La nuit, il est fréquent que des adolescents mettent le feu à des containers et lancent des pierres à des policiers . Le jour, le Principe est un quartier paisible mais à la réputation de coupe-gorge, dit-on dans le centre-ville de Sebta, depuis qu’en décembre 2006, sur ordre du célèbre juge madrilène Baltasar Garzón, une descente de police a permis d’arrêter onze membres présumés d’une cellule islamiste.
Dans le local d’une association de quartier, Ahmed se défend : « Les flics se sont trompés. Les mecs arrêtés n’étaient que des grandes gueules qui avaient eu le malheur d’acheter des vidéos intégristes au Maroc ». Il n’empêche. Depuis ce coup de filet, le Principe est devenu le symbole du péril islamiste qui planerait sur ce confetti espagnol de 8,5 km2 coincé sur la côte africaine, et peuplé globalement par 35 % de musulmans. Ces derniers mois, la menace s’est précisée. Dans ses communiqués, Al-Qaeda menace d’y commettre des attentats. Sebta et Melilla, l’autre ville enclave espagnole au Maroc, doivent être « reprises aux infidèles ».
Rien d’étonnant donc à ce que Madrid ait mis ces deux territoires en alerte antiterroriste maximale. Sur les murs des ruelles du Principe, des tags dénoncent la présence de « chivatos », des « indics » qui travailleraient pour les services secrets espagnols. « Le quartier est dans la ligne de mire des autorités, dit Ahmed. Il y a beaucoup de colère accumulée par ici. »
Ancien bidonville, le Principe a été construit par ses habitants, la plupart maçons de profession, sans presque aucune aide publique. Tout y est chaotique : les câbles électriques illégaux s’entrelacent, le système d’égouts est archaïque, le taux de chômage dépasse les 40 %. Ali, 36 ans, accoudé à un comptoir, est un inactif typique. Jusqu’à la fin des années 90, comme beaucoup, il vivait grassement du trafic de haschich transitant par barque vers la côte andalouse, visible depuis Sebta - « on pouvait se faire 1 800 euros par nuit ». Le détroit de Gibraltar est désormais surveillé par des radars et les bénéfices sont en chute libre.
« Tolérance »
Qu’ils soient issus du Principe ou d’un autre quartier défavorisé, ces hommes oisifs et sans aucune formation, inquiètent les leaders musulmans de Sebta. « Ils constituent une population influençable. Il est facile de les endoctriner, d’autant qu’ils n’ont pas d’éducation religieuse digne de ce nom », estime Jalila Ahmed Liazid. A la tête de l’école coranique de Sidi Embarek - 300 élèves -, cette fille d’un imam respecté prétend justement inculquer l’Islam « de façon correcte » pour éviter que les jeunes musulmans de Sebta se laissent séduire par les islamistes. « La plupart ne connaissent rien de leur culture. Or, c’est fondamental pour que se perpétue à Sebta la tradition de bonne coexistence religieuse. »
Dans ce territoire aux trente mosquées, la plupart des imams veulent croire que l’enclave espagnole est à l’abri de l’islamisme. « On ne peut pas écarter la possibilité d’attentats, mais il s’agirait d’actes isolés. A Sebta, la tolérance entre chrétiens, musulmans, juifs et hindous est très enracinée », assure Larbi Mateis, président de l’Union des communautés islamiques, qui regroupe 19 des 21 associations religieuses. Abselam Hamadi, de la communauté Al Bujari, dit pourtant se méfier de ce qui se trame dans certaines « mosquées-garage » et de « certains religieux sectaires, présents dans les rouages du pouvoir local ».
Ressentiment. Des signes inquiétants s’accumulent. En avril, des inconnus ont saccagé à Sebta des tombes de saints musulmans, dont le culte est très répandu dans le Maghreb mais qui provoque la fureur des fondamentalistes. Les policiers sont désormais persuadés que les vandales sont des islamistes du cru. A Principe, la grande mosquée, dont l’imam interdit les visites, est montrée du doigt comme possible vivier radical. « Ce quartier où l’information circule si vite est un lieu idéal pour recruter des intégristes », dit un frère franciscain qui se sait toléré ici « parce qu’on sert 700 repas par jour ». Ahmed, de l’association de quartier, voit grandir le ressentiment chez les jeunes avec inquiétude : « Jusque-là, beaucoup s’engageaient dans l’armée, car c’était le seul débouché. Aujourd’hui, dès qu’un jeune a le malheur d’être du Principe ou de porter la barbe, on lui en refuse l’accès par peur d’embaucher un terroriste en puissance. Le sentiment d’injustice n’en est que plus fort. »
Libération.fr - François Musseau