concerne la fracture territoriale qui s’est instaurée au sein de chacun des pays de la rive sud. Un clivage s’aggrave dangereusement entre les zones urbaines littorales et les espaces ruraux intérieurs. La marginalisation et la paupérisation des campagnes se développent en proportion de l’ouverture aux échanges mondiaux du cordon littoral urbain qui court d’Agadir à Istanbul. Tout se passe comme si le sud de la Méditerranée n’avait plus besoin de ses arrière-pays pour se développer, le salut étant supposé dépendre, selon le credo libéral dominant, des échanges et de l’arrimage extérieur. Si les villes côtières sont propulsées sur l’avenir, les territoires ruraux sont refoulés dans un arrière-monde qui n’intéresse plus personne.

Ce contexte doublement critique ne favorise pas seulement l’aggravation des inégalités. Il fait le lit de la radicalisation des opinions publiques et de l’affaissement des projets de coopération. L’esprit de solidarité qui inspirait la vision commune dessinée à Barcelone s’effrite, et la culture du dialogue se grippe.

Or il faut réaffirmer que la dislocation d’un horizon commun pour la Méditerranée entraîne dans son sillage l’affaiblissement du projet européen lui-même et l’amenuisement de la capacité de l’Europe de jouer sa partie dans un monde multipolaire. En sens inverse, la mise en oeuvre d’une coopération pionnière avec sa rive sud, est la chance pour l’Europe de faire valoir un modèle alternatif de la mondialisation assurant la prise en compte des variables culturelles et environnementales qui sont, autant que l’économique, les clés d’un codéveloppement durable.

Ce scénario coopératif doit impérativement s’articuler autour de politiques communes, dans les sept domaines stratégiques que sont la formation-recherche, l’entrepreneuriat privé, le tourisme, l’agriculture, la santé, l’environnement et les infrastructures. Celles-ci, on le sait, ne prendront corps et ne seront efficaces que si elles échappent aux limitations des approches bilatérales. Autrement dit, elles requièrent d’être elles-mêmes inscrites, de façon concertée, dans une problématique euroméditerranéenne globale.

Une telle vision euroméditerranéenne ne saurait se résumer à un simple élargissement du grand marché unique européen, assorti de conventionnements bilatéraux appelés "partenariats" ou "voisinages". Il s’agit de mettre en place l’espace politique commun qu’implique une logique de relations véritablement multilatérales. C’était là l’ambition de Barcelone.

La France, qui présidera l’Union européenne au second semestre 2008 et qui proclame vouloir faire de la Méditerranée une priorité de sa politique étrangère, porte la responsabilité particulière de revenir à ces fondamentaux. Oublier ce rendez-vous reviendrait à renier le projet de Barcelone.

Le Monde

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