Anniversaire pour le monde Arabe aussi

11 septembre 2003 - 13h38 - Monde - Ecrit par :

11 septembre . Deux ans après, l’onde de choc des attaques contre Washington et New York continue de bouleverser le monde arabe, avec une politique américaine agressive marquée par l’occupation de l’Iraq.

Les Arabes encaissent le choc
9/11 ... L’apocalypse. C’est ainsi que les médias du monde entier ont rendu compte de cet événement exceptionnel. Avec des attentats qui ont visé l’unique superpuissance du moment, on s’attendait à un changement de l’ordre mondial comme ce fut le cas à la suite de la seconde guerre mondiale ou de la chute du Mur de Berlin. Violente, horrible, avec ses 3 000 morts, et hautement symbolique, la chute des tours jumelles n’a cependant pas modifié la face du monde. Elle n’a fait que précipiter une politique américaine déjà agressive et unilatérale. Les attaques de Washington et de New York ont juste servi d’alibi pour justifier l’usage de la force. Que cet événement soit passager ou significatif, il a eu un impact sur l’histoire du Proche-Orient. Il en a même bouleversé la carte. A la différence de l’Occident qui n’a pas changé d’attitude depuis ce jour de septembre 2001 ; jusqu’à présent, le monde arabe, qui a subi le plus fortement les retombées de ces événements, les a vécus de manière diversifiée, passant dans ses réactions par des phases et degrés. Sympathie pour les Américains, parfois joie de les voir subir des pertes et mettre un genou par terre, incompréhension et peur, et finalement résignation et frustration.
Ce deuxième anniversaire est placé sous le signe d’une nouvelle guerre qui touche plus encore les Arabes : l’occupation de l’Iraq, toujours avec le même prétexte, à savoir la lutte contre le terrorisme. (Lire sondage et encadré).
La chute de Saddam Hussein a été, selon Moustapha Eloui, vice-recteur de la faculté de sciences politiques et économiques de l’Université du Caire, « l’une des conséquences directes du 11 septembre qui a fait que les Etats-Unis sont devenus un pays de la zone arabe et moyen-orientale. Une présence qui peut contribuer, aux yeux des Américains, au remodelage de la région selon leur agenda ». Cet ordre du jour dicté par les faucons de droite de l’Administration américaine a été accéléré et personne n’osait s’y opposer. Parce qu’il ne faut jamais oublier le mot d’ordre de George W. Bush : « Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous ».
Les Arabes, chacun à leur manière, lui ont répondu : « Certes nous sommes avec vous ». Et c’était déjà le cas pour les territoires palestiniens. Oui à un gouvernement palestinien, oui à un désarmement des factions palestiniennes, oui à la Feuille de route. « C’est parce que la crainte à l’égard de Washington a augmenté même dans les pays arabes les plus proches des Etats-Unis », affirme Diaa Rachwane, chercheur au Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Ce nouvel ordre régional a permis à Ariel Sharon d’anéantir le processus de paix au nom de la fausse équivalence Arafat/Bin Laden.
La nouveauté après le 11 septembre, c’est cette crise de confiance entre Washington et ses alliés arabes. « Globalement, s’il y a une certaine acceptation par les régimes arabes des visions américaines, c’est notamment en ce qui concerne le dossier palestinien, sauf sur la question de la marginalisation d’Arafat et de la résistance palestinienne », soutient Rachwane. Les pays arabes sont tiraillés entre leur situation politique et l’agenda américain. Ils s’efforcent d’adopter quelques points et d’en rejeter d’autres, en fonction de leurs intérêts. Ce qui a fait que leur réaction à l’égard des Etats-Unis n’a pas été identique. S’ils s’accordent sur quelque chose, c’est sur la tension ou la peur ressentie à l’égard de Washington, même pour les plus proches des Etats-Unis. Ainsi, explique Rachwane, des pays comme l’Arabie saoudite ont eu des divergences profondes avec Washington sur le terrorisme, sa définition et son financement. D’autres pays comme la Libye ont fait volte-face et rompu avec un passé long de 30 ans d’hostilité aux Américains. L’affaire Lockerbie a été un moyen. Tripoli a accepté de payer une indemnisation de 10 millions de dollars pour chaque passager victime de la catastrophe. Une démarche pour déclarer ouvertement que le gouvernement libyen a renoncé à soutenir le terrorisme comme l’en accuse Washington. Un autre pays comme la Syrie, qui n’a jamais caché son hostilité et son rejet de la politique américaine et notamment de l’alignement sur Israël, a préféré adopter un profil bas pour éviter d’être pris dans le cyclone américain de l’après 11 septembre.

