Au Maroc, loin des Terriens

21 décembre 2008 - 12h28 - Culture - Ecrit par : L.A

Il y a des pièces de théâtre qui vivent de leur mystère. Celle du Marocain Driss Ksikes en est une. "Mais qui est "Il" ?", se demandent invariablement les spectateurs, à la fin de la représentation. Il, c’est le nom de la pièce. C’est surtout le personnage principal, que l’on ne voit jamais.

Six comédiens tournent en rond, l’échine courbée, dans un monde souterrain baptisé Uterrus, éclairé par des néons. Ils se parlent sans se regarder. Face à eux, un mur infranchissable. Là-haut, dans le monde des Terriens, on est "à mille lieues d’imaginer qu’ici, on n’en peut plus".

Faut-il s’escrimer encore à sortir de cet endroit étrange ? Les six hommes et femmes condamnés à ce huis clos s’interrogent. Après tout, ils ne sont que "des sous-hommes". Alors, pour justifier leur renoncement, ils se racontent des histoires. De temps en temps, Ilan, le messager d’Il, vient leur rendre visite, sans leur fournir le moindre réconfort. Peu à peu, ils en viennent à mimer le jour où ils ne courberont plus l’échine. Mais est-ce vraiment ce qu’ils veulent ?

Il est une pièce sur la soumission consentie. Soumission à Dieu, au roi, au pouvoir, voire à un pouvoir totalitaire. "La métaphore permet des choses extraordinaires", admet Driss Ksikes, 40 ans, dont c’est la cinquième pièce de théâtre. Ksikes est un journaliste connu au Maroc. En 2006, il publie dans l’hebdomadaire Nichane, dont il est alors le directeur, un dossier sur les blagues les plus populaires au Maroc (le sexe, la religion et la politique).

Toucher à ce triptyque sacré lui vaut trois ans de prison avec sursis. Plutôt que de devenir "l’ombre de (lui-même), à force de composer", Ksikes décide d’abandonner le journalisme et de se livrer à sa "passion de dramaturge". Nul regret chez lui. "Au Maroc, aujourd’hui, l’espace artistique est celui qui permet encore le plus de liberté", dit-il simplement.

"Beaucoup de sexe !"

Et c’est vrai que monter une telle pièce, puis la jouer dans une salle municipale (à Rabat et Casablanca), n’est pas chose fréquente en pays arabo-musulman. Difficile d’imaginer cela en Tunisie, par exemple. Au Maroc, où l’espace de liberté est mal défini, cette pièce dérangeante et absurde - il y a du Beckett dans Il - n’est pas réservée à l’élite. Elle est jouée en darija (arabe dialectal marocain), ce qui la rend accessible à tous, avec certaines répliques en français. Et les jeux de mots sont aussi nombreux qu’audacieux. "Au début, les gens se regardent, stupéfaits, l’air de se demander : "Est-ce qu’on a vraiment le droit de rire ?" Car il n’est pas simplement question de l’autorité sous toutes ses formes, dans Il, mais de sexe, beaucoup de sexe ! Je n’ai jamais vu une pareille pièce, ici, au Maroc !", souligne en riant Myriem, 28 ans.

Le but de Driss Ksikes et de Jaouad Essounani, le metteur en scène, n’est pas de verser dans la provocation ni l’offense. "Nous ne voulons pas d’un théâtre qui se contente d’être un théâtre d’amusement", insistent-ils.

En 2009, la pièce devrait partir en tournée en France et en Belgique. Le texte - que Ksikes a écrit en français, puis traduit en darija - est magnifique. Plusieurs éditeurs français sont sur les rangs.

Source : Le Monde - Florence Beaugé

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