Réformes à l’américaine
Les conséquences ont été presque les mêmes sur le plan intérieur. De nombreux pays arabes ont répondu aux pressions américaines en vue de réformes, qui, comme le dit Moustapha Eloui, n’ont commencé qu’après le 11 septembre. Il s’agit notamment de Qatar, Bahreïn, Oman et de la Jordanie. Il est question d’amendements constitutionnels, de réformes législatives, avec en arrière-plan la dite lutte contre le terrorisme. En Arabie saoudite aussi bien qu’en Egypte, pays d’où venaient l’ensemble des auteurs des attentats du 11 septembre, les demandes américaines ont été plus radicales. Selon Rachwane, dans le Royaume wahhabite, il y a eu des modifications dans le système d’enseignement. 200 prédicateurs ont été empêchés de prêcher dans les mosquées. Celles-ci seront placées désormais sous surveillance du ministère des Waqfs (Biens religieux inaliénables). Des mesures identiques ont été prises par Le Caire avec un contrôle accru des prédicateurs. On parle aussi d’un changement des manuels scolaires, et Al-Azhar, qui a été rappelé à l’ordre après une fatwa contre le Conseil de gouvernement iraqien, parle maintenant d’un renouveau du discours religieux. Toutes ces démarches restent incomplètes voire insuffisantes aux yeux des Américains qui veulent encore plus de réformes, de mesures sécuritaires et de règlements régionaux.

L’opinion se réfère à la religion
Le diktat américain a été perçu autrement par la population. Cette guerre floue contre des pays musulmans et la campagne menée contre les organisations terroristes a laissé une impression presque unanime dans la rue arabe qu’elle est dirigée contre l’islam et ses adeptes. Rachwane fait état à cet égard de deux conséquences directes. La première a été le développement d’un sentiment anti-américain qui n’avait jamais été aussi virulent. Plusieurs sondages ont montré la dégradation de l’image des Etats-Unis auprès de l’opinion arabe, avec de plus en plus d’inquiétude devant le risque d’une autre guerre que mènerait une Amérique belliciste. Un récent sondage réalisé par les Etats-Unis montre que la popularité de l’Amérique a chuté de façon drastique dans au moins cinq pays arabes, notamment en Jordanie où elle ne dépasse pas 1 % à présent.
L’autre conséquence, selon Rachwane, c’est cette tendance à se rapprocher de la religion et de ses symboles. Ceci pour défendre des valeurs prises comme cibles de manière indiscernée par les Américains. Même la Ligue arabe qui avait affirmé les liens historiques entre les Etats-Unis et le monde arabe a rappelé « la nécessité d’être vigilant face aux dangers de l’intolérance, des préjugés aveugles, des fausses accusations arbitraires ainsi que l’idée de la supériorité d’une civilisation par rapport à une autre ».
Eloui ajoute qu’une autre conséquence des attaques contre le World Trade Center a été la division interarabe, les critiques à l’égard de la Ligue arabe et la nécessité de la remplacer par une autre organisation régionale, incluant Israël.
Malgré tout, les Arabes tiennent debout. Mais jusqu’à quand ? Personne ne le sait. Ce dont on est sûr, c’est que les Etats-Unis ont réussi à tromper le monde arabe qui s’est mis à répéter que ce mardi du 11 septembre 2001 n’était pas un jour comme les autres et qu’un jour ou l’autre, il en subirait les conséquences. Le dicton arabe ne dit-il pas : « Qui craint le diable le verra surgir devant lui ».
Samar Al-Gamal
Ahmed Loutfi pour Al Ahram Egypte - 10 sept. 03

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